Les « sexpertes », ces Africaines qui brisent les tabous

 Jeune Afrique  – Dans des pays et communautés où la sexualité est souvent passée sous silence, de plus en plus de femmes s’emparent de leurs micro, plume ou clavier pour parler sans filtre des questions intimes.

« Dans les médias, la sexualité des Africaines est toujours traitée de manière étriquée, à travers l’unique spectre de la maladie, du HIV ou des grossesses à répétition », déplore Nana Darkoa Sekyiamah, chroniqueuse et autrice ghanéenne installée à Londres. Si l’accès universel aux services de santé sexuelle et reproductive (SSR) demeure une question centrale en Afrique de l’Ouest, la co-fondatrice du blog Adventures From Bedrooms of African Women (Aventures depuis la chambre à coucher des femmes africaines) souhaite partager d’autres narrations. Sexe hors mariage, relations interraciales, à trois, asexualité ou questionnements d’ordre pratique et anatomique (par exemple : « comment réagir face à une panne ? »)… Aucun sujet sexo n’échappe à celle qui a pourtant grandi dans un pays très religieux et étudié dans une école catholique d’Accra.PUBLICITÉ

Polygamie et polyamour

Aux oubliettes les rapports à but procréatif et place à la recherche du plaisir. « Il s’agit d’un espace ouvert aux femmes africaines dans lequel on peut parler de sexe librement et honnêtement », résume-t-elle. Plus de dix ans après la création de son blog, Nana Darkoa Sekyiamah continue son travail de partage d’expériences libidinales avec Sex Lives of African Women (éditions Little Brown Book Group, juillet 2021), une fresque sociologique sur les vies amoureuses et intimes des ménages africains à travers les témoignages de femmes venues de 30 pays du continent.

Nura – le prénom a été modifié par l’autrice – une Kényane de 42 ans mariée à un Sénégalais, raconte par exemple sa difficulté à s’intégrer au sein d’un ménage polygame, et explique avoir le sentiment que sa vie sexuelle est soumise à un calendrier et à l’endurance variable de son époux. « “Oh mon Dieu, je suis fatigué ! s’est exclamé un jour mon mari. Je croyais qu’on allait faire l’amour qu’une fois par mois ». (…) Il pensait sûrement qu’à 40 ans, ma libido allait décliner », relate-elle.

Kaz Karen Lucas entend « décoloniser la sexualité » en invitant gynécologues, obstétriciennes et autres sexologues

Relations hétérosexuelles ou LGBT, monogames, polygames ou polyamoureuses… Un large spectre des différentes façons de vivre sa sexualité et l’amour au XXIe siècle est passé au crible de l’éducatrice sexuelle, comme Nana Darkoa Sekyiamah – elle-même polyamoureuse et bisexuelle – aime se définir. Des pratiques et préférences que cette expatriée peut plus facilement aborder en Grande-Bretagne, les relations homosexuelles étant interdites au Ghana.

Sans jugement

Parler sexualité sans jugement et sous couvert d’anonymat, c’est aussi le parti pris des animatrices soudanaise et jordanienne du podcast Jasadi (Mon corps), lancé en 2019 par la société de production Kerning Cultures, basée au Émirats Arabes Unis. Nommée meilleur podcast au Moyen-Orient et en Afrique du Nord par la société Apple, cette émission invite les femmes à interroger les tabous liés à la sexualité et au corps féminin dans les sociétés arabes. « Pas un seul mot se référant à notre anatomie sexuelle n’est utilisé de manière normale », déplore l’une des invitées. Une autre dit quant à elle regretter le recours systématique aux anglicismes pour nommer les organes génitaux féminins, ou bien les moqueries que suscite le terme « mahbal » (« vagin » en arabe) phonétiquement proche du mot « ahbal » (stupide), dans les cours de récréation.

Fossé orgasmique, plaisir féminin en solitaire, sex toys… Une liberté de ton qui fait rimer sexe avec émancipation

Pour ces « sexpertes », plus question d’éluder et d’avoir recours à des emprunts lexicaux ou un vocabulaire enfantin pour définir l’anatomie sexuelle. Il est en revanche urgent de s’affranchir du discours hétéronormatif dominant. « P comme pansexuel, Q comme queer, R comme Rim Job (anulingus) »… Voilà le genre d’abécédaire sexuel que l’on peut découvrir sur la page Instagram du podcast à succès The Spread (« la propagation »), créé par la Kényane Kaz Karen Lucas, 38 ans. Elle-même lesbienne et non-binaire – elle utilise les pronoms she/they (iel) –, l’ex-rappeuse est devenue en 5 saisons et près de 90 épisodes une référence pour la communauté LGBTQI+, dans un pays où le film Rafiki (de la réalisatrice kényane Wanuri Kahiu) a été temporairement censuré par les autorités pour apologie du lesbianisme. L’animatrice entend « décoloniser la sexualité » avec sérieux en invitant gynécologues, obstétriciennes et autres sexologues à prendre la parole dans son émission.

Lire la suite

Eva Sauphie

Source : Jeune Afrique

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page