Côte d’Ivoire : à peine réélu président, Alassane Ouattara durcit le ton face à l’opposition

Quelques heures après que la Commission électorale indépendante a annoncé la victoire pour un troisième mandat du président sortant, plusieurs lieutenants de l’ex-chef d’Etat Henri Konan Bédié ont été appréhendés.

Ce n’est pas dans les habitudes du quartier. A Cocody-Ambassades, les demeures sont vastes et belles, les pelouses bien taillées, les véhicules onéreux et les habitants riches ou prestigieux. Voire les deux. Alors, quand une barricade enflammée se dresse au milieu de la chaussée à quelques mètres de l’entrée de ce réduit de l’aristocratie ivoirienne, une grande bourgeoise au volant de sa Mercedes 500 interroge les badauds avec étonnement : « Mais que se passe-t-il ? » pour s’entendre répondre que « C’est Ouattara qui fait arrêter tout le monde. » Un peu plus loin, Eric, un étudiant en droit promet de combattre « jusqu’à la mort pour l’Etat de droit, la défense de la Constitution et contre la présidence à vie » du chef de l’Etat sortant, avant de s’égailler avec ses camarades comme une volée de moineaux après un tir de gaz lacrymogène.

Le président sortant, quelques heures après que la Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé sa victoire pour un troisième mandat contesté avec un score de plus de 94 %, a démontré que les menaces d’arrestations ne relevaient pas de la simple intimidation. Plusieurs lieutenants d’Henri Konan Bédié ont en effet été appréhendés au domicile de l’ex-chef d’Etat dans l’après-midi du mardi 3 novembre.

Dès 13 h 30, la grande bâtisse de plain-pied était encerclée par les CRS, chargés de disperser les manifestants réunis autour des lieux à coup de gaz lacrymogènes, avant que les unités d’élite de la gendarmerie et la garde républicaine prennent le relais. Celles-ci sont finalement entrées dans la maison, embarquant Maurice Kakou Guikahué, le secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, et une vingtaine d’autres cadres du parti de l’ancien chef d’État. Selon les dernières informations, après avoir été reconduit à son domicile, M. Guikahué aurait été à nouveau interpellé par la police. Henri Konan Bédié est, lui, resté dans sa maison avec son épouse. Les gendarmes chargés de leur protection leur ont été retirés.

Intimidations

 

Quelques heures plus tôt, Maurice Kakou Guikahué avait tenu une conférence de presse pour dénoncer les intimidations de la veille, lorsque des forces de l’ordre avaient jeté des grenades assourdissantes à proximité des domiciles de M. Bédié et d’autres personnalités politiques, Pascal Affi N’Guessan, le porte-parole de la coalition de l’opposition, l’ancien ministre Albert Toikeusse Mabri et Assoa Adou, un très proche de l’ex président Laurent Gbagbo.

« Il s’agit d’un grave recul de notre démocratie. Henri Konan Bédié reste déterminé et engagé à conduire avec succès la mission de salut public, en qualité de président du conseil national de transition » expliquait-il alors devant quelques journalistes encore présents dans la demeure, avant d’exhorter les Ivoiriens « à demeurer mobilisés et à manifester publiquement pour vaincre toute tentative d’empêchement de mise en place du gouvernement de transition. »

Cette annonce de la mise en place d’une autorité parallèle est un « acte de sédition » inacceptable pour le gouvernement ivoirien : « Cette déclaration ainsi que les violences perpétrées suite au boycott actif constituent des actes d’attentat et de complot contre l’autorité de l’Etat. Ces faits sont punis par la loi » avait indiqué dans la matinée le ministre de la justice Sansan Kambilé, précisant que le procureur avait été saisi « afin que soient traduits devant les tribunaux, les auteurs et les complices de ces infractions ». Le passage à l’acte des forces de l’ordre ce mardi visait à empêcher l’annonce d’un gouvernement de transition.

Après des affrontements entre communautés soutenant des factions politiques rivales, à Toumodi, dans le centre de la Côte d’Ivoire, le 3 novembre.

 

Alors que la Côte d’Ivoire ressort divisée de sa dernière élection empreinte de violences, toutes les déclarations des diplomates invitent les acteurs politiques au dialogue. Après l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest qui ont poussé en ce sens, l’Union européenne (UE) a dit « prendre note de l’annonce des résultats provisoires par la CEI. L’absence de consensus sur le cadre électoral a fracturé le pays. De nombreux Ivoiriens se sont rendus aux urnes, mais de nombreux autres ne l’ont pas fait, soit par choix, soit par empêchement en raison des violences et blocages. (…) L’UE attend de l’ensemble des parties prenantes qu’elles prennent l’initiative en faveur d’un apaisement du climat et d’une reprise du dialogue. »

 

Pas d’autre programme que le « Tout sauf Ouattara »

 

Sous couvert d’anonymat nombre de diplomates reconnaissent que la meilleure chance du chef de l’Etat est son opposition qui n’a d’autre programme que le « Tout sauf Ouattara », gage de la réconciliation entre « les vrais Ivoiriens », réactivant les thèses xénophobes qui ont plongé le pays dans la guerre.

Peu importe dès lors, les astuces pour gonfler le taux de participation à l’élection. Pour obtenir 53,9 % de participation, la CEI a retiré près de 1,5 million d’électeurs des bureaux fermés suite aux actions de blocage de l’opposition. Sans cela, le taux aurait été d’à peine plus de 40 %.

Sûr de son fait, un ministre influent du gouvernement affirmait mardi matin : « Laissez nous savourer notre victoire. C’est le triomphe de la démocratie sur les forces du chaos. Notre agenda n’est pas forcément d’aller tout de suite à des discussions. Il faut d’abord que l’opposition accepte le jeu démocratique et l’état de droit. »

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Cyril Bensimon (Abidjan)

Source : Le Monde

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