La communauté internationale au chevet du Mali

Les réponses sécuritaires apportées par Bamako et ses partenaires ont échoué à endiguer les violences dans le centre et le nord-est du pays.

A l’été 2013, l’élection du président Ibrahim Boubakar Keïta, dit « IBK », avait soulevé l’espoir d’une nouvelle ère de paix basée sur la promesse de « la refondation du Mali ». L’intervention militaire française « Serval » avait écarté, trois mois plus tôt, la menace des groupes djihadistes. Le dialogue avec les groupes armés du Nord laissait entrevoir la stabilisation de cette zone, rebelle depuis des lustres au pouvoir central de Bamako.

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Cinq ans plus tard, la communauté internationale est toujours au chevet de ce grand corps malade. Malgré le déploiement d’une dizaine de milliers de casques bleus de la Mission de l’ONU pour la stabilisation au Mali (Minusma), la restructuration amorcée de l’armée malienne, la montée en puissance d’une force régionale, la présence des militaires français de « Barkhane » et des centaines de millions d’euros d’aide, le Mali risque de nouveau d’imploser. Par le centre, où personne ne semble en mesure de contrôler les tensions communautaires qui débordent sur les pays voisins, Niger et Burkina Faso essentiellement.

Et rares sont ceux qui espèrent un miracle du scrutin pluraliste du 29 juillet. Non seulement les sources du conflit au nord n’ont pas été asséchées, mais les violences contaminent dorénavant le centre et le nord-est. Selon l’ONU, 289 personnes y ont ainsi péri depuis le mois de janvier dans des violences intercommunautaires.

Revendications sécessionnistes

 

Ces violences démontrent que les groupes armés – loyaux au pouvoir central ou ceux qui lui ont déclaré la guerre – continuent d’imposer leur loi sur de grandes étendues du territoire malien. Elles soulignent l’échec de la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger signé en 2015 sous les auspices de la communauté internationale, destiné à mettre fin à une guerre déclenchée trois ans plus tôt. A cette époque, le conflit s’alimentait des revendications sécessionnistes des populations touareg du nord du pays, sur fond de délitement du pouvoir politique à Bamako et de naufrage de l’armée malienne. Des groupes islamistes radicaux se revendiquant d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avaient ensuite pris le dessus sur la rébellion.

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Trois ans plus tard, le compte est loin d’être soldé. « La politique internationale dite de la “ligne rouge”, qui consistait à faire le tri entre les groupes armés dits coopératifs et ceux considérés comme terroristes, a échoué. Cette étanchéité est un mirage », observe un négociateur occidental indépendant. Certes, l’unité du pays n’est plus menacée de partition, mais la présence de l’Etat est toujours fantomatique dans l’immensité désertique du nord, où les populations se sentent toujours délaissées.

A New York, dans les couloirs de l’ONU, on reconnaît que l’application de l’accord de 2015 « avance très doucement ». « Tous les acteurs du conflit entretiennent une conflictualité avantageuse. Ils préfèrent continuer leurs petits business ou utiliser les tensions au nord à des fins électoralistes », assure ce diplomate d’un Etat membre du Conseil de sécurité.

« Pris en étau »

 

L’ONU n’est pas non plus exempte de calcul électoral. Depuis des mois, les diplomates brandissaient la menace de sanctions contre les signataires de l’accord – gouvernement, Plate-forme (groupes armés pro-gouvernementaux) et Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA, alliance de groupes rebelles) – pour ranimer son application. A l’approche de la présidentielle, le ton est plus accommodant. « Les douze derniers mois ont été les plus encourageants depuis [2015] », estimait, au mois de juin, Jean-Pierre Lacroix, le directeur des opérations de maintien de la paix.

Pourtant, les groupes armés radicaux, qui avaient subi de très lourdes pertes face à la puissance de feu de l’armée française et avaient été exclus des négociations d’Alger, se sont progressivement reconstitués. En 2016, ils signaient ainsi leur retour en annonçant leur regroupement au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Dans son dernier rapport trimestriel devant le conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire général, ­Antonio Guterres, notait que le GSIM « a poursuivi ses attaques (…) dans le centre et le nord du Mali ».

Trois quarts des incidents graves les plus récents ont eu lieu dans cette région et ont visé la communauté peule, traduisant l’impuissance de la communauté internationale à désamorcer des tensions localisées. « Les Peuls ont le sentiment d’être pris en étau entre l’Etat et les groupes armés », observe Dougoukolo Alpha Oumar Konaré, spécialiste de la société peule à l’Institut national des langues et civilisations orientales. « L’idéologie radicale ne s’enracine pas tant que ça, mais une partie de la noblesse peule est réceptive aux groupes islamistes. Ils y voient la possibilité de restaurer les droits des communautés nomades bousculés par le réchauffement climatique », ajoute-t-il. « Face aux bouleversements des structures sociales et économiques, et au morcellement communautaire, les réponses internationales et des autorités maliennes sont essentiellement sécuritaires », se désole un observateur.

Il en est ainsi de la création, en 2016, de la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) associant des militaires issus des pays de la région les plus touchés par les attaques djihadistes (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Mali et Tchad). Bien que saluée unanimement comme la manifestation de la volonté des pays concernés de prendre en charge leur propre sécurité, et malgré le soutien de la France et des Nations unies, elle n’arrive pas à boucler son budget.

« Alliance objective ponctuelle »

 

Pour le général Bruno Guibert, commandant de la force « Barkhane », « il n’y a pas de solution militaire au Sahel. » En visite à Mopti au mois de février, le premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga avait souligné la nécessité de trouver « des solutions politiques ». « Mais son discours a eu peu d’applications concrètes », note le cercle de réflexion International Crisis Group (ICG). Au contraire, « de multiples témoignages évoquent des exécutions extrajudiciaires par les forces armées maliennes, alimentant la colère contre Bamako et les militaires. L’animosité au sein des communautés du centre du Mali s’accroît », ajoute l’ICG.

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Une dynamique destructive est aussi à l’œuvre dans la région de Menaka, à la frontière avec le Niger. Deux groupes principalement touareg, le Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés (Gatia) et le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), agissent comme supplétifs de « Barkhane » et des forces armées maliennes, alimentant les rivalités ethniques sous le couvert de la lutte contre le terrorisme. « C’est un jeu dangereux mené par Paris et Bamako, qui dépasse les questions de sécurité. Car c’est aussi une lutte entre Maliens pour le contrôle de zones d’élevage et des routes de trafics », avertit un observateur. A l’Elysée, on minimise l’importance du recours aux groupes locaux. « Il ne s’agit pas d’une coalition, mais d’une alliance objective ponctuelle », explique-t-on.

L’option militaire est insuffisante sans multiplier les projets de développement à l’adresse de régions pauvres pour désamorcer les tensions communautaires. Mais comment le faire dans un environnement violent ? « Il faut dialoguer avec tout le monde, avertit un intervenant français impliqué dans le dossier, parce que la politique suivie jusqu’alors est une bombe à fragmentation intra et inter communautaire. Il y a urgence. »

Christophe Châtelot( avec Marie Bourreau, à New York (Nations unies)

Source : Le Monde

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