C’est un néologisme trop récent pour avoir fait son entrée dans les dictionnaires, du moins dans son sens footballistique contemporain. On y trouve bien le « clubiste », en tant que membre d’un club politique ou d’un cercle aristocratique, pas le « clubisme », notion que l’on peut tenter de définir tout en posant ce constat : il est la nouvelle plaie du football français.
Forme dégradée du « supportérisme », le clubisme ne se résume pas à l’attachement excessif à un club, qui caractérise tout supporteur digne de ce nom. C’est plutôt un risque qui découle du supportérisme : une manière de tout voir sous le prisme exclusif de « son » club.
« Le rival comme unité de valeur »
Le terme clubismo est employé depuis longtemps au Portugal, dont le football est déchiré entre ses trois grandes Eglises (Porto, Benfica et Sporting). Le journaliste sportif franco-portugais Nicolas Vilas le décrit comme « un supportérisme aveugle qui consiste à donner raison à son club quoi qu’il arrive et conduit à la paranoïa et la victimisation ». Mais aussi à « prendre le rival comme unité de valeur ».
Inutile de dire, en effet, au lendemain d’un PSG-OM, que les rivalités entre clubs structurent le clubisme. Ses adeptes souffrent de comparatisme aigu et ils rapportent tout à leurs couleurs. Parler de footballeurs évoluant sous d’autres couleurs implique immédiatement de les mesurer à ceux de son équipe. Il faudrait aussi renvoyer indéfiniment son interlocuteur aux turpitudes de son club.
De tels « dialogues » prennent immanquablement la forme d’une course de hamsters dans leurs roues respectives, et le niveau argumentaire est proche de la comparaison entre performances de miction en longueur.
De même, quiconque émet une opinion critique sur un club est automatiquement accusé d’appartenir au parti de l’adversaire – on l’a encore constaté lors des révélations des Football Leaks concernant le PSG, ou des déclarations de Marc Fratani sur l’OM de Tapie. Le clubiste vit dans une communauté cernée de territoires entièrement hostiles.
FC Procuration
Il adhère aussi à un second club de cœur, le FC Procuration, une équipe imaginaire formée de tous ceux qui infligent des revers au club rival. « Plus que le succès des siens, c’est la mésaventure du rival qui entraîne la jouissance. Comme si être pro-ceci nécessitait d’être anti-cela », résume Nicolas Vilas.
Le clubiste adhère à l’entreprise, à « l’institution » comme à une religion. Il ne s’interdit pas de la critiquer, mais il s’en réserve le droit. Tout est bon pour en défendre le caractère sacré. « Le “clubisme”, religion des aveugles et des crétins, fait des adeptes », s’énervait le journaliste Daniel Riolo sur RMC en 2015.
Cela ne va pas sans intégrisme. Le moindre like intempestif d’un joueur sur les réseaux sociaux peut faire scandale, comme lorsque le Parisien Thomas Meunier eut le malheur d’apprécier un tifo marseillais sur Instagram, ou plus récemment quand le néo-Marseillais Mario Balotelli salua sur Twitter la victoire du PSG à Manchester United (en tant qu’ancien de Manchester City, expliqua-t-il ensuite).
Aucune « trahison » ne saurait être tolérée. Pourquoi pas, mais on peine à ne pas trouver ridicules ou calculateurs les joueurs qui saluent une défaite comme, la semaine dernière, les Marseillais Dimitri Payet et Bouna Sarr celle du PSG. Troll, c’est trop.
Tribalisme
Ces exigences sont d’autant plus paradoxales que personne n’est dupe, aujourd’hui, de l’attachement des joueurs à leur club, qui en retour les considère de toute façon comme des actifs financiers. Mais il semble que plus le football devient cynique, plus il faut maintenir les rituels d’allégeance.
Sans attendre que des recherches anthropologiques plus sérieuses accréditent l’émergence du clubisme comme tribalisme, on peut s’avancer à en désigner les causes principales.
Le développement du mouvement ultra et la fabrication (à la même époque, c’est-à-dire au début des années 1990) de la rivalité PSG-OM ont significativement contribué à la fin d’un « patriotisme sportif » qui avait un caractère d’obligation : au travers des clubs français, c’était le football national que l’on défendait en Coupe d’Europe. Aujourd’hui, ce sont au mieux les points UEFA, en ce qu’ils vont offrir plus ou moins de chances à « son » club d’intégrer une Coupe d’Europe.
La montée en puissance du football de club aux dépens du football de sélection et la mondialisation de ce sport ont aussi favorisé la radicalisation des appartenances. Enfin, il est difficile de ne pas voir dans les réseaux sociaux un facteur de développement du clubisme, tant ils se prêtent à une polarisation puérile et stérile de tout débat.
Source : Le Monde
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