Pour en finir avec la religiosité aliénante

Si la religion n’est plus libératrice, si elle ne peut plus émanciper l’homme et lui conférer de quoi penser les exigences du temps, à quoi sert-elle ? Il est temps d’en finir avec la religiosité aliénante.

Les défis qui guettent l’humanité sont ailleurs que dans des considérations théologico-juridiques.  Assez des débats sur la manière dont il faut ou non prier alors que la Méditerranée se nourrit quotidiennement de l’âme des chasseurs d’espoir !  Assez des discussions type « la place de la femme en islam », « l’importance de la mosquée dans la vie du citoyen », « l’éducation en islam », au moment où la crise écologique menace des milliers, voire des millions de frères et sœurs en humanité.

Assez des débats sur la licéité  ou non d’avoir un guide religieux ou de suivre une voie initiatique, alors que des « assassins de l’aube », comme le disait Césaire, sont en train d’arracher à l’homme son humanité.  Assez de la religiosité aliénante et vive la liberté de conscience !

Combien de producteurs de discours religieux chantent les gloires et vertus du « couple en islam », comme si le Coran était un code de statut personnel ? Combien de hiérarques de l’islam chantent les mérites ou dangers du travail en islam, comme si le Coran était un code de travail ? Que dire de ce que d’aucuns appellent la « finance islamique » qui n’est qu’une arnaque capitaliste ? Existe-t-elle une manière de faire des opérations financières islamiquement acceptables ? Que dire de la fameuse « médecine islamique », comme s’il existait une manière coranique d’opérer un cerveau ou de vacciner un enfant ? Que dire des musulmans qui dorment matin et soir et qui, après chaque découverte scientifique, se réveillent pour dire que cela a été écrit dans le Coran ? Que diront-ils si une autre découverte contredit la première ? Que le Coran s’est trompé ? Tout cela n’est que littérature. Arrêtons de tout vouloir coraniser ou islamiser. Et ce, pour la survie même de l’homme.

 

La religion, comme l’indique son étymologie, a pour vocation de créer du lien, de lier.  Lier l’homme à un principe supérieur, lier l’homme à l’homme, lier l’homme à la nature, voilà ce à quoi doit servir toute religion. Et aux poubelles tout discours qui, au nom d’une conception de telle ou telle religion, porte atteinte à la dignité de l’homme et au droit de la nature. Aux poubelles tous les textes qui appellent à la haine des autres hommes, sous prétexte qu’ils ne partagent pas avec nous la même religion. Aux poubelles tout discours inquisiteur et vive la liberté de culte !

 

Comme j’ai eu l’occasion de le dire ailleurs, le temps presse, éradiquons les mythes d’autrefois. Refusons de nous enfermer dans un passé légendaire auquel voudraient nous faire retourner certains théoriciens de l’identité et apologistes d’un islam fantasmé. Contrairement à ce que prétendent les identitaires et les adeptes d’une lecture médiévale des textes scripturaires de l’islam, ce n’était pas forcément mieux avant. Ne soyons pas passéistes et défaitistes, rien n’a été figé, aucune prédestination n’a fixé le destin de l’humanité. Le monde est à nous et pour nous. C’est à nous de le changer.

L’œuvre de l’homme n’est pas encore finie. Elle vient seulement de commencer, aimait à dire Césaire. Ensemble, nous devons être coréalisateurs de l’œuvre humaine. Le monde n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui. Pourtant, les inégalités sociales ne cessent de s’accroître. Pendant que des pays risquent la famine, quelques multimilliardaires possèdent presque la moitié de la richesse humaine.

 

Au moment où j’écris ces lignes,  l’une des pétromonarchies les plus riches de la planète est en train de rayer le Yémen de la carte, sous le regard et la bénédiction des grandes puissances. Cela doit cesser. Par l’humanitaire, la sensibilisation ou par la simple écriture, nous devons être parmi les acteurs de ce changement radical qui, je l’espère, redonnera le sourire aux hommes, et ce, pour l’éternité. [1]

 

Dr Seydi Diamil Niane,

Islamologue, chargé de recherche à Timbuktu Institute – African Center for Peace Studies

 

 

 

 

[1] Seydi Diamil Niane, Moi, musulman, je n’ai pas à me justifier, Eyrolles-Timbuktu Institute, 2017, p.118.

 

 

 

 

Source : Oumma

 

 

 

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