Accord historique des pays du G20 pour une taxation internationale des multinationales

Au terme de deux jours de tractations à Venise, les ministres des finances des pays du G20 – les 19 pays les plus riches et l’Union européenne – ont donné leur feu vert politique à la mise en œuvre, dès 2023, d’une grande réforme fiscale mondiale.

Ils ont dit oui, dans une Venise privée de ses flots habituels de touristes et placée sous haute sécurité. Au terme de deux jours de tractations dans la capitale de la Vénétie, vendredi 9 et samedi 10 juillet, les ministres des finances des pays du G20 – les 19 pays les plus riches et l’Union européenne – ont donné leur feu vert politique à la mise en œuvre, dès 2023, d’une grande réforme fiscale mondiale. Une étape déterminante, qui doit encore être confirmée, en octobre, par l’accord formel des chefs d’Etat du G20 et, au niveau mondial, par le ralliement d’une poignée de pays encore réfractaires, dont, en Europe, l’Irlande, havre fiscal notoire.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), maître d’œuvre de la réforme, est déjà parvenue à embarquer à bord du projet 132 des 139 pays membres du « Cadre inclusif » – le groupe de travail où pays avancés et pays en développement discutent des questions fiscales. Jusqu’alors opposé au projet, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, paradis fiscal des Caraïbes, a en effet annoncé son ralliement tardif, vendredi.

Véritable aggiornamento fiscal, la réforme validée politiquement à Venise tient sur deux piliers : la création d’un impôt minimum mondial d’au moins 15 % pour les entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires ; et la redistribution de 20 à 30 % du « surplus » de profits des cent multinationales les plus grandes et les plus rentables, au profit des pays dits « de marché », dans lesquels elles font des affaires sans y avoir d’implantation. Parmi eux, tous les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) sans exclusion, champions des superprofits et de l’optimisation fiscale. L’impôt minimum mondial doit faire revenir, à lui seul, 150 milliards de dollars par an dans les caisses des Etats.

 

« Il n’y a plus de retour en arrière possible »

 

« C’est un aboutissement politique majeur, déclare au Monde le ministre de l’économie Bruno Le Maire. C’est la fin de trente ans de dumping fiscal, et c’est la première fois que le G20 trouve un accord aussi concret dans le domaine fiscal, il n’y a plus de retour en arrière possible. » Dans leur communiqué final publié samedi, les membres du G20 saluent un « accord historique sur une architecture fiscale internationale plus juste et stable » et appellent tous les pays à finaliser les modalités techniques de cette réforme d’ici le mois d’octobre.

Sur le fond, en effet, l’accord formalisé en Italie rompt avec des décennies de concurrence fiscale désordonnée, qui a largement fait le jeu des paradis fiscaux à taux zéro et des stratégies d’optimisation fiscale agressives des plus grandes entreprises mondiales. Les règles fiscales de plus d’un siècle auxquelles s’attaque l’accord ont été dépassées par la mondialisation et la numérisation de l’économie, c’est-à-dire la possibilité pour les multinationales de vendre des produits et services à distance partout dans le monde, sans payer les impôts correspondants.

Si le compromis de Venise est un succès pour les dirigeants du G20 et l’OCDE, la réforme, qui entrera en vigueur en 2023, doit encore passer quelques obstacles de taille. Le plus important concerne les Etats-Unis, moteur de la réforme, sans qui rien ne se fera, et la nécessaire approbation de la réforme soutenue par l’administration Biden par le Congrès américain, très largement réticent. Or, lors de rencontres bilatérales à Venise, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a fait savoir que l’actuel projet européen de taxe digitale constituait un point de blocage fort : cette « taxe numérique » qui serait appliquée sur un nombre important d’entreprises afin de financer le plan de relance européen post-Covid 19. Des discussions pourraient donc s’engager entre Américains et Européens, autour d’un éventuel report de ce projet européen en toute fin d’année, une fois la réforme fiscale mondiale définitivement adoptée.

 

Les réserves du FMI augmentées de 650 milliards de dollars

 

Autre source d’inquiétude : Washington veut également s’assurer que les taxes GAFA nationales mises en place par plusieurs pays pour anticiper la réforme mondiale seront bien supprimées. De son côté, la France veut attendre la mise en place de la réforme mondiale avant d’annuler sa taxe GAFA, afin d’assurer la continuité de recettes fiscales de l’ordre d’un demi-milliard d’euros par an. Elle a toutefois proposé d’inscrire cette promesse dans le projet de loi de finances de 2022, afin que l’engagement ne soit pas seulement politique mais juridique.

Quant à l’Union européenne, elle doit encore convaincre les derniers « irréductibles » en son sein pour obtenir l’unanimité nécessaire à une transposition simultanée de la réforme dans tous les Etats membres : outre l’Irlande, qui n’a pas envie de perdre son statut de havre fiscal avec un taux d’imposition sur les entreprises plafonné à 12,5 % et attend de connaître le vote au Congrès américain, il s’agit également de l’Estonie et de la Hongrie.

Les ministres des finances ont également salué la décision, jeudi 8 juillet, du conseil d’administration du FMI d’augmenter les réserves de l’institution pour un montant équivalent à 650 milliards de dollars. Cette nouvelle allocation de droits de tirages spéciaux – la plus élevée de l’histoire de l’institution – va se traduire, pour les pays africains, par des ressources supplémentaires de 34 milliards de dollars, sans création de dette.

« Cette allocation constitue une bouffée d’oxygène pour le monde, s’était félicitée la directrice générale du fonds, Kristalina Georgieva, elle va accroître les liquidités et les réserves de tous nos pays membres. » L’allocation devrait avoir lieu d’ici la fin août si elle reçoit le feu vert du conseil des gouverneurs du FMI. Plusieurs pays, dont la France, ont proposé lors du sommet du G20 que l’équivalent de 100 milliards de dollars de DTS soit redéployé en direction des pays pauvres. « Mais on n’y est pas encore », reconnaît Bercy.

 

Les pays pauvres face à une troisième vague épidémique

 

Le FMI évalue les besoins des pays pauvres à 200 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années pour lutter contre la pandémie et à 250 milliards de dollars pour relancer leurs économies. Ces derniers doivent en ce moment faire face à une troisième vague épidémique, due à la pénurie de vaccins et à la diffusion du variant Delta. Les pays du G20 s’inquiètent dans leur communiqué des « divergences » entre pays pauvres et riches, à la fois dans la reprise économique et la couverture vaccinale. En Afrique subsaharienne, seule 1 % de la population est vaccinée contre 30 % dans les pays riches. « Le risque est de sortir de la pandémie avec des Etats forts plus forts et des Etats faibles plus faibles avec des risques en matière de sécurité, de terrorisme et de flux migratoire », explique M. Le Maire.

Les pays du G20 affirment dans leur communiqué final que la lutte contre le réchauffement climatique reste une « priorité urgente ». Les ministres ont notamment discuté d’une proposition pour fixer un prix plancher du carbone afin de réduire de façon drastique les émissions. Le FMI a calculé que 80 % des émissions de CO2 étaient gratuites et que le prix mondial de la tonne de CO2 était de 3 dollars, un niveau bien trop faible pour encourager les investissements dans la transition énergétique. S’il est fixé à 75 dollars la tonne dans les pays riches, et à 25 dollars dans les pays à faible revenu, les émissions pourraient être réduites de 23 % d’ici 2030, selon les prévisions du FMI, en phase avec l’objectif de réchauffement contenu sous les 2 °C.

La France a également défendu le principe d’une taxe carbone aux frontières. « Il faut éviter que les émissions de CO2 qui ne sont pas générées en Europe le soient à l’extérieur, en achetant ailleurs du ciment ou de l’acier dans des conditions environnementales qui ne sont pas satisfaisantes », explique Bruno Le Maire. Les pays émergents, en particulier la Russie, sont opposés à cette mesure qu’ils considèrent comme du protectionnisme déguisé. « Ce n’est pas du protectionnisme, c’est un mécanisme de défense de l’environnement », se justifie M. Le Maire.

Julien Bouissou et Anne Michel

Source : Le Monde

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