Guerre en Ukraine : l’implacable avancée de l’armée russe dans le Donbass

 

La mâchoire russe se referme sur le Donbass et déploie sa puissance de feu sur des dizaines de villages au nord du Donbass. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l’a confirmé lundi 18 avril : « Nous pouvons maintenant affirmer que les troupes russes ont commencé la bataille pour le Donbass. Une très grande partie de l’armée russe est désormais consacrée à cette offensive », a-t-il assuré dans un discours retransmis sur Telegram. « La deuxième phase de la guerre a commencé », a aussi déclaré son chef de cabinet, Andriy Yermak. Une intensification des attaques également confirmée par la Russie, qui a affirmé, mardi, avoir mené des dizaines de frappes durant la nuit.

 

Dans les villages de la région au cœur de l’offensive russe, des habitants font pourtant le choix de rester sur place, comme sidérés par ce spectacle terrifiant. A Iatskivka, rue de la Paix, un couple de personnes âgées, assises sur un banc, regardent démarrer en trombe une voiture filant vers la sortie du village, en direction opposée des positions russes avancées. En cette fin d’après-midi dominicale, de la splendide et apaisante pinède enveloppant le village, une série de terribles détonations retentit, assourdissante et menaçante. Dissimulée dans les bois à une distance indéterminée, l’artillerie ukrainienne se déchaîne contre l’envahisseur russe, descendant de la région de Kharkiv pour entrer dans le Donbass. En toute logique, la réplique de l’artillerie russe ne tarde pas.

Le couple reste figé sur son banc. Aucune expression n’est lisible sur les visages, aucune émotion dans leurs regards vides, fixés sur la rue, qui descend en pente très douce et enjambe une voie unique de chemin de fer. A partir de cet endroit, la rue de la Paix devient la rue de la Liberté, et mène vers une retenue d’eau sur la rivière Oskil. L’autre rive, à 3 kilomètres, est déjà occupée par l’armée russe.

Le village de Iatskivka (Donbass, Ukraine), le 17 avril 2022. Il a été lourdement bombardé par l'aviation russe.
Alla, à Iatskivka (Donbass, Ukraine), le 17 avril 2022. Elle dort dans cet abri avec son mari. 
La maison d’Alla et de son mari a été bombardée. Ils vivent maintenant dans la cave de leur  voisin.

 

Des deux côtés de la rue règne un spectacle de désolation. La zone est régulièrement bombardée depuis un mois. Toutes les maisons semblent inhabitables : éventrées, effondrées, quand elles ne sont pas réduites à des tas de briques. La voie de chemin de fer est sectionnée par un cratère, et les deux rails se tordent vers le ciel.

« Il me restait deux ans jusqu’à la retraite, sanglote Lioudmila en regardant la cabine commandant le passage à niveau, démolie par le souffle de l’explosion. Vingt-huit ans que je travaille pour les chemins de fer. Il y a toujours eu des trains russes passant ici, encore il y a deux mois… » Sa maison, en contrebas de la voie ferrée, n’a plus de charpente. « Deux missiles sont tombés ici la nuit dernière. Nous dormions dans la cave, comme toutes les nuits depuis le début de la guerre », poursuit Lioudmila. Partir est hors de question : « Mon chien et mes chats… je ne peux pas les abandonner. Et je n’ai que mon potager pour survivre », gémit-elle.

« Personnes buisson »

 

Un peu plus loin, un couple de sexagénaires s’affaire à déblayer une grande maison, aux murs fendus et disjoints. « Nous n’avons ni gaz ni électricité ni eau ni rien », explique Alla, le visage éclairé par un étrange sourire. « Nous sommes heureux d’avoir survécu », enchaîne son mari, Pavel, également porté par une surprenante bonne humeur. « Les missiles, les obus nous passent en permanence par-dessus la tête, et nous ne savons pas de quoi demain sera fait ! »

Depuis 2014, date des premières incursions russes en Ukraine, une expression décrit cette fraction de la population refusant l’évacuation en dépit des bombardements permanents. Ce sont les lioudi-kousky (« personnes buisson »). Ils sont comme enracinés dans leurs foyers et rétifs à tout déplacement, même temporaire. Depuis le début du mois, les autorités ukrainiennes appellent les civils du Donbass à trouver refuge plus à l’ouest. Des moyens de transport et des hébergements gratuits sont mis à disposition par la puissance publique et des ONG.

 

« Ceux qui restent sont pour l’essentiel des personnes âgées, qui ne sont jamais sorties de leur canton », explique Vladimir Rybalkin, commandant de la défense territoriale, une organisation de volontaires armés dépendant du ministère de la défense ukrainien. Ce malabar en treillis, enseignant dans la vie civile, reconnaît son impuissance à faire passer le message : « Il ne sert à rien de s’efforcer de convaincre des gens dans le déni. Ils mettent leurs maisons ou leurs biens avant la conservation de leur vie. »

Des membres de la défense territoriale, non loin de Sviatohirsk (Donbass, Ukraine), le 18 avril 2022.

Des membres de la défense territoriale, non loin de Sviatohirsk (Donbass, Ukraine), le 18 avril 2022.

Vladimir, 43 ans, commandant de la défense territoriale, dans le village de Iatskivka, non loin de Sviatohirsk, le 17 avril 2022. Le village a été lourdement bombardé par l’aviation russe. Le front est à 2 kilomètres. Les rails ont été bombardés.
Une équipe de membres de la défense territoriale, tous volontaires, dans les rues désertées de Sviatohirsk. Au premier plan, Vladimir, commandant de 43 ans.

 

Responsable du canton de Sviatohirsk, une ville à une vingtaine de kilomètres de là, Vladimir Rybalkin commande plusieurs dizaines de femmes et d’hommes armés, chargés de capturer d’éventuels groupes de reconnaissance russes infiltrés pour préparer l’offensive. « Même à Sviatohirsk, personne n’est en sécurité. Les gens ne réalisent pas que nous sommes à portée de tirs de mortiers, et je ne parle même pas des roquettes ».

 

 

 

Dimanche, les forces russes n’étaient qu’à 7 kilomètres de la ville, où l’on entendait en permanence le vacarme des explosions. L’armée ukrainienne a d’ailleurs préventivement fait sauter l’énorme pont de Bohorodychne pour prévenir une attaque venant de l’ouest. « Il est clair que les bombardements russes s’intensifient chaque jour et s’étendent géographiquement », constate Vladimir Rybalkin.

 

« Défendre Sviatohirsk jusqu’au bout »

 

Située à 30 kilomètres au nord de Sloviansk, Sviatohirsk est l’un des cinq lieux les plus sacrés de l’orthodoxie russe et ukrainienne. Son monastère, niché à flanc de falaise, est une merveille architecturale et un symbole d’ancrage local pour le patriarcat de Moscou. Ici, paradoxalement, la guerre a effacé de profonds antagonismes. Le 24 février, aux aurores, alors que les premiers missiles russes frappaient la région, le commandant de la défense territoriale enterrait la hache de guerre avec son ancien rival pour la mairie de Sviatohirsk, Vladimir Bandura. Vladimir Rybalkin se présentait sous les couleurs de Holos, un parti proeuropéen opposé à la plate-forme d’opposition prorusse Pour la vie (OPZJ) de M. Bandura, qui a finalement remporté le scrutin. Aujourd’hui, ce dernier minimise l’étiquette OPZJ et clame sa loyauté totale envers l’Ukraine. « Je suis prêt à défendre Sviatohirsk jusqu’au bout contre les envahisseurs, affirme ce trentenaire corpulent. Les services communaux continuent de fonctionner, et nous distribuons de l’aide humanitaire aux nombreux déplacés qui sont venus se réfugier ici. Un tiers des 9 000 habitants sont restés. »

Réaliste, le maire ne croit pas que l’importance du monastère dans le monde orthodoxe soit un frein contre la destruction. L’entrée de l’édifice, pourtant affilié au patriarcat de Moscou, a déjà été endommagée par un bombardement aérien russe le 12 mars. « Tout peut arriver ici, ce qui s’est passé à Marioupol et à Kharkiv en est la preuve », prévient le maire. Izioum, ville à 30 kilomètres au nord-ouest, d’où vient l’attaque russe, a aussi été quasiment rasée.

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Source : Le Monde

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