Exactions et prédations minières : le mode opératoire de la milice russe Wagner en Afrique

Des documents sécuritaires consultés par « Le Monde » dressent un tableau des activités de la société de mercenaires russe en Centrafrique, au Mozambique et en Libye. Au Mali, l’implantation du groupe est par ailleurs en train de se formaliser sur une zone aurifère.

 Le Monde – Alors que l’Union européenne a sanctionné, lundi 13 décembre, le groupe paramilitaire russe Wagner ainsi que huit personnes et trois sociétés lui étant liées pour ses « actions de déstabilisation » en Ukraine et en Afrique, Le Monde a pu consulter des documents sécuritaires synthétisant les méthodes de la très controversée société de mercenaires. Des notes qui recensent ses contrats, ses équipements, ses relais, mais aussi, photos à l’appui, les accusations d’exactions – pillages, tortures, arrestations arbitraires – visant le groupe. Dans la seule République centrafricaine (RCA), plus de deux cents accusations sont recensées depuis décembre 2020. Le tout confirme que sous couvert d’offre sécuritaire, Wagner est une savante entreprise de prédation des ressources et de prise de contrôle violente des pays faisant appel à elle.

A ce stade, le Mali n’apparaît pas dans ces documents concentrés autour des manœuvres de Wagner en Libye, au Mozambique, et en RCA. Selon des témoignages concordants, et malgré d’insistantes rumeurs, les mercenaires de Wagner ne se sont pas formellement déployés dans ce pré-carré historique de la France, où l’état-major des armées, après huit ans de guerre, est en train de mener une délicate réduction de voilure de l’opération « Barkhane ». Mais les choses pourraient rapidement évoluer.

 

Selon une source proche du dossier, un pion avancé de Wagner a en effet pris ses quartiers au Mali, depuis fin octobre. Son métier : géologue. Son nom : Sirgeï L. Et sa mission : prospecter les mines d’or. L’intérêt de Wagner pour le secteur minier malien n’est pas nouveau. Mais le fait que la société ait désormais un spécialiste sur le terrain pourrait confirmer que c’est bien par cette porte que la société paramilitaire compte s’implanter au Mali.

 

« Noyautage »

 

C’est dans la région de Menankoto, dans le sud du Mali, que le géologue russe concentrerait ses efforts. Une zone réputée à fort potentiel aurifère et peu contrôlée par l’Etat central. Sirgeï L. aurait été rejoint depuis par un juriste russe, Andreï M., directeur d’une société minière déjà liée à Wagner en RCA. Aidés notamment par le chef de l’armée de l’air malien – pro-russe –, les deux hommes s’activeraient pour accéder aux hautes autorités du Mali, en particulier à un interlocuteur clé : le conseiller juridique du ministère des mines, de l’énergie et de l’eau.

 

Ce modèle d’implantation, s’il se concrétise, serait à l’opposé de celui qui a prévalu en Centrafrique. Dans ce pays d’Afrique centrale, elle aussi ancienne colonie française, c’est d’abord par la voie militaire, à partir de 2018, que Wagner s’est positionnée, avant d’étendre ses filets aux sphères politiques, économiques et informationnelles. Et ce, même si Wagner espérait dès le départ « retirer des gains économiques de son investissement » au-delà de son « objectif de rayonnement international », comme l’indiquent les documents consultés par Le Monde.

 

Comme au Mali, il aura toutefois fallu en RCA à Wagner un facilitateur. Les notes consultées pointent du doigt le nouveau ministre de la défense centrafricain : Rameaux-Claude Bireau, nommé en juin. Jusque-là, l’homme était simple conseiller à la présidence chargé de l’économie. Mais ces dernières années, c’est lui qui aurait « noué les premiers contacts » avec les dirigeants de Lobaye Invest, la société gérant les intérêts de Wagner en RCA dans les domaines économiques et de l’influence. L’ascension de Rameaux-Claude Bireau se serait faite en parallèle du « noyautage » de tous les échelons politico-militaires du pays, avec le remplacement progressif des principaux responsables « considérés comme francophiles » : chef d’Etat-major des armées, directeur de la gendarmerie et de la police, président de l’assemblée nationale.

 

De nombreuses exactions

 

Si Wagner a pour l’instant réussi – avec le soutien officiel de la Russie qui a envoyé temporairement des hélicoptères – à maintenir au pouvoir les autorités centrafricaines ayant fait appel à elle fin 2020, cela ne s’est pas fait sans dommages collatéraux. En accompagnant, au printemps, la reconquête de l’armée régulière sur des territoires détenus par des groupes rebelles – la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) –, les mercenaires de Wagner se sont retrouvés mêlés indirectement à de nombreuses accusations : viols, réquisitions forcées, exécutions sommaires, etc. Certains mercenaires sont aussi directement accusés « de tirs fratricides contre des soldats centrafricains jugés peu combatifs », selon les notes consultées.

 

Ces exactions ont principalement touché les minorités musulmanes, peules surtout, de RCA, soupçonnées de soutenir les rebelles, donc « délibérément ciblées » par les forces centrafricaines, poursuivent les mêmes documents. Une situation qui fait là encore écho au contexte malien, où les Peuls sont souvent accusés de soutenir les djihadistes. Dans le cas centrafricain, ces dérives pourraient alimenter un discours de vengeance de la part des groupes rebelles et le risque d’un basculement de la RCA « dans un nouveau cycle de violences », estiment les auteurs des documents consultés.

Après la phase « militaire », Wagner serait bien passée à une étape de « stabilisation ». Au-delà du contrôle des douanes, d’une mainmise sur l’armée (contrôle de la distribution des armes et des récompenses, toute absence considérée comme une « désertion »), c’est sur l’exploitation des ressources (mines et bois notamment) que la société paramilitaire se concentrerait. Son objectif serait de passer à une phase plus « industrielle » par le biais de matériel d’extraction plus performant et une réforme du code minier. Mais Wagner continue d’être accusée d’exactions. Rien qu’au mois d’octobre, ses mercenaires en RCA sont soupçonnés d’avoir commis plusieurs pillages, demandes de rançons contre la libération de civils et cas de torture.

 

Méthodes « inadaptées au combat contre-insurectionnel »

 

Si leur attribution formelle est toujours périlleuse, prennent soin de préciser les rédacteurs des notes consultées par Le Monde, le fait qu’un certain nombre de ces exactions aient été perpétrées par les mercenaires russes souffre peu de contestation. Or dans deux cas au moins, « alors qu’il disposait d’informations sur l’implication probable des Russes », le gouvernement centrafricain aurait délibérément choisi de soutenir son allié et d’accuser les rebelles. Ces cas concernent la mort, en juillet, de 13 personnes dans un village de l’ouest de la RCA (quatre mercenaires de Wagner sont soupçonnés) et l’assassinat, en juin, du maire d’un village dénommé Koui.

 

Au Mozambique, c’est dans le domaine militaire que l’analyse des actions de Wagner apparaît peu reluisante. L’aventure aura même été plutôt désastreuse, puisqu’en quatre mois seulement – d’août à décembre 2019 – les mercenaires de la société militaires ont dû abandonner le terrain face à la multiplication des déconvenues. Initialement sollicités par le président mozambicain Filipe Nyusi, inquiet de la montée en puissance d’une insurrection djihadiste dans le nord du pays, les hommes de Wagner sont apparus « mal préparés », et usant de méthodes « inadaptées au combat contre-insurectionnel ». En clair, peu armés pour répondre au contexte spécifique de lutte contre des groupes terroristes islamistes.

 

Un important appui logistique russe à Wagner – « possiblement de forces spéciales » – était pourtant prévu. De nombreuses rotations aériennes et maritimes pour du transport d’hélicoptères, de véhicules et de munitions ont été constatées. Un volet minier a été aussi conclu d’emblée. Mais très vite, les 160 à 200 mercenaires déployés par Wagner ont accumulé les pertes : huit à dix morts dès le mois d’octobre, avec au moins une dizaine de blessés, selon les documents. Des tensions seraient ensuite apparues avec les forces mozambicaines, dont certains tirs auraient conduit à la mort de plusieurs paramilitaires russes. Au point qu’il n’y avait plus de patrouilles communes dès le mois de décembre 2019.

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Elise Vincent

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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