Amadou Koné, l’ancien militaire devenu le premier maraîcher bio de Côte d’Ivoire

L’ex-soldat s’est reconverti avec succès dans l’agroécologie. Un domaine dans lequel le pays veut combler son retard

Au cours de sa vie, Amadou Koné a livré beaucoup de batailles. L’ancien militaire se bat aujourd’hui quotidiennement contre de « nouveaux ennemis ». Ceux qui attaquent ses cultures sans pesticides en périphérie de Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire. « Les criquets, c’est une unité très spécialisée, ils décapitent tout ce que tu plantes. Il faut sans cesse trouver des astuces pour mener la lutte », souligne cet Ivoirien de 57 ans, devenu premier maraîcher labellisé bio du pays en 2019.

Amadou Koné a conservé le vocabulaire et les valeurs de « discipline et de persévérance » du métier des armes auquel il a consacré trente-quatre ans. Une carrière qu’il n’a abandonnée qu’en 2018 et pendant laquelle il a opéré des choix radicaux. Alors que le pays était divisé en deux dans les années 2000, il a rejoint l’armée rebelle dont le siège se trouvait à Bouaké. Une période dont il parle peu, mais qu’il assume : « Toute nation traverse des périodes difficiles. J’étais militaire, je devais forcément être quelque part. » En 2011, après la crise post-électorale, il retrouve l’armée régulière et prépare sa reconversion.

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Dans un premier temps, le soldat Amadou Koné consacre son temps libre à l’apiculture. A l’époque, il remarque que ses abeilles tombent comme des mouches et comprend que le problème vient des champs voisins arrosés de pesticides. « Je ne suis pas venu au bio parce que c’était le plus malin ou le plus intéressant, mais parce que c’est ce qui convenait le mieux à mes abeilles », indique-t-il.

Il installe donc ses ruches dans une savane arborée en périphérie de Bouaké. En attendant qu’elle lui donne un nectar de qualité, il pratique aussi l’élevage mais surtout l’agriculture, qui devient son activité principale. L’homme aux fines lunettes et à la barbe poivre et sel, se forme en ligne, lit beaucoup et côtoie les chercheurs, jusqu’à accumuler un large savoir qu’il s’applique aujourd’hui à mettre en pratique.

Garder l’écosystème forestier

 

Contre les ravageurs, il entoure ses champs de plantes répulsives comme les oignons, utilise des décoctions de feuilles de margousier ou de papayer comme biofertilisants et place des filets contre les insectes rampants. « C’est vraiment difficile émotionnellement, avoue-t-il. Parfois, vous retrouvez tout ce que vous avec planté deux, trois jours plus tôt dégommé par les insectes. Mais il faut s’interdire d’utiliser les pesticides, c’est comme une doctrine. Les problèmes sont faits pour être surmontés. »

La ferme bio d’Amadou Koné en périphérie de Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire, en avril 2021.

 

Une résilience qui permet au maraîcher et à sa dizaine d’employés de s’adapter en permanence. L’un d’eux, Moussa Dosso, est un jeune chercheur fraîchement diplômé de l’Ecole supérieure d’agronomie de Yamoussoukro. Il veut faire évoluer la recherche ivoirienne en agroécologie en connectant « chercheurs et agriculteurs » afin de mieux répondre au changement climatique.

 

Depuis quelques mois, dans le centre du pays, la chaleur est accablante : près de 40 degrés au soleil. Pour y faire face, Amadou Koné place des ombrières qui rafraîchissent la terre et milite pour l’agroforesterie. Il a ainsi gardé l’écosystème forestier existant et planté des arbres « utiles » au bio. « Ils vont casser les rayons du soleil et faire baisser la température. Plus question de déraciner tous les arbres pour cultiver. Il faut revenir sur ces croyances-là », insiste-t-il.

Si ce précurseur est encore aujourd’hui le seul Ivoirien de la filière à bénéficier du label, c’est que cultiver bio en Côte d’Ivoire est une gageure. Le pays chaud et humide est infesté d’insectes. « Avec le réchauffement climatique, leur cycle de vie diminue. Par conséquent, ils se reproduisent plus vite, ce qui accroît considérablement leur nombre », note Thibaud Martin, entomologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui a longtemps suivi le projet d’Amadou Koné.

Circuit court, qualité des fruits et légumes

 

La Côte d’Ivoire est en retard sur certains pays de la sous-région comme le Sénégal et le Burkina Faso, qui se sont mis à l’agroécologie il y a déjà longtemps. Les agronomes mettent en cause la conjoncture – la chute du cours des matières premières dans les années 1990 puis la décennie de crises sociopolitiques –, mais aussi et surtout le modèle agricole ivoirien étatique fondé sur la productivité, l’exportation et l’utilisation systématique des pesticides. « Un modèle qui est en train de montrer ses limites », estime l’entomologiste français qui pointe un « appauvrissement des sols » dans le pays.

Pour rattraper le temps perdu, un consortium de chercheurs principalement français et ivoiriens, financé à hauteur de 2 millions d’euros par l’Union européenne, vient de voir le jour début 2021. L’objectif de ce projet nommé Marigot est de développer sur quatre ans la filière bio, le circuit court, la qualité nutritionnelle des fruits et légumes et la sécurité alimentaire du pays. Avec pour modèle la ferme de Malabro d’Amadou Koné.

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Si nombre de ses confrères ivoiriens s’y essaient, ils ne parviennent pas encore à cocher toutes les cases exigées par le bio. En cause, la proximité avec les champs conventionnels ainsi que le coût élevé de la reconversion et du label. « De nombreux producteurs plus modestes suivent la même démarche mais n’ont pas tout à fait les mêmes moyens et les mêmes connaissances », observe Thibaud Martin, membre du consortium. Le projet doit les accompagner dans leur transition et aboutir à une certification ivoirienne plus en phase avec les réalités du pays.

Bénéficiant du label français Ecocert, Amadou Koné suscite, lui, l’intérêt des consommateurs les plus aisés de Côte d’Ivoire. Sa clientèle compte 60 % d’expatriés et 40 % d’Ivoiriens. Et si la rentabilité n’est pas encore au rendez-vous, il se dit « fier » de la première pierre qu’il est en train de poser : « J’espère que, demain, quand on parlera d’agroécologie en Côte d’Ivoire ou en Afrique, beaucoup retiendront qu’un vieux militaire jouait à l’apprenti sorcier dans son coin et que cela a permis de préserver l’environnement et de mieux nourrir la population. »

 

 

 

 

Youenn Gourlay

(Bouaké, Côte d’Ivoire, envoyé spécial)

 

 

 

 

 

Source : Le Monde avec AFP

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