Au Soudan, un retour aux méthodes répressives de l’ancien régime

La junte poursuit la répression des manifestants et procède à des purges, ouvrant la voie à d’anciens cadres de l’ère Al-Bachir.

 Le Monde – Il y a, au Soudan, un air de déjà-vu depuis le coup d’Etat du 25 octobre. La junte conduite par le général Abdel-Fattah Al-Bourhane n’a pas seulement renversé les autorités de la transition qui devait aboutir, en 2023, à des élections démocratiques. Elle œuvre aussi à ramener le pays presque deux ans en arrière, à l’époque du régime « kezan », celui de l’ex-dictateur, Omar Al-Bachir, renversé, en avril 2019, au terme de quatre mois de révolution populaire.

On l’observe déjà aux méthodes employées pour tenter d’écraser le soulèvement populaire déclenché par le coup d’Etat. De nouveau sont lâchées dans les rues des flottes de pick-up avec, à leur bord, des éléments armés, certains en civil, qui dispersent les manifestants par la violence, y compris avec des tirs à balles réelles, ou de gaz lacrymogène dans les maisons. Les passages à tabac se multiplient, touchant même les familles des personnes suspectées de faire partie des structures clandestines de la contestation. Les comités de résistance ont retrouvé leur organisation de 2019. Mais la répression bat son plein. Une centaine d’arrestations ont déjà eu lieu, touchant les responsables de la contestation et des figures de la sphère politique, comme Yassir Arman, numéro deux d’un ancien groupe armé rebelle, le SPLM-Nord (Mouvement populaire de libération du Soudan), qui était devenu le conseiller du premier ministre de la transition, Abdallah Hamdok, et avait refusé de fuir le Soudan lors du putsch. Un représentant de l’Association des professionnels soudanais évalue à 270 le nombre d’arrestations dans tout le pays.

Abdallah Hamdok, le « technocrate » qui a fait toute sa carrière dans les institutions internationales, avant de rentrer au Soudan, en 2019, pour prendre la tête du gouvernement de transition, est désormais en résidence surveillée à son propre domicile. Sa garde vient d’en être renforcée. Le premier ministre déchu a des problèmes de santé, notamment du diabète pour lequel il a demandé d’avoir la possibilité d’effectuer ses analyses habituelles avec son médecin. Mais c’est celui du général Al-Bourhane qui s’est présenté à lui. Les militaires de la junte espèrent qu’à force de pressions M. Hamdok finira par plier et par prendre la tête d’un gouvernement fantoche, susceptible de convaincre les institutions financières internationales de poursuivre la normalisation du Soudan et de permettre au pays d’accéder à des facilités d’emprunt sans lesquelles aucune amélioration de l’économie n’est envisageable.

 

Un « calendrier révolutionnaire »

 

Ces intentions se heurtent à plusieurs obstacles. La volonté d’Abdallah Hamdok, d’abord, qui refuse ce marché de dupes, mais aussi celle des manifestants qui ont repris les rues de plusieurs villes du Soudan, dont Khartoum. Dimanche 7 et lundi 8 novembre, deux nouveaux jours de grève générale ont été organisés. La contestation est menée par les comités de résistance, des réseaux de quartier qui ont mis en place un « calendrier révolutionnaire » pour maintenir la pression sur la junte. Chaque soir, des barricades sont dressées, des discours improvisés sur des scènes de fortune ou autour de pneus brûlés. Ces comités, aux côtés d’organisations de la société civile, appellent à une nouvelle « marche du million » samedi 13 novembre.

Selon Suliman Baldo, spécialiste du Soudan pour l’organisation The Sentry, les militaires ont encore du chemin à faire avant de parvenir à briser le mouvement populaire. C’est même une « erreur de jugement des généraux » que d’avoir cru l’opinion publique lassée par les difficultés du gouvernement de transition à améliorer les conditions de vie. La population, escomptaient-ils, se ferait une raison au sujet du coup d’Etat, à condition de préserver certaines apparences, comme un gouvernement civil. Pour cela, ils avaient préparé le terrain, bloqué l’approvisionnement en orchestrant des troubles à Port-Soudan, le grand port de l’est du pays, pour chauffer les mécontentements, et noué des alliances avec les responsables de deux anciens mouvements rebelles du Darfour, Gibril Ibrahim et Minni Minnawi. Tous deux, selon des sources concordantes, ont désormais des éléments prenant part à la répression dans les rues de Khartoum, aux côtés des unités du renseignement militaire, de la police antiémeute et des Forces de soutien rapide du général Mohammed Hamdane Daglo, alias « Hemetti ».

Parallèlement, les responsables de la junte peinent à dissimuler leur manque d’allant pour négocier un retour à la situation d’avant le coup d’Etat. L’envoyé spécial de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, a pu le constater, lors de sa rencontre avec le général Al-Bourhane, le 3 novembre. Ce dernier lui a fait part de sa « lecture » de la situation, affirmant sans ciller être « passé à l’action pour permettre aux civils de mieux préparer les élections. » Il a ensuite promis à l’ancien président nigérian d’organiser une rencontre avec Abdallah Hamdok, qui n’a jamais eu lieu.

 

« Poudre aux yeux »

 

Le lendemain, prétendant toujours faire preuve de bonne volonté, le général a ordonné la libération de quatre ministres emprisonnés. Sans convaincre quiconque. « C’est de la poudre aux yeux pour faire bonne figure devant les médiateurs internationaux », juge Riyah Saddiq, l’un des porte-paroles des Forces de la liberté et du changement (FFC), la coalition politique civile qui devait prendre bientôt la direction du conseil de souveraineté, l’organe exécutif de la transition, dirigé jusqu’ici par le général Al-Bourhane. Une source au fait des négociations constate d’ailleurs : « Le grand écart continue. D’un côté, on voit les déclarations lénifiantes : on va avoir un gouvernement, on y est presque…. De l’autre, les arrestations se multiplient comme le démantèlement de l’Etat… »

Les généraux de Khartoum sont en train de procéder à des purges. Ainsi, l’historienne Fadwa Abdel Rahman Ali Taha, doyenne de l’université de Khartoum, a été limogée pour avoir pris position contre le putsch. Ces mesures ouvrent aussi la voie à un retour en force discret de cadres de l’ancien régime. Dimanche, le général Al-Bourhane a limogé les directeurs de cinq grandes banques publiques et nommé à la tête de la banque centrale Mohammed Jamil, ancien directeur de la Banque nationale d’Omdourman, connue pour être celle de l’armée soudanaise. Dans chaque région, les nouveaux gouverneurs par intérim se débarrassent de nombreux fonctionnaires installés dans les administrations depuis deux ans. A Khartoum, le gouverneur Ahmad Othman Hamza a limogé en quelques jours une dizaine de conseillers.

 

« Les islamistes remplissent le vide »

 

Quelques heures après la libération des quatre ministres de la transition, le 4 novembre, l’avocat Taha Osman a été arrêté en même temps que deux responsables politiques civils, Sharif Mohamed Osman et Hamza Farouk, en sortant d’une rencontre au bureau de Volker Perthes, chef de la Mission intégrée des Nations unies pour l’assistance à la transition au Soudan (Minuats), faisant ainsi une double démonstration : celle du mépris dans lequel les généraux tiennent les institutions internationales, mais aussi ce qui constitue leurs priorités.

M. Farouk est l’un des dirigeants du Congrès du parti soudanais, le seul parti politique « classique » ayant pris part à la contestation dès son début, en décembre 2018, menée alors par des groupes issus de formations professionnelles, avocats, médecins, professeurs. Taha Osman, de son côté, était jusqu’ici l’un des dirigeants du Comité de démantèlement du régime du 30 juin (c’est-à-dire du pouvoir dirigé par Omar Al-Bachir pendant trente ans). Cette instance s’était attaquée aux possessions de généraux, en plus de piliers du régime « kezan », et menaçait d’aller plus loin dans la « débachirisation » du Soudan. Il aurait même été sur le point de s’attaquer au secteur de l’extraction et de l’exportation d’or, où se côtoient des responsables militaires, des compagnies russes et « Hemetti ».

Au-delà de ces évictions, plusieurs sources s’inquiètent de voir la situation ouvrir la voie aux « kezan », les fidèles de l’ancien parti au pouvoir, le Parti du Congrès national (NCP), d’Omar Al-Bachir. S’agit-il d’une pure manœuvre technique de la part des généraux, ou un projet de retour aux affaires des islamistes est-il en cours ? Il est encore impossible de le déterminer avec certitude. « Al-Bourhane n’a pas de cadres civils sur lesquels s’appuyer, par conséquent les islamistes remplissent le vide. Ils ont fait sortir leurs cadres dormants et les injectent dans les institutions », analyse M. Baldo. Le 5 novembre, le général a limogé l’ensemble des conseils d’administration des entreprises publiques et des grands projets agricoles nationaux, dont le projet de la Gezira, pour en remplacer les membres par des hommes proches du pouvoir.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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