Donald Trump et le bénéfice du doute

Le rapport Mueller révèle des détails troublants sur l’enquête russe, sans pour autant conclure à la culpabilité du président. Ce dernier peut penser à sa réélection sans être trop inquiété. A moins que le Congrès ne réagisse.

Le doute profite à l’accusé. Le très attendu rapport Mueller (448 pages, deux volumes) rendu public jeudi a beau receler des détails troublants liés à l’ingérence de Moscou dans la présidentielle de 2016, il n’a pour l’instant, n’en déplaise à ses détracteurs, pas de quoi faire vaciller le président des Etats-Unis. Sur Twitter, Donald Trump s’est vanté d’être blanchi, en parodiant «Game of Thrones». «Game Over», clame-t-il, en accusant une énième fois les démocrates de s’être adonnés à une «chasse aux sorcières». Fin de la partie? A moitié, seulement. Car le rapport donne une image peu reluisante du président. Il confirme notamment qu’il a bien activement cherché à saboter l’enquête.

 

Mensonges, dissimulations et limogeages

 

Bien sûr, le résumé du rapport Mueller fourni le 24 mars par le ministre de la Justice Bill Barr précisait déjà que le procureur spécial n’avait pas trouvé de preuves de collusion entre l’équipe de Donald Trump et les Russes pendant la campagne présidentielle en 2016. «Les indices n’étaient pas suffisants pour accuser les membres de l’équipe de campagne de Trump de s’être coordonnés avec des représentants du gouvernement russe pour influencer l’élection de 2016», stipule le texte. Le rapport met en revanche l’accent sur les nombreux contacts établis et le fait que des proches de Donald Trump étaient au courant des intentions des Russes.

Lire aussi: Ce qu’il faut retenir du rapport Mueller caviardé

Mensonges, dissimulations, irrégularités et limogeages ont entouré l’enquête russe. Des proches de Donald Trump ont menti, à commencer par Jeff Sessions, ministre de la Justice qui a fini par être limogé: il a dû se récuser de l’enquête russe. Le président ne le lui a jamais pardonné. Le rapport révèle par exemple aussi que le président a supprimé une phrase dans le communiqué de son fils Donald Trump Jr à propos d’une rencontre, le 9 juin 2016, avec une avocate russe à Manhattan. La phrase qui précisait qu’elle affirmait détenir des informations pouvant l’aider dans sa campagne, ce qui, au final, n’aura pas été le cas.

Oh mon Dieu. C’est épouvantable. C’est la fin de ma présidence

Donald Trump en apprenant la nomination de Robert Muller en 2017

Rien de pénal, mais des comportements pas vraiment glorieux. Le volet de l’obstruction à la justice est encore plus troublant. Robert Mueller a recensé pas moins de dix épisodes qui pourraient relever d’une possible entrave à la justice, dont le limogeage en mai 2017 du patron du FBI James Comey. Le rapport précise d’ailleurs que Donald Trump a bien cherché à limoger également le procureur spécial. «Oh mon Dieu. C’est épouvantable. C’est la fin de ma présidence. Je suis foutu», a-t-il déclaré à Jeff Sessions en apprenant la nomination de Robert Mueller. Prudent, méthodique et intègre, le procureur spécial affirme toutefois ne pas être en mesure de conclure à la culpabilité de Donald Trump. Il ne l’accuse pas d’avoir abusé de ses prérogatives présidentielles de façon délictueuse. Mais, fait important, il ne l’exonère pas non plus et le précise clairement. De quoi laisser le public pantois et les démocrates sur leur faim. Malaise.

Des interprétations diverses

 

Cette phrase, rédigée par le procureur spécial, interpelle tout particulièrement: «La position du président en tant que chef du pouvoir exécutif lui a fourni un moyen unique et puissant d’influencer les procédures officielles, les fonctionnaires subalternes et les témoins potentiels». Il poursuit: «Si nous avions la conviction, après une enquête approfondie basée sur des faits, que le président n’a clairement pas commis d’obstruction à la justice, nous le dirions». Le procureur spécial précise que «les efforts du président pour influencer l’enquête ont dans leur majorité échoué, mais cela résulte principalement du fait que les personnes entourant le président ont refusé d’exécuter ses ordres ou de donner suite à ses demandes». L’intention était bien là.

Ce volet de l’enquête donne lieu à des interprétations diverses. Bill Barr conclut qu’il n’y a pas de quoi poursuivre Donald Trump. Jeudi, il n’a toutefois pas caché certaines «divergences» à propos des théories juridiques de Robert Mueller. Ce dernier estime qu’un président en exercice ne peut pas être pénalement inculpé devant la justice ordinaire, et préfère renvoyer la balle au Congrès. Le démocrate Jerry Nadler, chef de la puissante commission judiciaire de la Chambre des représentants, a rapidement réagi: pour lui, le rapport «met en évidence des preuves inquiétantes montrant que le président Trump a fait entrave à la justice».

Bill Barr accusé de partialité

 

A cela s’ajoute le fait que le public et le Congrès n’auront peut-être jamais connaissance du rapport dans son intégralité. Des passages entiers ont été expurgés, pour protéger des informations confidentielles. Des doutes seront donc toujours présents. D’autant plus que les démocrates accusent Bill Barr de partialité. Des enquêteurs de Robert Mueller ont fait savoir qu’il n’avait fidèlement présenté leur travail lors de son résumé du 24 mars. Au moment sa nomination, des critiques avaient déjà été émises: Donald Trump avait un temps songé à engager Bill Barr comme avocat personnel pour le défendre dans l’enquête russe. Avant d’être ministre, l’homme s’était par ailleurs fendu d’une opinion dans le Washington Post pour défendre le brutal limogeage de James Comey. Difficile dans ces conditions de le considérer comme neutre.

En résumé, le rapport Mueller laisse encore de nombreuses questions ouvertes. Blanchi, Donald Trump n’est pas pour autant lavé de tous soupçons. Les démocrates, désormais majoritaires à la Chambre des représentants, vont tenter de multiplier les enquêtes et espèrent auditionner Robert Mueller avant le 23 mai, mais leurs chefs de file ne mentionnent pas de procédure de destitution, conscients qu’un tel scénario n’a plus de chances d’aboutir. Ils exigent aussi d’obtenir le rapport dans son intégralité, sans les passages caviardés, ce qui est probablement peine perdue.

Les démocrates doivent surtout se rendre à l’évidence: Donald Trump peut désormais se concentrer sur sa réélection avec une sacrée épée de Damoclès en moins. Sûr de lui, le président a lâché un nouveau tweet jeudi soir, révélateur de la manière dont il définit son pouvoir présidentiel: «J’avais le pouvoir de mettre fin à toute cette chasse aux sorcières si je voulais. J’aurais pu virer tout le monde, même Mueller […]. J’avais le DROIT d’utiliser mes prérogatives présidentielles. Je ne l’ai pas fait!». Un autre indice montre où se situe actuellement le rapport de force: la plupart des candidats démocrates à la présidentielle de 2020 sont soudainement devenus très discrets à propos de conclusions du rapport, conscients de marcher sur des œufs.

Valérie de Graffenried

Source : Le Temps (Suisse)

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