La Cour suprême va-t-elle supprimer la discrimination positive dans les facs américaines ?

Slate – En se saisissant de deux affaires liées aux pratiques d’«affirmative action», la plus haute juridiction des États-Unis pourrait décider de mettre fin aux dispositifs permettant aux minorités d’intégrer de prestigieuses universités.

Le lundi 24 janvier, la Cour suprême des États-Unis a accepté de se saisir de deux affaires liées aux pratiques de discrimination positive (affirmative action, en anglais) dans les universités. Au vu des derniers précédents, elle pourrait décider de mettre fin à ce dispositif en vigueur depuis plusieurs décennies et destiné à permettre aux minorités d’accéder à l’université.

Après le droit à l’interruption volontaire de grossesse ou le droit de porter une arme, la plus haute juridiction fédérale semble poursuivre une feuille de route visant à revenir sur les jurisprudences majeures des cours des chief justices Warren et Burger (1953-1986), dont l’héritage plutôt progressiste comprend des errements majeurs pour les tenants du sens originel de la Constitution.

 

L’«affirmative action» en question

 

Désormais consolidées, les deux affaires Students for Fair Admissions, Inc. v. University of North Carolina et Students for Fair Admissions Inc. v. President & Fellows of Harvard College ont pour objectif d’en finir avec les pratiques de discrimination positive appliquées lors du processus de sélection à l’université. Si la Cour y consentait, cela mettrait fin à une pratique autorisée depuis 1978 et l’affaire Bakke.

À l’issue de cette affaire très disputée, le juge Lewis Powell avait considéré que toute classification raciale devait être jugée à l’aune du standard de contrôle juridictionnel le plus strict (strict scrutiny): la classification doit alors répondre à un «intérêt impérieux» et être mise en œuvre de la manière la plus étroite possible. Pour le juge Powell, le seul motif impérieux pouvant justifier le recours à des critères raciaux réside dans les avantages à bénéficier d’un corps étudiant diversifié. Par conséquent, si les quotas raciaux constituent une violation de la clause d’égale protection du 14e amendement, l’utilisation d’un critère racial peut être autorisée dans la mesure où les deux conditions précédemment mentionnées sont remplies.

«Je crois que les Noirs peuvent réussir dans tous les domaines de la vie américaine sans l’ingérence des administrateurs universitaires.»

Clarence Thomas, juge à la Cour suprême

Le début des années 2000 voit l’apparition de deux jurisprudences majeures: Gratz v. Bollinger et Grutter v. Bollinger. Ces deux décisions, bien que confirmant la possibilité de recourir à des critères raciaux, rencontrent le scepticisme grandissant de l’aile originaliste de la Cour suprême –qui est attachée au sens originel de la Constitution, celui de l’époque de sa proclamation.

«Comme [Frederick] Douglass, je crois que les Noirs peuvent réussir dans tous les domaines de la vie américaine sans l’ingérence des administrateurs universitaires […] La Constitution ne tolère cependant pas la dévotion institutionnelle au statu quo dans les politiques d’admission lorsque cette dévotion se transforme en discrimination raciale», a ainsi souligné le juge Clarence Thomas dans Grutter. Pour les tenants de l’interprétation conservatrice de la Constitution, la discrimination positive est contraire aux dispositions du 14e amendement.

 

En 2013 et 2016, l’affaire Fisher v. University of Texas vient à nouveau remettre la question de la discrimination positive au cœur de la machine judiciaire. «Fisher II», décidée en 2016, ne confirme l’utilisation d’un critère racial au sein de l’Université du Texas que d’une très courte majorité (4-3). Pour les juges Alito, Thomas et Roberts «[il] est toutefois révélateur que la majorité ne consacre qu’une seule phrase conclusive à la solution de rechange neutre sur le plan racial la plus évidente: un examen holistique, sans égard à la race, qui tient compte des caractéristiques uniques et des circonstances personnelles du demandeur». Redessinée par trois nominations sous le mandat de Donald Trump, la Cour suprême où siègent désormais les juges Gorsuch, Kavanaugh et Barrett, pourrait porter le coup de grâce à l’affirmative action.

 

La feuille de route originaliste

 

Anti-IVG, pro-chrétienne, pro-armes… La Cour suprême présidée par le juge Roberts semble poursuivre une feuille de route vers un corpus jurisprudentiel profondément refondé par l’interprétation originaliste et textualiste de la Constitution: il s’agit, rappelons-le, d’une théorie interprétative selon laquelle la Constitution est un texte mort qui doit être interprété textuellement et avec la signification qu’il avait au moment de sa ratification.

«La Constitution abhorre les classifications fondées sur la race.»

Clarence Thomas, juge à la Cour suprême

Mentor de la juge Amy Coney Barrett, le juge Antonin Scalia considérait la discrimination positive comme «illégale, immorale, inconstitutionnelle, intrinsèquement mauvaise et destructrice de la société démocratique». Des mots qu’il avait empruntés au professeur Alexander Bickel, réputé pour son inclination pour la retenue judiciaire (judicial restraint).

Selon le juge Clarence Thomas, «[l]a Constitution abhorre les classifications fondées sur la race, non seulement parce que ces classifications peuvent nuire aux races favorisées ou sont fondées sur des motifs illégitimes, mais aussi parce que chaque fois que le gouvernement inscrit les citoyens sur des registres raciaux et que la race est prise en compte dans l’octroi de charges ou d’avantages, il nous rabaisse tous». Allié au juge Alito et aux côtés du chief justice Roberts dans Fisher II, le juge Thomas siège aujourd’hui dans une Cour suprême qui dispose maintenant d’une majorité à même de renverser l’historique jurisprudence Bakke et celles qui lui ont succédé.

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Sébastien Natroll

Édité par Hélène Decommer

Source : Slate

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