Le coronavirus n’aura pas la peau de la mondialisation

L'épidémie due au coronavirus Covid-19 sonne comme une nouvelle crise de la mondialisation. Mais en conclure que l'on doit aller vers la démondialisation n'est pas forcément une bonne idée.

La mondialisation, telle que nous la vivons, fait l’objet de très vives critiques depuis longtemps déjà. Et ces critiques sont loin d’être infondées. Certes l’ouverture des frontières pour les hommes, les marchandises et les capitaux a eu des conséquences positives: elle a notamment permis de sortir des centaines de millions d’êtres humains de la pauvreté et a réduit globalement les inégalités entre les pays, ce qui est trop souvent oublié ou passé sous silence. Mais elle a eu aussi des effets néfastes qu’il est inutile de rappeler ici. Tous les domaines sont concernés: l’économie, la finance, la santé, l’environnement.

Avec l’épidémie en cours, les critiques ressurgissent avec vigueur: la mondialisation est mauvaise pour la santé et pour l’économie! Pour la santé, cela paraît évident: avec la multiplication des voyages professionnels et touristiques, les virus n’ont jamais eu autant de possibilités d’aller très vite d’un bout du monde à l’autre (on doit cependant rappeler que, dans les siècles précédents, les épidémies mettaient plus de temps à se propager, mais qu’elles étaient moins bien combattues et, au total, beaucoup plus meurtrières).

Pour l’économie, c’est tout aussi évident: au point de départ, on trouve la Chine qui, comme le rappelle la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, est passée de 8% de l’économie mondiale au moment de l’épidémie de SRAS en 2002-2003 à 19% aujourd’hui. Quand ce pays arrête de produire et de consommer, l’économie mondiale connaît un double choc d’offre et de demande.

Que faire?

 

Une fois que l’on a fait ce constat, quelle conclusion peut-on en tirer? Que cette situation doit être corrigée? Oui, mais comment? En relevant le niveau des protections aux frontières, comme beaucoup le préconisent des deux côtés de l’échiquier politique? Le risque est grand, comme on le voit dans le bras de fer engagé entre les États-Unis et la Chine, que les mesures prises par l’un entraînent des mesures de rétorsion de l’autre et, au final, dans ce genre de situation, c’est le plus fort qui l’emporte. Dans notre exemple, il est possible que les États-Unis prennent le dessus, car la Chine est dans une phase compliquée de son développement, celle où la croissance rapide d’un pays émergent se transforme progressivement (mais souvent plus brutalement que prévu) en une croissance plus modérée caractéristique des pays développés, avec des besoins nouveaux à satisfaire en interne en matière de rémunérations, d’accès aux soins, de loisirs, etc., et la crise du coronavirus fragilise sa situation politique et économique. La privation de liberté devient très vite moins supportable quand les difficultés s’accumulent.

Mais la hausse des droits de douane n’est pas la panacée. Si l’on continue de prendre l’exemple des rapports entre les États-Unis et la Chine, quels choix s’offrent à l’importateur américain de produits chinois, qu’il s’agisse de produits finis ou de produits intermédiaires? Dans un premier temps, il n’a probablement qu’une possibilité: continuer à acheter ces produits en reportant tout ou partie de la hausse des droits de douane sur le prix facturé à ses clients. Dans un second temps, il va essayer de trouver d’autres solutions: se tourner vers un fournisseur situé dans un pays dont les exportations sont moins taxées que celles de la Chine ou aux États-Unis mêmes. Mais cette solution, à supposer qu’elle existe ou qu’elle puisse être trouvée en un laps de temps relativement court, aura probablement un coût plus élevé que la solution initiale. Non seulement il n’est pas certain que la production de ce bien puisse être relocalisée aux États-Unis, mais il est probable que le consommateur américain aura à payer un prix plus élevé.

Un exemple souvent cité par les économistes est celui de la hausse des taxes sur l’acier importé décidée par Georges W. Bush en mars 2002: cette mesure a seulement permis de freiner la baisse des effectifs dans la sidérurgie américaine et elle a conduit à la suppression d’environ 200.000 emplois dans les secteurs utilisateurs d’acier selon les estimations qui ont pu être faites dans les années suivantes, du fait de la hausse du prix du métal. Ce qui n’a pas empêché Donald Trump de prendre des mesures comparables en mars 2018. Quant à la hausse des droits de douane sur les produits chinois, les économistes en attendent surtout une augmentation des importations en provenance d’autres sources. Selon les chiffres publiés par le Bureau of Economic Analysis (BEA), le déficit commercial des États-Unis s’est fortement réduit l’an dernier vis-à-vis de la Chine, passant de 380,8 milliards de dollars en 2018 à moins de 307,6 milliards, mais, au total, il n’a reculé que de 11,3 milliards du fait de la hausse des importations en provenance du Mexique, de Taïwan ou d’autres pays.

Mondialisation incontrôlable

 

Cela dit, la position des États-Unis n’est pas aussi stupide que les tweets de leur président pourraient le laisser penser. Dans un discours prononcé à Oxford le 6 mars dernier, Wilbur Ross, secrétaire au Commerce, s’est longuement employé à expliquer la politique de l’administration américaine. Au départ, il y a un constat que beaucoup pourraient partager: «La mondialisation est devenue incontrôlable.» Avec un exemple bien choisi: «Il faut 200 fournisseurs de quarante-trois pays sur six continents pour faire un iPhone» (nous supposons que Wilbur Ross distingue l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, parce qu’il nous paraît peu probable que, dans son esprit, ce sixième continent puisse être l’Antarctique).

Avec un déficit commercial de 887 milliards de dollars en 2018 (Wilbur Ross ne parle ici que des biens; avec les services, où les États-Unis sont largement excédentaires, le chiffre ne serait plus «que» de 627,7 milliards) et de 7.700 milliards en dix ans, la recherche d’un commerce plus équilibré peut difficilement être critiquée.

Que feront les États pour inciter les producteurs américains à produire davantage localement et en respectant davantage l’environnement?

D’ailleurs, pour revenir à des chiffres plus raisonnables, Wilbur Ross ne compte pas que sur les droits de douane: il compte surtout sur une complète réorganisation des schémas de production grâce à la 5G et à ce qu’il nomme la quatrième révolution industrielle.

Notons qu’il compte également sur le souci d’une croissance durable: relocaliser la production dans les pays développés serait bon à la fois pour l’emploi et pour l’environnement, et cela correspondrait à la demande des consommateurs. Ce dernier argument ne manque pas de sel quand on sait que les États-Unis veulent sortir de l’accord de Paris et que Donald Trump affecte de se moquer éperdument de la question des émissions de gaz à effet de serre. Mais, en supposant que l’administration américaine ait sur ce dossier une position plus subtile qu’on ne le croyait, que fera-t-elle pour inciter les producteurs américains à produire davantage localement et en respectant davantage l’environnement que ne le ferait un fournisseur situé dans un pays ayant des normes environnementales plus laxistes ?

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Gérard Horny

Source : Slate

 

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