Le dur combat des femmes musulmanes contre la tradition

La place des femmes dans les sociétés musulmanes a longtemps été déterminée par la tradition religieuse, dont la nature est de résister à toute réforme au nom de l’unité des croyants. Aujourd’hui, ces sociétés sont mises au défi de la modernité et d’une mondialisation accélérée et vivent déjà d’importantes transformations. Dans ce contexte, qu’en est-il du combat des femmes dans l’islam ?

 

Le débat sur le genre en islam comporte trois dimensions. En premier lieu, il examine le rôle du politique, c’est-à-dire quelles relations il y a entre les femmes, l’islam et la modernité et comment elles peuvent être instrumentalisées. Vient ensuite le rôle de l’économie : non seulement la croissance économique, mais également et surtout la gestion de la rareté, y compris la rareté du pouvoir. Enfin, il tient compte de la nécessité de justifier moralement les rôles assignés aux êtres humains dans les sociétés.

L’héritage de Fatima Mernissi

 

Pour penser l’émancipation des femmes, il est nécessaire de s’attaquer à la tradition dans l’islam. C’est ce que la féministe Fatima Mernissi a ciblé : elle ne pensait pas que l’islam était injuste ou préjudiciable aux femmes, mais que c’était la tradition islamique, promue par les compagnons du Prophète et même par les érudits religieux, qui reflétait une culture misogyne préislamique de la Méditerranée arabe. Cette culture continue encore à servir les intérêts d’une élite masculine.

Fatima Mernissi était née à Fès en 1940, dans un Maroc sous protectorat français, et elle est morte il y a trois ans, en 2015. Sociologue de formation, elle a écrit des ouvrages littéraires sous forme de mémoires ou d’autobiographies. Elle s’est inspirée de sa propre expérience de femme dans un pays musulman qui, depuis sa naissance, est confronté aux défis de la modernité. En 2003, elle a reçu le prix Prince des Asturies (devenu le prix Princesse des Asturies en 2014, NDLR) pour sa contribution à la littérature et le prix Erasmus 2004 pour sa contribution au développement de la culture et de la société. Je suis née et j’ai grandi au Maroc, mais je n’ai entendu parler de Fatima Mernissi que lorsque je suis partie étudier à l’étranger, ce qui signifie qu’elle était plus connue en dehors du Maroc qu’à l’intérieur — et elle vivait pourtant au Maroc. La raison en est qu’elle était perçue comme une menace et une fauteuse de troubles. On peut imaginer combien il lui a été difficile de mener à bien son travail de recherche face à tant d’adversité, à la fois dans son pays, mais aussi dans le monde musulman au sens large parce qu’elle remettait en question la tradition. Mernissi ne pensait pas que les questions de genre dans le monde musulman étaient dues à l’islam, mais à des interprétations manipulatrices de la part des compagnons misogynes du Prophète et d’autres érudits religieux. Son approche appelait à un changement ; or, il y a beaucoup de résistance au changement en général parce qu’on craint de délégitimer le projet holistique de l’islam.

La tradition et l’authenticité dans l’islam sont des concepts clés et ils ont remarquablement perduré. Par exemple, il n’y a pas plusieurs versions du Coran — ancienne et nouvelle — car il est considéré comme la parole directe de Dieu. L’islam est la dernière des trois religions monothéistes du Proche-Orient et a bénéficié de l’expérience de ses aînées. Il est unique parce qu’il a eu dès le début une dimension œcuménique. Il était aussi plus organisé, politiquement, militairement et économiquement, et pour cela, il avait besoin d’un message universel. Ainsi, la conversion est-elle facilitée en islam, l’idée étant que tous les êtres humains sont par nature musulmans, et qu’ils n’ont qu’à « déverrouiller » leur islam intérieur. Dans ce grand projet, tout ce qui pouvait briser l’unité était considéré comme une menace majeure. Cela pourrait expliquer pourquoi nous assistons encore aujourd’hui à une résistance farouche à la réforme de l’islam.

 

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Zaynab El-Bernoussi

Professeur d’études internationales à l’université Al-Akhawayn (Ifrane, Maroc).

 

Source : Orientxxi.info

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