Sénégal – MARSOULOU, UN VILLAGE DE SECRETS ET DE MYSTIQUE

Peuplée uniquement de Sérères avec comme activités principales la pêche et l’agriculture, cette localité est mystique. Aucune autorité n’y entre sans autorisation, au risque d’être destituée

Marsoulou, en plus de ses fromagers mythiques où des séances de prières sont organisées pour bénir et protéger les habitants du village, est également une terre bénite dont le sable soigne des blessures au couteau. Merveille aux facettes multiples, Marsoulou la lointaine est une île entourée d’une végétation luxuriante. Des fromagers et des manguiers offrent un beau paysage aux visiteurs. Située entre les deux fleuves, le Sine et le Saloum, la localité est un paradis terrestre, mais difficile d’accès.

Après avoir bravé des kilomètres pour rallier le village touristique de Ndangane Sambou, puis une traversée en pirogue d’une dizaine de minutes, on foule le sol de Marlodj. De là, il faut encore faire un périple de 15 mn en charrette pour joindre Marsoulou. Le charretier, Baye Fall, c’est son nom, fait de bonnes affaires avec ce mode de transport hippomobile à travers ses navettes dans les îles de Mar. En contact avec les piroguiers de l’autre rive, à Ndangane campement, qui font traverser les voyageurs pressés, son téléphone ne cesse de sonner pour des besoins de location. L’autre alternative qui s’offre au visiteur, c’est de prendre «le courrier», c’est-à-dire la pirogue qui assure quotidiennement, toutes les deux heures, la navette à partir de Ndangane village vers l’île de Marlodj. «Plusieurs voyageurs préfèrent l’attendre puisque le prix du transport est fixé à 300 FCfa», nous explique ce jeune habitué des lieux, en partance pour l’île de Marlodj.

Mais à Soulou ou Marsoulou, le village est paisible. Le gazouillement des oiseaux est le son qui accompagne les voyageurs hormis les pas du cheval. Avec des bâtis uniquement en dur, la localité respire le calme et la sérénité. Mama Thior est le patriarche et Imam du village. Trouvé sous l’arbre à palabre dans sa maison, en compagnie de son jeune frère Mamadou Thior, le chef de village et Lamine Mané, un notable, ils acceptent de nous conter l’histoire de la création de Marsoulou.

Un Socé nommé Kanguel a fondé le village

Ce village, selon l’Imam et patriarche, Mama Thior, «a été fondé par un Socé du nom de Kanguel, un conquérant qui avait quitté le Gabou en compagnie de sa sœur Sokhna et de son neveu Pambal. Ils étaient poursuivis par le roi de l’époque pour avoir colorié un poulet». Ainsi, poursuit l’Imam, «pour échapper à la sentence, ils quittent Gabou, traversent Sankkoyangue, Chounang, Walycounda, Kalycounda, Ndiambilor, Albatar, Pakao avant d’arriver à Sangomar et à Diakhanoor (actuelle Palmarin). De là, ils rencontrent Maïssa Waly Dione Mané qui est allé créer le village de Mbissel, tandis que Kanguel et sa famille continuent le voyage avec Sounkarou, jusqu’à Ndangane». Une fois sur place, ils sont rattrapés par la faim. Ils décident alors d’aller chasser. C’est ainsi qu’avec leurs flèches, ils touchent un gibier qui est tombé mais qui s’est ensuite relevé. «En boitant, le gibier traverse le fleuve. Il sera suivi par les chasseurs Sounkarou et Kanguel jusqu’à une île déserte. Sounkarou allume un grand feu et retourne avec son ami Kanguel. Le lendemain, il revient et trouve que le feu avait consumé tout sur son passage jusqu’à deux km à la ronde et décide d’y habiter. Son ami allume un autre feu qui s’est étendu jusqu’à 5 km plus haut et où il décide d’y vivre avec sa famille», fait savoir le chef du village.

Sous un fromager, ajoute l’Imam Thior, «Kanguel jetait des petites racines d’arbres qu’il utilisait pour soigner. À la fin de chaque séance, il demandait à son fils ou à sa femme en socé d’aller jeter le restant des racines sous le fromager : Ta Soulingo. Et, c’est ainsi qu’est venu le nom de Marsoulou».

Un village où l’autorité n’est pas la bienvenue

Soulou est un village riche de ses secrets et pouvoirs mystiques reconnus de tous, avec une population estimée à près de 500 âmes et qui s’étend sur 3,5 km de long et 1,5 km de large. Ici, comme dans beaucoup de villages du Sine, on incarne aussi ses pouvoirs et interdits. C’est un petit village de pécheurs et d’agriculteurs qui a jalousement conservé le legs des anciens. «En effet, dans notre localité, toute personne incarnant l’autorité ne doit pas y séjourner au risque d’être destituée», nous renseigne Imam Mama Thior. Il explique l’origine de ce don. «Comme je l’ai dit tantôt, le fondateur de ce village était un guérisseur et un savant. Il voulait protéger sa terre, c’est pourquoi il a fait en sorte qu’aucune autorité ne puisse y séjourner. Ici, quand une autorité venait, elle s’arrêtait à l’entrée du village et envoyait un messager pour qu’on appelle le chef. Ce dernier allait à sa rencontre. Mais si par malheur l’autorité entre dans le village, elle risque d’être poursuivie par des abeilles qui la feront ressortir d’ici. Si elle réussit à entrer dans le village, une fois de retour, elle sera destituée de ses fonctions. Jusqu’à présent, les enfants de ce village qui portent des tenues (militaires, gendarmes, policiers, douaniers, sapeurs-pompiers, préfet ou autres) en arrivant au village, se déshabillent à Ndangane avant de fouler la terre de leurs ancêtres», révèle le vieux Mama Thior, Imam de Marsoulou. Il ajoute que «d’aucuns disent que cela n’existe plus, mais personne ne veut prendre le risque en essayant d’enfreindre cet héritage que nos ancêtres nous ont légué, et cela on n’y peut rien».

Kanguel, le fromager béni

Kanguel est le nom du génie protecteur de Marsoulou. D’après Mamadou Thior, le chef de village, il avait demandé à être enterré sous le fromager et avait garanti aux populations que les prières qui seront dites sur sa tombe seront exaucées. «Kanguel est notre protecteur. Il est à l’entrée du village. C’est lui qui a fondé l’île de Marsoulou. Il avait demandé à être enterré au pied du fromager. Il avait garanti à sa descendance que toutes les prières qui seront formulées sur sa tombe seront exaucées. Depuis lors, nous nous rendons là-bas régulièrement pour prier et demander nos vœux qui sont toujours exaucés.  Des centaines de personnes viennent ici solliciter des prières devant sa tombe».

Le chef de village d’ajouter aussi que Sokhna, la sœur de Kanguel, est enterrée non loin de là. Et son domaine, c’est la protection des enfants. «Dans le village, aucune femme ne porte son enfant sur son dos sans sa bénédiction, sinon il sera gravement malade. La femme à l’obligation de venir sur sa tombe, on fait les sacrifices nécessaires avant qu’elle n’ait le droit de porter son enfant sur son dos. C’est pareil pour le sevrage. La femme devra obligatoirement retourner auprès de la tombe de Sokhna pour obtenir sa bénédiction avant le sevrage, sinon l’enfant ne sera pas bien portant».

Le sable soigne une coupure de couteau

Dans les mystères de l’île de Marsoulou, il y a le secret lié à son sable. Alors qu’ailleurs les blessés sont évacués dans les hôpitaux ou structures de santé, à Marsoulou, un blessé au couteau est juste soigné par le sable. «L’autre richesse de Marsoulou est la terre. Telle que vous le voyez, le sable constitue pour nous de l’or. Car, ici, quand une personne est blessée par un couteau, on ne court pas voir un médecin. La seule chose que les ancêtres nous ont légué, c’est de prendre un peu de la terre et de la mettre sur la plaie. Ce petit geste guérit la plaie. La personne blessée n’a pas besoin d’aller à l’hôpital pour ça. Marsoulou a un legs que nous avons essayé de garder, malgré la présence de la religion», a indiqué Mama Thior, l’Imam du village.

 

Marie Bernadette SÈNE et Mouhamadou SAGNE

 

 

Le Soleil

 

 

 

 

 

 

Source : Seneplus (Le 28 août 2021)

 

 

 

 

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