Dans une conjoncture économique grevée par la crise sanitaire liée au Covid-19, le recrutement de l’attaquant argentin Lionel Messi par le Paris-Saint-Germain (PSG), lourdement déficitaire et à la masse salariale déjà importante, témoigne des faiblesses de la réglementation des finances des clubs de football, fait valoir Jean-François Brocard, maître de conférences au Centre de droit et d’économie du sport de l’université de Limoges.
Le recrutement de Lionel Messi par le PSG, en plus d’autres embauches réalisées ces dernières semaines, conduit à s’interroger sur l’efficacité des règles de bonne gestion dans le football. Le fair-play financier, institué par l’Union des associations européennes de football (UEFA) sert-il encore à quelque chose ?
Le fair-play financier était une évolution, voire une révolution, dans le cadre de la gestion des clubs. Il est aujourd’hui mis à mal, à la fois par la décision des instances judiciaires en Europe – il est souvent remis en cause, soit par le Tribunal arbitral du sport, soit par la Cour européenne de justice –, mais aussi par la réticence de certains clubs.
Le Covid-19 a porté un coup supplémentaire à la capacité et à la volonté de réguler les clubs. Le fair-play financier a été assoupli, et on se demande même s’il existe encore. Dans quelle mesure, demain, l’UEFA pourra dire : « On revient aux règles de départ » ? Les différentes instances ont envie de sauver les clubs en se disant que, finalement, on verra plus tard comment en développer une gestion pérenne.
La situation bénéficie-t-elle particulièrement à des clubs comme le PSG ou Manchester City ?
C’est tout le problème du fair-play financier. La volonté de l’UEFA à l’époque [en 2010] était d’assurer une « bonne gestion » financière – même si l’on ne sait pas vraiment ce à quoi l’expression fait référence, si ce n’est éviter des déficits réguliers d’exploitation sans empêcher des investisseurs de mettre de l’argent dans le football. L’UEFA avait trouvé plus ou moins une manière de viser ces deux objectifs.
Avec le Covid, les instances n’ont plus le choix : elles sont obligées d’accepter l’argent frais qui peut arriver. Or, celui-ci vient essentiellement des pays qui n’ont pas été trop touchés par la pandémie, en l’occurrence ceux du Golfe.
Les clubs sont des entreprises de services, qui utilisent essentiellement la main-d’œuvre pour produire. Le salaire en est la charge principale. Tant qu’il n’y aura pas de règles homogènes au niveau européen – même mondial – sur la masse salariale et qu’il y aura des formations, comme le PSG le fait aujourd’hui, qui pourront dépenser des sommes astronomiques, les clubs se livreront une concurrence effrénée sur les salaires et les transferts.
Il faudrait trouver un gentlemen’s agreement, à l’image de ce que font les ligues sportives nord-américaines. Sans cela, tout le monde aura toujours tendance à faire un peu n’importe quoi, et les différents acteurs sont obligés de suivre.
Pourquoi n’est-on pas encore arrivé à ce « gentlemen’s agreement » ?
Parce que les dirigeants des clubs ne comprennent rien aux réalités du sport professionnel en tant que bien économique. Il s’agit de la coproduction d’un produit : ils produisent ensemble et se font concurrence sur le terrain. Ils ont donc besoin les uns des autres. Un projet qui serait viable se fonderait sur la mise en place d’un salary cap [plafonnement des salaires], ainsi que des réglementations pour avoir accès aux talents, notamment.
Le développement d’un modèle pérenne a-t-il plus de chances de venir des clubs que des instances dirigeantes ?
L’UEFA n’arrive pas à instaurer des réglementations très fortes. Le fair-play financier, ce n’est pas non plus la mer à boire, c’est simplement arrêter de faire n’importe quoi. L’Espagne a mis en place un ratio de masse salariale sur le budget qui ne doit pas dépasser plus de 70 %. Ce sont les contraintes auxquelles font face également les ligues nord-américaines.
A l’échelle européenne, on n’y arrive pas pour des raisons politiques. L’UEFA n’est pas une instance extérieure au football : ce sont les clubs, les ligues… Rien n’est imposé, tout est voté. Quand vous avez, au sein du conseil exécutif, le patron de la Juventus ou celui du PSG, il n’y a aucune chance qu’ils acceptent de se lier les mains.
La crise est structurelle. Il faut retravailler sur l’actionnariat des clubs. Tant que ces derniers seront tenus par des personnes qui visent la rentabilité à court terme, rien ne bougera.
Cette situation est-elle spécifique au football ?
Le secteur repose sur une main-d’œuvre ultramobile, c’est très rare : il n’y a pas beaucoup de milieux où les gens peuvent aller travailler dans n’importe quel pays du jour au lendemain. Il y a aussi la notoriété des joueurs et la capacité relativement simple d’en estimer la productivité quand ils arrivent dans un club. Sur ce point, les informations disponibles sont énormes par rapport aux autres secteurs. Ces éléments font que la concurrence à laquelle se livrent les clubs de football reste exceptionnelle.
Que se passerait-il si le PSG ne tenait pas son engagement auprès du « gendarme » financier du football français de vendre pour 180 millions d’euros de joueurs ?
Le club n’arrivera certainement pas à vendre pour autant – à moins de se séparer de Kylian Mbappé. Ce qui intéresse en premier lieu la DNCG [la Direction nationale du contrôle de gestion], c’est que le PSG ne fasse pas banqueroute. Or, son actionnaire a les reins solides : si l’objectif n’est pas tenu, l’émir du Qatar fera un chèque équivalent à la somme manquante.
La DNCG voudrait mettre un peu plus le nez dans la gestion des clubs, notamment par la mise en place de ratios financiers. Avec la crise, tout a été retardé. Là, le PSG serait mal embarqué, parce que, effectivement, même si ses revenus augmentent avec la venue de Messi, on peut se demander si cela compensera la hausse des salaires. On parle de l’Argentin aujourd’hui, mais n’oublions pas qu’ils ont aussi tous les autres joueurs.
Aude Lasjaunias
Source : Le Monde
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