Crise post-électorale : Qui périt pour la vertu ne meurt pas !

Guinée : Des tensions pré-électorales aux crises post-électorales ou la difficile domestication de la démocratie

Le continent africain est scruté à chaque échéance électorale depuis le début des années 1990 avec le processus d’ouverture démocratique entamé grâce à une forte pression intérieure, accompagnée de l’extérieur, par le fameux discours de La Baule de F.Mitterrand dont on a surestimé le rôle. 

 

La Guinée de Sékou Touré, celle qui a ouvert le processus des indépendances en Afrique Occidentale Francaise dès 1958, n’échappa pas à la malédiction des urnes.

62 ans aprés son independance, la Guinée qui n’a connu aucune altenance démocratique entre un président sortant et un président entrant, montre son incapacité à domestiquer l’apprentissage de la démocratie et son corollaire d’alternance politique par les urnes.

Cette « tradition » de succesion de chefs d’Etat « accidentelle ou forcée », exception faite à l’élection contestée de l’historique opposant Alpha Condé en 2010, a installé un chaos politique indescriptible avec des soubassements ethniques.

Ainsi, chaque échéance pré-électorale est entourée de tensions entre les différents protagonistes tantôt sur la révision du fichier électoral ou sur la composition des commissions électorales, ici la CENI.

De ces tensions pré-électorales ne peuvent succéder que des crises post-électorales tant les institutions de contrôles des opérations électorales sont des coquilles vides. Ces crises électorales, au-delà du rejet des résultats officiels qui en découlent, – souvent par une partie de l’opposition et de la société civile- cristallisent de fortes contestations suivies de repressions meurtrières de la part des forces de sécurité dans une forme d’impunité totale.

A chaque sortie de l’opposition, la police guinéenne réprime jusqu’à la mort les manifestants.

Ces crises se sont accentuées ces derniers temps avec la prolifération des changements constitutionnels qui ont fait sauter les verrous de la limitation des mandats matérialisant le syndrome de troisième mandat avec son lot de contestations.

Les prémices d’une crise inéluctable

Déjà élu en 2010 dans des conditions plus que contestées contre Cellou Dallein Diallo ( ce dernier a obtenu au premier tour 44% des voix contre 18% pour Alpha Condé qui miraculeusement gagnera le second tour avec 52,5% des suffrages) Alpha Condé l’opposant historique, envahi par l’ivresse du pouvoir a fait sauter le verrou de la limitation des deux mandats pour en briguer un troisième, brandissant la volonté du peuple en bandoulière.
Prenant goût au pouvoir, entouré de sa cour, le chantre du libéralisme politique d’antan gouverna d’une main de fer, réprimant à la mort les manifestants, convoquant la fibre ethnique, en opposant principalement Malinké (sa communauté d’extraction) et Peul (communauté de son principal opposant), Alpha Condé du haut de ses 82 ans, gagné par la sénilité use d’un glissement sémantique plus que douteux, tombant peu à peu, dans les travers de ce qu’il dénonça dans sa vieille jeunesse.

Le chômage de masse des jeunes, l’absence de perspectives et le défaut d’infrastructures de bases aidant, il n’en fallait pas plus pour qu’une profonde crise politique ne secoue la Guinée en marge du projet de réforme constitutionnelle qui, une fois entériné, permit au président Alpha Condé qui était à son second et dernier mandat de se présenter une troisième fois à la présidentielle. La Commission Electorale Nationale Indépendante dont l’indépendance est remise en cause par l’opposition vient de proclamer la victoire du président Alpha Condé dès le premier tour. Avec ses 53% dès le premier tour, Alpha Condé le vainqueur aphone fait réprimer à la mort les manifestants qui contestent sa victoire. Son principal opposant Cellou Dalein Diallo qui a proclamé plus tôt sa victoire est maintenu de force par les forces de sécurité à son domicile. Il ne peux sortir de chez lui ni recevoir de visites. Sa maison assiégé et ses militants violentés et tués, Cellou Dalein Diallo et la coalition qui le soutient maintien la pression en appelant à la mobilisation de la jeunesse pour faire respecter la vérité des urnes.

Le prix du sacrifice démocratique

Le processus de consolidation des acquis démocratiques requiert un engagement permanent de tous les citoyens, mais il interpelle davantage les jeunes qui est avec les femmes sont les premieres victimes d’une société anti-démocratique.

Nul doute que rien de grand ne s’obtient sans sacrifice. Et une partie du peuple guinéen est en train de se sacrifier littéralement pour son idéal, celui du respect de sa volonté. Sa volonté? Oui, celle de tourner la page d’un ancien opposant de 82 ans au moins dans un pays ou l’âge median est de 19 ans.

Sur les 12 millions de guinéens, 60% d’entre eux ont moins de 24 ans. Et à elle seule, la jeunesse guinéenne peut enclencher une nouvelle révolution politique au prix hélas de leur sang.

Ainsi des dizaines de jeunes guinéens qui manifestent, en cette période de crise post-électorale, meurent sous les balles des forces de l’ordre, pour la défense de la vérité des urnes.

Ces sentinelles de la démocratie, martyrs de l’alternance sont ceux qui écrivent l’histoire d’une nouvelle Afrique engagée dans une révolution portée par une jeunesse décomplexée qui aspire à plus de démocratie.


La jeunesse guinéenne à l’instar d’une certaine jeunesse africaine est le faiseur de roi qui s’ignore.

La grandeur de la jeunesse guinéenne, résidera dans sa capacité à déjouer, en cette période cruciale, le spectre de la solidarité mécanique et du repli identitaire que certains voudraient donner à l’engagement des uns et des autres. Ce défi est d’autant plus difficile que le faible taux d’alphabétisation, et la précarité ambiante contribuent à fausser le jeu démocratique.

Même si les échéances électorales ne sont pas gage de démocratie, elles sont un baromètre qui permet de jauger la capacité à domestiquer le processus démocratique, à pacifier les contentieux électoraux ainsi que les batailles électorales surtout dans un pays multi-ethniques.

De plus en plus défiante vis-à-vis de l’ancienne garde politique – de tous bords-, la jeunesse guinéenne doit apprendre à redéfinir les caractéristiques du bon candidat en faisant abstraction de la solidarité mécanique, des soutiens d’ordre communautaire et de l’achat de conscience.

Et si la Guinée comme en 1958 en disant non au référendum, ouvrait la saison de l’automne démocratique dans une région en proie à des dirigeants envahis par le syndrome des troisièmes mandats.

Car la victoire des progressistes guinéens  aura un échos partout où le principe de la limitation des mandats est en train d’être torpillé.

 

 

Diallo Saidou Dit Thierno

Editorialiste, pour ADN

 

Source : Africa Diaspora News (Le 27 octobre 2020)

 

 

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