Le Hamas veut imposer à Israël un nouveau rapport de force

Le mouvement islamiste réalise pour l’instant une opération politique payante. Dans l’opinion publique palestinienne, son initiative est saluée comme un sursaut d’orgueil salutaire, un réveil de la résistance à l’occupation israélienne.

Frapper le premier et frapper fort, pour jouer de l’effet de surprise et dicter les termes de la confrontation. Ce principe de base de l’art de la guerre, Israël s’est efforcé de le mettre en application lors des trois premiers conflits qui l’ont opposé au Hamas en 2008, 2012 et 2014. On se souvient que le bombardement de l’académie de police de Gaza, fatal à des dizaines de cadets en plein exercice, fut le bain de sang inaugural de la première guerre de Gaza.

Le Hamas a retenu la leçon. Cette fois-ci, c’est lui qui a pris l’initiative. La nouvelle confrontation, qui a pour l’instant fait 126 morts côté palestinien et 9 côté israélien, a commencé lundi 10 mai, lorsque les maîtres de l’enclave ont envoyé des dizaines de roquettes en direction de Jérusalem. A l’instar d’une véritable armée, le Hamas a donné un nom de code à son opération : « L’épée de Jérusalem ». Une manière de s’ériger en défenseur de la capitale de cœur des Palestiniens, alors ensanglantée par de violentes descentes de la police israélienne.

Lire les témoignages : A Gaza, sous les bombardements, la peur et la dévastation : « Le silence a disparu de nos vies, nous sommes épuisés »

Jérusalem, « une ligne rouge »

 

Plusieurs cadres des brigades Ezzedine Al-Qassam, l’aile militaire du Hamas, notamment son commandant en chef, le mystérieux Mohammed Deif, avaient pourtant mis en garde l’Etat hébreu. Ils l’avaient sommé de retirer ses forces de Cheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est où des familles sont menacées d’expulsion, ainsi que de l’esplanade des Mosquées, haut lieu de l’identité palestinienne. Sous peine de payer « un prix lourd », avait précisé Mohammed Deif, dont la dernière déclaration publique remontait à 2014.

« Les Israéliens ont fait l’erreur d’ignorer ces avertissements, relève un journaliste de Gaza, désireux de garder l’anonymat. Ils se sont convaincus qu’avec les accords de normalisation signés l’année passée entre leur pays et plusieurs Etats arabes, nous étions défaits, démoralisés. Ils ont oublié que pour tous les Palestiniens, Jérusalem est une ligne rouge. »

En s’emparant de ce symbole, le Hamas réalise pour l’instant une opération politique payante. Dans l’opinion publique palestinienne, son initiative est saluée comme un sursaut d’orgueil salutaire, un réveil de la résistance à l’occupation israélienne. Ce faisant, les islamistes jettent une lumière crue sur l’impotence de leur rival politique, Mahmoud Abbas, le chef du Fatah, au pouvoir en Cisjordanie. Les mains liées par la coordination sécuritaire avec Israël, le vieux président de l’Autorité palestinienne n’a rien d’autre à faire qu’attendre qu’un dirigeant étranger daigne l’appeler.

Pour Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza depuis 2017, c’est un tournant. Aussi déroutant que cela puisse paraître, cet ancien prisonnier en Israël, qui parle l’hébreu, avait gagné l’estime de la hiérarchie militaire israélienne. Par l’entremise de l’Egypte et du Qatar, les deux ennemis avaient noué un dialogue indirect. Moyennant l’arrêt des tirs de roquettes, Israël avait accordé un allégement du blocus infligé à la bande de sable, la toile de fond des trois premières guerres.

Le Qatar avait été autorisé à y faire rentrer des valises de cash, quelques milliers de permis de travail en Israël avaient été distribués et la construction de nouvelles lignes d’électricité et d’un gazoduc était planifiée. Dans les moments de tension, comme les manifestations de 2018 le long de la frontière ou les lancers de ballons incendiaires en 2020, le Hamas avait manœuvré habilement. Il avait su récupérer ces initiatives, les intégrer à son donnant-donnant avec l’armée, avant d’y mettre un terme au moment opportun.

Les hauts gradés israéliens se félicitaient du savoir-faire de Yahya Sinouar. Mais pour ce dernier, le compte n’y était pas. Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, empêchant toute levée véritable du blocus, les concessions offertes n’ont jamais représenté plus qu’un sparadrap sur une plaie béante. En mars, cette impasse a contribué aux difficultés rencontrées par M. Sinouar pour être renouvelé à son poste, lors de l’élection interne au mouvement. Et elle a probablement pesé dans la décision de repasser à l’action militaire.

« Changer les règles du jeu »

 

« Le Hamas veut changer les règles du jeu, affirme la chercheuse Leila Seurat, autrice d’un ouvrage sur la politique étrangère du mouvement islamiste (Le Hamas et le monde, CNRS Editions, 2015). Israël pensait l’avoir domestiqué, l’avoir obligé à se focaliser sur des problématiques purement locales. Mais aujourd’hui, le Hamas réaffirme sa dimension nationale. Il démontre que ses armes ne servent pas seulement à défendre ses intérêts partisans ou territoriaux. »

Pour sortir de l’étouffoir de Gaza, la direction du mouvement avait aussi misé sur les élections, convenues avec le Fatah. La série de scrutins programmés entre le printemps et l’été – législatif, présidentiel, et au parlement de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – devait l’aider à s’émanciper du rôle aliénant de gestionnaire de la misère qui sévit dans le territoire côtier.

Mais de peur que son camp soit laminé, Mahmoud Abbas a suspendu sine die les consultations, citant comme prétexte le refus d’Israël d’autoriser le vote à Jérusalem-Est. En conséquence, « confronté à l’impossibilité d’accroître sa légitimité par les urnes, le Hamas a décidé de l’augmenter par les armes », observe Khaled Hroub, professeur de sciences politiques et spécialiste du mouvement islamiste.

Le décryptage : Comment expliquer les nouveaux affrontements ?

 

Dans ce conflit asymétrique, comme dans les précédents, l’objectif du Hamas est de tirer des roquettes jusqu’à la dernière minute. De préserver sa capacité de nuisance jusqu’à la proclamation, aussi vite que possible, d’une nouvelle trêve. Pour ce faire, les islamistes misent sur leur arsenal, plus fourni, plus précis et plus puissant qu’en 2014, comme l’ont montré les salves tirées mardi sur Tel-Aviv. Ils parient aussi sur un soulèvement simultané des Palestiniens de Cisjordanie et d’Israël, une multiplication des fronts qui épuiserait leur ennemi. Face à une armée surpuissante comme Tsahal, ne pas être anéanti, c’est déjà un peu gagner.

 

Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

Louis Imbert (Jérusalem, correspondant)

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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