Le président Macron était les 22 et 23 décembre au Tchad pour rencontrer les militaires français et son homologue Idriss Déby. Pour le quotidien burkinabé Le Pays, cette visite sert un chef d’État tchadien fragilisé et une France qui risque de perdre pied en Afrique avec l’arrivée de pays comme la Chine ou la Russie.
C’est en compagnie de sa ministre des Armées, Florence Parly, que le président français, Emmanuel Macron, a foulé le sol tchadien le 22 décembre pour y célébrer le réveillon avec les militaires français de l’opération Barkhane. Pour la circonstance, ils se sont rendus au camp Kossei, adossé à l’aéroport international de N’Djamena, centre névralgique, s’il en est, de l’opération antiterroriste lancée en 2014.
Deuxième du genre après celle de Niamey, l’année dernière, cette visite du président français à ses troupes basées au Sahel intervient dans un contexte sécuritaire plus que délétère dans la région, alors que les opérations militaires proprement dites de la force conjointe du G5 Sahel, censées mettre les terroristes sous éteignoir, peinent à démarrer, faute de moyens matériels et financiers.
Une présence russe jugée envahissante
La mise en route de cette force et la présence jugée envahissante de soldats russes en République centrafricaine (RCA), ont été les principaux sujets de discussion entre Emmanuel Macron et son hôte tchadien, Idriss Déby, lors de leur tête-à-tête, dimanche, au Palais rose de N’Djamena. La France qui peine à aider à remettre de l’ordre dans son pré carré ouest-africain, devenu un véritable bordel et un vaste bazar d’armes de tous calibres depuis la balkanisation de la Libye par l’Otan en 2011, voit d’un très mauvais œil l’aide militaire que la Russie de Vladimir Poutine apporte à l’une de ses ex-colonies, la Centrafrique, presque en ruine depuis le coup d’État de la Séléka contre François Bozizé en 2013.
Qui mieux qu’Idriss Déby, dont l’armée a pendant des années mis la RCA sous coupe réglée, peut aider la France à ramener ce pays “en voie d’égarement” dans son giron, avant que les Russes n’étendent leurs tentacules à d’autres chasses gardées de la métropole ?
Il fallait donc saisir opportunément cette occasion de visite du président aux troupes en opération extérieure pour mettre encore une fois à contribution le président tchadien dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et contre l’influence grandissante de la Russie dans les pays francophones de l’Afrique centrale notamment.
Et on peut être sûr qu’Emmanuel Macron n’a pas été déçu par son hôte qui, soit dit en passant, a toujours témoigné de la sollicitude à la France, par devoir de redevabilité vis-à-vis d’un pays qui lui a toujours sauvé la mise à chaque fois que son régime a vacillé. Idriss Déby est d’autant plus à l’aise pour jouer les rôles de pare-feu contre le péril islamiste et de rempart contre une éventuelle hégémonie russe en RCA ou ailleurs en Afrique francophone qu’il fait actuellement face à une pression coordonnée de l’opposition politique et de la société civile tchadienne d’une part, et à une menace réelle de déstabilisation orchestrée par des mouvements rebelles tchadiens en pleine recomposition dans le sud de la Libye d’autre part.
Le Tchad, garant de la stabilité régionale aux yeux de la France
La visite du président français, officiellement pour réveillonner avec ses troupes basées au Tchad, s’est probablement soldée par un échange de bons procédés entre lui et le natif de Berdoba, prompt à aller sur les champs de bataille et réputé être un intrépide guerrier. La question qu’on se pose maintenant est celle de savoir si cette “traditionnelle” rencontre entre le président français et ses troupes à N’Djamena à la veille du nouvel an n’est pas un simple alibi pour rendre une visite de sauvetage à l’allié et au naufragé politique qu’est Idriss Déby.
Car soutenir ce dernier a toujours été aux yeux de la France la meilleure chose à faire pour garantir la stabilité régionale. C’est une grave erreur d’appréciation qui ne fait que sanctuariser un régime autoritaire très peu enclin à se réformer malgré les objurgations de son opposition politique et des défenseurs des droits de l’homme, mais, puisque la France n’a pas d’amis mais uniquement des intérêts à défendre, Idriss Déby peut continuer à se la couler douce aussi longtemps qu’il servira de marionnette aux présidents français.
Sinon, comment un pays comme la France, grand défenseur devant l’Éternel des valeurs démocratiques, peut-il accepter de jeter autant de lauriers à un satrape qui dirige un pays où la terreur le dispute à la mal gouvernance, au motif qu’il est à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme au Sahel ? C’est cette posture ambivalente et ambiguë et cette appréciation à géométrie variable de la démocratie dans les pays africains qui font que la France est de moins en moins crédible, et pas seulement aux yeux des Africains, et qui favorisent l’arrivée le plus souvent souhaitée de nouvelles puissances comme la Chine et la Russie, qui, elles, ont le mérite de ne pas user de duplicité ou d’imposture dans leurs relations avec leurs partenaires.
Une génération d’Africains “plus clairvoyante et plus avisée”
Et la France, malgré ses nombreuses bases militaires en Afrique, essentiellement pour lui permettre de contrôler les ressources naturelles du continent, finira par y perdre pied, et ce n’est pas en s’accoquinant avec des dictateurs comme Idriss Déby Itno qu’elle pourra vaincre le signe indien. Elle devra plutôt se rendre à l’évidence que l’actuelle génération des Africains est plus clairvoyante et plus avisée que les précédentes et que, le monde étant devenu multipolaire, ses relations historiques avec le continent vont se déliter inexorablement si elle ne coopère pas avec lui dans le strict respect de sa souveraineté, de ses traditions et de ses valeurs.
On avait naïvement espéré qu’avec l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron, qui aime à rappeler qu’il est né après la colonisation, les lignes allaient bouger et que des bouffons comme Idriss Déby allaient rentrer dans les rangs. Erreur ! La politique africaine de la France, faite de condescendance et de paternalisme, a visiblement la peau dure, et l’opposition tchadienne devra plutôt compter sur le désenchantement de plus en plus perceptible du peuple pour contraindre le Néron local à se soumettre ou à se démettre, qu’Emmanuel Macron le veuille ou non.
N’oublions pas que ce dernier est en train de sortir la tête “hors de la Seine” après des semaines de sudation malgré le froid polaire qui s’abat en cette période sur Paris, et il ne fera rien qui puisse contrarier un allié de taille comme Idriss Déby, sauf à risquer de subir la foudre d’une partie de ses compatriotes, qui tiennent à la protection des intérêts de l’Hexagone comme à la prunelle de leurs yeux.
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