La Tunisie est décidée à appliquer l’égalité entre l’homme et la femme en ce qui concerne l’héritage. La décision d’instituer l’égalité en héritage est révolutionnaire. Elle ne sera pas suivie par d’autres pays arabes et musulmans. Pas d’effet domino.
Alors que chez nous le débat pour l’égalité entre l’homme et la femme dans l’héritage semble buter contre le dogme, la Tunisie a décidé d’adapter les textes à la vie moderne donnant à la femme les mêmes droits qu’à l’homme. La Tunisie est décidée à appliquer l’égalité entre l’homme et la femme en ce qui concerne l’héritage. Une commission y travaille pour trouver les mots justes et en donnant le choix aux personnes concernées. C’est un pas d’une immense importance qui fait entrer la société tunisienne dans la modernité, celle qui reconnaît l’individu et le rend responsable de ses actes. C’est pour cela qu’il faut observer ce qui se passe en Tunisie.
Ce petit pays, menacé par le terrorisme et la régression des salafistes, avance et poursuit le chemin d’une révolution à petites doses. D’abord le Code de la famille. Il est le plus progressiste de tout le monde arabe. Grâce à ce qu’avait déjà fait l’ancien président Habib Bourguiba (1903-2000), grâce à la modernité qu’il avait initiée dans un esprit laïc et respectueux des droits de la femme, la Tunisie d’aujourd’hui, malgré ses blessures et ses incertitudes ose toucher à des tabous.
Après le Code de la famille qui autorise une musulmane à épouser un non-musulman, lui donnant ainsi le même droit qu’a depuis toujours l’homme musulman, c’est la liberté de conscience qui a été inscrite dans la Constitution après la révolution de 2011. La liberté de conscience c’est la liberté pour tout citoyen de croire ou ne pas croire, de pratiquer une religion ou de l’ignorer, d’être responsable de ses actes et de vivre selon ses principes et ses valeurs.
C’est l’unique Constitution dans le monde arabe à avoir réussi à introduire cette liberté pour l’individu. C’est aussi grâce à cela que l’individu est reconnu, qu’il émerge en tant qu’entité unique et singulière. Cela n’a l’air de rien, mais c’est fondamental. Tant que le monde arabe et musulman n’a pas franchi ce pas en reconnaissant l’individu, c’est-à-dire la personne, il restera englué dans un brouillard de régression et toute tentative de démocratisation sera vouée à l’échec.
Ce qui est bizarre dans le monde arabe, c’est qu’il adopte avec une facilité déconcertante les progrès techniques les plus sophistiqués et freine de tous ses fers quand il s’agit de progrès social et culturel. Il y a là une schizophrénie qui accentue le retard dans tous les domaines.
Pour ce qui est de l’héritage, c’est une belle avancée que le président Beji Caïd Essebsi, un ancien ministre de Bourguiba, va réaliser. Il aura osé toucher au texte sacré. Mais ce texte sacré n’interdit pas une nouvelle interprétation en liaison avec une adaptation à la vie moderne. Il doit appliquer non pas la lettre mais l’esprit. Il n’y a du point de vue religieux aucun mal à s’adapter, à vivre l’islam non plus tel qu’il est apparu au septième siècle mais tel qu’il a grandi à travers les époques et les civilisations. Déjà en 1974, Bourguiba avait déclaré: «nous devons faire évoluer la charia avec la société». Mais pour nombre de musulmans, la charia est un dogme intouchable. Cette rigidité fait mal à l’islam. Or le croyant a le droit de s’adapter tant qu’il respecte l’esprit du texte.
La décision d’instituer l’égalité en héritage est révolutionnaire. Elle ne sera pas suivie par d’autres pays arabes et musulmans. Pas d’effet domino. Mais pourvu qu’on respecte ce choix et qu’on ne se mette pas à casser la petite révolution silencieuse d’un petit pays où l’éducation a été prioritaire dès l’arrivée sur son sol du protectorat français.
Rappelons que c’est dans ce pays que Habib Bourguiba avait en 1958 osé boire un verre de jus d’orange à la télévision en plein jeûne de ramadan, appelant le peuple à se concentrer sur la lutte contre le sous-développement. Tout le monde sait que le jeûne induit une baisse de rentabilité dans certains domaines. Comme il est légitime de ne pas jeûner durant les longs voyages ou pendant la guerre, Bourguiba considérait que le combat contre le sous-développement était comparable à une guerre. Durant des décennies, les Tunisiens étaient libres de jeûner ou de ne pas jeûner. C’était unique dans le monde arabo-musulman. Cette liberté a été interrompue durant le régime de Ben Ali qui, tout en luttant contre les islamistes, ne laissait pas de liberté aux laïcs.
La Tunisie a été plusieurs fois frappée durement par le terrorisme. Ce qui a mis en faillite son système touristique et a causé d’énormes dégâts dans l’économie du pays. Elle reste menacée par des salafistes. Son armée est modeste. Sa police aussi. Le président actuel, Beji Caïd Essebsi nous avait déclaré lors d’une visite en 2015 combien la Tunisie est fragile et qu’elle n’a pas les moyens de surveiller toutes ses frontières. C’est dans ce pays fragile que des décisions courageuses et révolutionnaires sont prises en dépit des conditions difficiles dans lesquelles vivent les Tunisiens.
Tahar Ben Jelloun
Source : Le 360.ma (Maroc)
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