Au Sénégal, l’ancien, ce « pilier de la société » africaine oublié

En 2006, le pays a lancé un programme d’assurance-maladie universelle. Mais dans un pays non préparé au vieillissement de sa population, l’initiative a vite montré ses limites.

Le continent de la jeunesse n’est pas épargné par le vieillissement de sa population. Le nombre de seniors devrait quadrupler d’ici à 2050, pour représenter 9 % des 2,4 milliards d’Africains (plus de la moitié aura moins de 25 ans), selon l’Institut national d’études démographiques (INED). Et pour l’instant, peu d’attention leur est portée.

En Afrique de l’Ouest, le Sénégal est souvent cité en exemple pour les mesures prises en faveur des personnes âgées. Comme dans la plupart des sociétés africaines, le « vieux » a une place bien particulière dans le tissu de la société et dans l’imaginaire collectif. L’expression wolof (langue locale) « Mag matna bayyi ci réew » le rappelle : « La personne âgée est le pilier de la société. »

Mais aujourd’hui, cette population qui représente entre 9 % et 11 % des Sénégalais et dont le nombre doit tripler d’ici à 2050, souffre de l’« urbanisation et de la nucléarisation des familles qui entraînent un recul des solidarités », explique Sadio Ba Gning, enseignante-chercheuse en sociologie à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, spécialiste des questions liées au vieillissement.

Pathologies chroniques

 

Une déchéance sociale et un isolement doublés d’une précarité économique. Dans un pays où l’économie est à 80 % informelle, seuls 30 % des plus de 60 ans touchent une retraite et peuvent bénéficier du système de protection sociale. En 2006, conscient de cette situation, l’Etat lance le plan Sésame, un programme d’assurance-maladie universelle qui instaure la gratuité des soins pour les personnes âgées dans les centres de santé et hôpitaux publics. Cette politique « a eu des effets positifs notables en termes de recours aux services de santé pour les personnes âgées et de diagnostic de leurs maladies, en particulier chroniques », notaient un ensemble de chercheurs dans un article de la revue Santé publique, publié en 2016.

Mais « en observant la façon dont on les prend en charge, le rideau tombe », souligne la sociologue sénégalaise. L’initiative a vite montré ses limites. D’abord parce que ce plan a été « mis en place sans financements préalables », avec un budget limité à 1 milliard de francs CFA (1,5 million d’euros). « Au début, certains établissements de santé ont joué le jeu en avançant les frais, mais à un moment, cela n’a plus été possible », indique Sadio Ba Gning. L’hôpital principal de Dakar a lui-même arrêté en 2017, n’avançant plus que les simples consultations, peu coûteuses.

Autre critique : la liste des médicaments accessibles gratuitement ne reflète pas les maux des personnes âgées au Sénégal. Au centre médico-social de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) à Dakar, centre national de référence gérontologique qui reçoit quelque 60 000 patients par an, les deux tiers souffrent de pathologies chroniques, comme le diabète et l’hypertension. Les remèdes ? Onéreux et non pris en charge.

« Les capacités d’accueil manquent »

 

« Le système de santé n’est pas préparé au vieillissement de la population, il est urgent de l’anticiper », admet Elhadji Malick Sougou, chef de la division de la promotion des personnes âgées à la Direction nationale de l’action sociale du ministère de la santé.

Dans la capitale, seules deux structures accueillent spécifiquement les seniors. Dans l’une d’elles, au centre de gériatrie d’Ouakam, des dizaines d’êtres fatigués font du coude-à-coude dès le début de la matinée. « Les capacités d’accueil manquent : le centre est petit et nous n’avons que sept lits », raconte le Dr Fatou Fall Diop, la directrice, qui, avec son équipe d’une dizaine de médecins, accueille plus de soixante patients par jour.

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Et les spécialistes manquent. Seuls cinq gériatres sont inscrits sur le tableau de l’ordre des médecins du pays, tous concentrés dans la capitale. « Il n’y avait même pas de formation en gériatrie au Sénégal quand je faisais mes études », se souvient Fatou Fall Diop. Elle-même est allée se spécialiser à Brest, à l’époque. Face à cette pénurie, l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar a ouvert, en 2012, des formations en gériatrie et gérontologie. Les premiers bénéficiaires commencent tout juste à être déployés dans le pays.

Face à l’insuffisance des services publics, de plus en plus de structures privées proposent des aides à domicile. « Ces services connaissent un succès impressionnant », souligne Elhadji Malick Sougou, convaincu qu’ils vont se démultiplier à grande vitesse. Une nécessité pour des « personnes dépendantes de moins en moins prises en charge par les familles ».

Les financements publics manquant cruellement pour s’occuper de la santé fragile des aînés – le budget pour la santé représente 5 % du produit intérieur brut, contre un objectif de 9 % fixé par l’Organisation mondiale de la santé –, l’Etat tente plutôt de les maintenir en activité. Le Projet d’appui à la promotion des aînés (PAPA), par exemple, permet d’accompagner des personnes âgées dans le développement d’activités génératrices de revenus. Le but, éviter que le « pilier de la société », n’en devienne le fardeau.

Marie Lechapelays

Source : Le Monde

 

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