« Black Panther » bouscule les schémas hollywoodiens

En deux semaines, le film de Marvel Studios a battu des records. Pour les Noirs, il constitue un changement capital dans la manière dont ils sont représentés.

 

Célébration de la culture noire et de son universalité, le film Black Panther a dépassé les 400 millions de dollars (328 millions d’euros) de recette depuis sa sortie le 16 février aux Etats-Unis. Et le deuxième week-end, il a pratiquement égalé le record détenu, depuis 2015, par Le Réveil de la Force (Star Wars), avec 117 millions de dollars au box-office. Seuls deux autres longs-métrages (Jurassic World, en 2015, et Avengers, en 2012) avaient jusqu’ici dépassé la barre des 100 millions de dollars pour cette période.

 

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Le film – une allégorie joyeuse et colorée qui défie les stéréotypes, de race, de genre, de continent – est devenu un « phénomène culturel », a analysé le responsable de la distribution chez Disney, Dave Hollis. « Le film que le public espérait. »

 

A part quelques trolls sur les réseaux sociaux, vite maîtrisés, Black Panther a suscité un enthousiasme collectif devenu rare dans la société américaine. Le premier week-end les Noirs étaient majoritaires dans le public : 37 % (contre 35 % pour les Blancs). La proportion s’est inversée le week-end suivant : ce sont les Blancs qui ont été les plus nombreux, avec 37 % de l’audience. Selon ces chiffres communiqués par Disney, les Latinos représentaient 18 % des spectateurs et les Asiatiques 7 %. « Jamais super-héros n’a joué pour un public aussi mélangé », a observé le Hollywood Reporter.

 

Lire le compte-rendu :   Des tweets racistes autour de « Black Panther » deviennent la risée des réseaux sociaux

 

« Fierté noire »

 

Avant même sa sortie, Black Panther était vu comme un « événement majeur pour la communauté afro-américaine », selon l’expression de Carvell Wallace dans le New York Times. Les associations avaient incité leurs adhérents à réserver des places pour assurer que le film serait un blockbuster dès le premier week-end. Il s’agissait de prouver, deux ans après le mouvement « Oscars so White », qui a obligé Hollywood à ouvrir les yeux sur la quasi-absence de minorités dans ses nominations, que « les narrations afro-américaines peuvent générer des bénéfices provenant de tous les publics », écrit le journaliste Jamil Smith dans le magazine Time. Démonstration réussie. Bob Iger, le PDG de Disney, l’a même admis : Black Panther a détruit « des mythes qui perduraient depuis des années dans l’industrie cinématographique ».

 

Lire le décryptage :   Le premier super-héros noir reprend du pouvoir dans la pop culture américaine

 

Dès la sortie, les parents ont emmené leurs enfants. Des campagnes de financement participatif ont permis d’offrir des places aux jeunes défavorisés, pour leur faire partager la « fierté noire » qui se dégage d’une histoire où, pour une fois, c’est l’Afrique qui vient à la rescousse de l’Amérique. En classe, les enseignants ont expliqué la symbolique du royaume du Wakanda : « Ce à quoi ressemblerait l’Afrique si elle avait échappé aux ravages du colonialisme, à la traite des esclaves et au pillage de ses ressources. »

 

Lire la tribune :   « Le royaume de Wakanda, une Afrique du futur en miniature ? »

 

A Oakland (Californie), berceau du réalisateur Ryan Coogler, 31 ans, et du Black Panther Party (en 1967), on s’est paré des couleurs de l’Afrique pour une première d’anthologie – en présence du metteur en scène – au Grand Lake Theater, là où il avait vu ses premiers films.

 

Une page qui se tourne

 

Des associations ont organisé des projections suivies de séances d’inscription sur les listes électorales. Des milliers de personnes ont signé une pétition demandant à Disney d’investir un quart des bénéfices dans des programmes d’éducation des minorités. Mardi 27 février, Bob Iger, le PDG du groupe, a fait un geste : 1 million de dollars pour créer des centres d’innovation technologique dans les clubs de jeunesse du pays.

 

Une projection gratuite de « Black Panther », organisée par Mari Copeny (troisième en partant de la gauche sur la photo) pour plus de 150 enfants, à Flint Township (Michigan), le 19 février 2018.

 

Pour les Noirs, Black Panther est une page qui se tourne sur la production culturelle qui les cantonne dans des rôles de victimes de l’Histoire ou de second plan. Un tournant dans la représentation des femmes, qui apparaissent dans toutes leurs palettes de compétences – à l’image de Shuri, la princesse-ingénieure, ou « chief technology officer », comme dit la Silicon Valley.

 

Lire l’éclairage :   Derrière le pays imaginaire de « Black Panther », une langue sud-africaine bien réelle

 

Les femmes du Wakanda sont libérées de la dictature du cheveu lisse ; leurs coiffures sont des œuvres d’art africaines (on en voit déjà l’inspiration dans la rue, affirme la professeure d’histoire de l’université du Michigan, Tiya Miles, pour qui la montée du discours nationaliste blanc est en train d’engendrer une nouvelle « vague de résistance culturelle noire »).

 

Et ce sont les femmes qui sauvent – par les armes – le royaume du Wakanda. « Des femmes qui protègent, ce n’est pas quelque chose que l’on voit souvent », relève Robyn Spencer, historienne et spécialiste du rôle des femmes au Black Panther Party.

 

Le film a engendré un débat sur les relations inconfortables entre le continent et la diaspora.

Le film a aussi engendré un débat sur les relations inconfortables entre le continent et la diaspora, débat centré sur le personnage de Killmonger, l’enfant déchu du Wakanda, resté à Oakland. Killmonger (joué par Michael B. Jordan) incarne la figure du « Noir en colère », contre l’esclavage jamais réparé, la discrimination, les brutalités, et il veut prendre le pouvoir pour se venger. Une philosophie bien éloignée de « l’afro-futurisme » du Wakanda, l’idée que les Noirs ont « gagné le futur », explique Carvell Wallace.

 

Christopher Lebron, universitaire auteur d’un livre sur Black Lives Matter, regrette que Ryan Cooger ait choisi le parti de l’Afrique. « Malgré le discours sur le colonialisme ou l’impérialisme, le méchant, dans l’histoire, c’est un Noir, note-t-il. Un Noir américain, le seul Noir américain du film. » Aux yeux de ces – rares – critiques, le film glorifie la culture noire mais pas la revendication des Noirs américains.

 

 

Lire le reportage :   A Abidjan, l’acteur Isaach de Bankolé en VRP de « Black Panther »

 

Corine Lesnes
(San Francisco, correspondante)
Source : Le Monde

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