Mauritanie : Pour l’école publique…Cheikh Ould Beybih ou l’enseignant modèle par Isselkou Ould Ahmed IzidBih

Le Président de la République, SEM Mohamed Ould Abdel Aziz, a, au cours du discours prononcé à l’occasion de l’imposante marche contre la haine et l’intolérance, le 09 janvier dernier, mis l’accent sur l’importance capitale de l’instruction scolaire pour les enfants de Mauritanie.

Je voudrais souligner qu’il s’agit-là d’une idée récurrente dans les discours et les actes du Président; à titre d’exemple, à la veille des dernières élections municipales, législatives et régionales, et lors d’un mot prononcé à Nbeikit Lahwash -unique Moughataa visitée par le Président, en dehors des capitales régionales du pays-, il s’était adressé à l’assistance réunie sous des tentes, le soir, en mettant en exergue l’importance vitale, pour les enfants, de bénéficier d’une scolarité continue, avec l’accompagnement des parents. Il y’a quatre ans, à la fin d’une autre visite d’une école primaire dans cette même nouvelle Moughataa arrachée, quelques années plutôt, aux griffes d’extrémistes étrangers et de trafiquants sans vergogne, le Président avait donné ses instructions pour qu’une salle informatique fût équipée, dotée d’une connexion internet et mise à la disposition des élèves de cette école; ce qui fut fait, deux semaines plus tard.

Au cours de la dernière décennie, de nombreux concours d’enrôlement au sein des établissements de formation et de recrutement dans la fonction publique, ont restauré le mérite et l’équité là où elles faisaient singulièrement défaut. Des établissements d’excellence ont ainsi été mis sur pied et méticuleusement suivis, sur instruction du président de la République.

De tous les « ascenseurs sociaux », l’école reste -et de loin- la plus juste, la plus objective, la plus effective et la plus utile à la société dans sa globalité.

Dans le cadre de la nouvelle impulsion donnée à ce thème permanent, encore une fois, dans les discours et les actes du Président, je voudrais rendre un hommage mérité à un grand professionnel de l’école publique, symbole de dévouement désintéressé et de rigueur professionnelle, un enseignant-modèle que j’ai eu la chance de connaître au cours de ma scolarité heureuse ; il s’agit de Feu Cheikh Ould Beybih, ex-directeur de la première école primaire d’Amourj.

Cheikh Ould Beybih ou l’enseignant modèle

Pour les élèves, les enseignants constituent, a priori, des exemples à suivre et des modèles qui, le regard régulièrement fixé sur l’horizon professionnel des apprenants, transmettent patiemment des savoirs et des compétences essentielles; ce sont aussi des hommes et des femmes auprès desquels les jeunes élèves cherchent l’inspiration nécessaire et utile dans la vie de tous les jours.

A ce sujet, le directeur de l’école primaire d’Amourj, Feu Cheikh Ould Beybih, était un « modèle » rarissime de professionnalisme et d’empathie. Ce directeur, de mère ivoirienne et de père un chef tribal mauritanien, possédait un sens inné de l’autorité et une foi inébranlable en la capacité de l’école publique à changer pacifiquement la société en mieux. Il tenait en haute estime les bons élèves de son établissement et encourageaient du mieux qu’il le pouvait les autres à s’améliorer.

Il disposait de trois armes dissuasives: la première était un physique imposant, la deuxième une colère intelligemment simulée qui désarçonnait les grands comme les petits, et la troisième une petite pierre noirâtre et bien arrondie qu’il tenait, à l’occasion, dans le creux de la main et avec laquelle il donnait des coups secs sur le haut du crâne de ceux parmi les élèves qui avaient des choses graves à se reprocher . Les mauvais élèves prétendaient que cette pierre était devenue « grasse », à force de cogner sur leur tête; en réalité, c’était la mise en scène savamment orchestrée qui effrayait tant les élèves fautifs. Avec sa voix qui portait, le moindre reproche public du directeur ramenait automatiquement l’ordre et la quiétude au sein de l’école, plusieurs heures d’affilée. Je ne me rappelle pas avoir été victime de la petite pierre qui trônait ostensiblement sur le bureau de notre directeur; je faisais néanmoins partie de la catégorie d’élèves qui gardait en permanence un œil craintif sur cette fameuse petite pierre… Par contre, et c’est un élément à l’honneur de ce grand pédagogue, j’ai eu, un jour, une altercation avec l’un de ses propres enfants, j’ai décidé d’aller porter plainte auprès de lui en relatant les faits et je fus surpris de le voir appeler l’enfant en question et le sanctionner, juste en face de moi, au point d’en être choqué. C’est très rare qu’un parent accepte la responsabilité de son enfant avant de l’avoir interrogé et même après. Depuis cet incident, les «gros bras» de notre école y réfléchissaient à deux fois, avant de me chercher des noises!

Aux Cours moyens, j’ai eu la chance et l’insigne honneur d’être enseigné par notre directeur, j’appréciais la manière toujours pédagogique et ludique à l’occasion, avec laquelle il dispensait ses cours et je me donnais beaucoup de mal pour mériter son estime. Il arrivait que le directeur visitât, le soir et de manière impromptue, l’une ou l’autre des familles de ses élèves, pour s’assurer que l’enfant en question était en train de réviser ses leçons à la lueur d’une lampe-tempête asphyxiante… J’admirais tout spécialement la qualité graphique de l’écriture du directeur au tableau noir ou sur les cahiers de devoirs.

Je ne sais toujours pas pourquoi il m’appelait constamment Néya, un prénom qui ne faisait pas partie de mon nom «officiel» complet, même s’il ne m’est pas étranger. J’appréciais les « histoires », parfois au ras du contexte local, qu’il nous racontait et dont certaines dénotaient une empathie et une noble sensibilité à la vie. Le dénouement heureux de l’histoire du chameau blessé au dos et réquisitionné, au grand dam de son propriétaire, par les autorités à Bassiknou là où notre directeur avait enseigné quelques années plus tôt, rendait bien compte d’un esprit éclairé, en avance sur son temps. Il essayait aussi de nous projeter dans l’avenir ; à ce propos, il nous avait parlé une fois du mot « licence » comme étant un objectif que l’on se devait d’atteindre. En vérité, je n’arrivais pas à bien deviner le sens exact de ce vocable, comme du reste celui d’un autre terme, « documentaire », qui faisait partie d’un texte à traduire, en classe de CM2, et dont la signification m’avait taraudé l’esprit une année durant!… (A suivre)

Pour l’école publique : Feu Cheikh Ould Beybih (Suite et fin)

J’avais essayé en 2009, lorsque j’étais président de l’Université de Nouakchott, de mobiliser les «alumni» de la première école primaire d’Amourj, pour organiser un grand événement en l’honneur de Feu Cheikh Ould Beybih. La direction de cette auguste école avait, dans un premier temps, accepté cette proposition de bon sens; des considérations subjectives et de dernière minute, avaient malheureusement empêché la tenue d’une telle cérémonie. A travers ces lignes, je voudrais refaire le même plaidoyer, en remettant sur la table la proposition de 2009; je souhaiterais signaler que ce serait une opportunité en or de rendre hommage à cet homme exceptionnel, mais aussi à tous ceux, comme lui, qui ont contribué et contribuent au succès de l’école publique mauritanienne, partout à travers le pays. Ce serait l’occasion rêvée de dire, aujourd’hui, aux jeunes écoliers d’Amourj, qu’ils peuvent, eux aussi, effectuer un parcours scolaire honorable, pourvu qu’ils s’en donnent l’ambition et que des enseignants de la trempe de notre directeur, soient là, au départ, pour les y guider. L’école où avaient exercé certains des meilleurs et nobles instituteurs et moniteurs de Kouch, mérite de continuer à obtenir des résultats pédagogiques parmi les plus honorables de Mauritanie. A ce propos, une idée, utopique peut-être, me traverse l’esprit: pourquoi ne pas planter un nouveau grand tamarinier, Ganata, près de l’école, là où se dressait majestueusement la Ganata de notre enfance, en guise de remerciement et de reconnaissance à Feu Cheikh Ould Beybih, mais aussi à la mémoire du passé commun et en signe de confiance en l’avenir?

Petite digression (HS)

Le vocable Ganata renvoie probablement au nom du plus brillant royaume que l’Afrique de l’Ouest ait connu, l’empire du Ghana, dont les ruines de la capitale (Coumbi Saleh), tout près du village mauritanien de Sohbi, sont à seulement une soixantaine de kilomètres, à l’Ouest d’Amourj. Cette hypothèse qui peut, de prime abord, paraître audacieuse voire farfelue, ne l’est pas tant que ça, car ceux qui connaissent bien la région du Hodh et ces villages immuables, situés dans sa partie méridionale et habités par des Sarakolés dont les historiens pensent qu’ils constituaient les premiers habitants de l’empire du Ghana, ont certainement remarqué l’organisation de chacun de ces villages autour d’une grande place centrale, majestueusement gardée par un vénérable arbre, un baobab ou un tamarinier (Ganata). De là à penser que ce dernier arbre, connu pour les innombrables vertus médicinales de ses fruits, représentait le symbole ou l’un des symboles du premier grand empire ouest-africain, il y’a un pas que l’on pourrait franchir, sans tomber obligatoirement dans le sacrilège historique! Il n’est pas exclu que des bois de tamariniers, à l’époque répandus dans la région, aient servi d’abris privilégiés aux cérémonies rituelles organisées par le Tounka (roi); là aussi, un glissement nominal de l’arbre vers l’empire, ou l’inverse, n’est pas inimaginable. Le vocable Ganata ne provient pas de l’arabe, car cette langue dispose d’un nom assez ancien pour le fruit de cet arbre, Tamar Hindi qui littéralement veut dire «dattes indiennes», et donc d’un nom pour l’arbre lui-même, sur le modèle «arbre à tamarin». Tamar Hindi a donné, en français, le mot «tamarin». Le mot Ganata ne semble pas provenir -et c’est à vérifier- d’une autre des langues régionales, comme le peul, le tamasheq, le bambara, le songhaï… Ganata, un nom de lieu en Inde, et l’expression «dattes indiennes» confirment pour ainsi dire la piste indienne; ainsi la probabilité pour que le nom du grand empire ouest-africain et celui du lieu indien où pousseraient abondamment les tamariniers, n’en fassent qu’un, n’est pas nécessairement nulle. Pour clore (momentanément) ce hors-sujet, il conviendrait de rappeler que la question de la «noblesse» du tamarinier, parmi le règne végétal, n’est pas circonscrite à l’Afrique occidentale, car les Sakalaves de Madagascar le surnomment «le roi des arbres» (pas moins!).

Les ethnolinguistes pourront éclairer nos lanternes, un jour, au sujet de la frappante similitude des deux appellations Ghana et Ganata; entre temps, ce débat pourrait placer la ville d’Amourj, servie par sa position géographique privilégiée, au cœur de l’histoire de la sous-région! Un important pays africain a bien choisi d’adopter le nom de ce grand empire, il serait légitime que ceux qui habitent quasiment sur les ruines de ce royaume, interrogent les sources de cette brillante histoire, pour contribuer à bâtir le présent et à imaginer l’avenir.

Quitte à donner l’impression de se battre contre des moulins à vent de l’utopie, je voudrais insister, à nouveau, sur l’opportunité de planter un tel arbre mythique, en lieu et place de celui qui existait, dans le cadre d’une grande cérémonie solennelle, organisée par la première école publique d’Amourj ; une telle suggestion est simple à mettre en œuvre et a l’avantage de sensibiliser opportunément les habitants de la ville, via les jeunes élèves, au débat mondial en cours sur la place de l’arbre dans le processus de lutte contre le réchauffement climatique. Une cérémonie de ce type procurerait l’occasion aux anciens élèves de cette école publique de se raconter de bonnes histoires de «préretraités»…

Elle pourrait, en fin, conduire à la création ultérieure, à Amourj, d’un centre spécialisé dédié à l’étude et à la valorisation de cet arbre au potentiel économique insoupçonné, à un moment où des initiatives innovantes s’avèrent indispensables, en vue de renforcer la résilience des populations face aux défis du changement climatique.

D’autres pistes peuvent être explorées pour rendre ce nécessaire hommage à cette grande stature de l’enseignement public : on pourrait ainsi donner le nom de Feu Cheikh Ould Beybih à la première école primaire d’Amourj et le décorer à titre posthume.

Je suis persuadé que ses nombreux élèves et admirateurs ont de pertinentes idées à ce sujet…

 

 

Isselkou Ould Ahmed IzidBih
Ex Ministre des Affaires Étrangères et actuel ambassadeur de Mauritanie à Londres

 

 

Source : Rimweekly

 

 

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