Éducation : la quantité au détriment de la qualité

La rentrée scolaire et universitaire en Afrique francophone ne s’est pas trop mal passée compte tenu des effectifs pléthoriques.

En effet, depuis 1970, ils ont été multipliés par trente dans l’enseignement supérieur et par vingt dans le secondaire et le primaire. C’est comme si la France comptait vingt millions d’étudiants et deux cents millions d’élèves ! – Tribune d'Odon Vallet écrivain et créateur de la Fondation Vallet.

C’est rassurant pour la francophonie, puisque 80 % des effectifs scolarisés sont désormais africains, mais c’est inquiétant pour l’Afrique, où les universités sont surpeuplées alors même que le taux de scolarisation dans le supérieur est à peine le quart du chiffre mondial. Que se passera-t-il si ce taux progresse ? Quant au primaire et au secondaire, on n’ose prévoir l’avenir tant les statistiques sont fantaisistes : avec les modes de calcul de l’indice de développement humain (IDH) cher à l’Indien Amartya Sen, Prix Nobel d’économie en 1998, certains pays d’Afrique ont un taux « brut » de scolarisation de 120 % !

Bien sûr, ces chiffres demeurent politiques : plus ils sont élevés, plus les crédits internationaux abondent, surtout si le pourcentage de filles augmente. Peu importe qu’ils suivent les cours sous le baobab ou dans la cabane de bambou, les élèves – filles ou garçons – sont supposés apprendre. Et, confinés dans leur quadrilatère favori qui va de l’aéroport aux grands hôtels et de la présidence aux ambassades, les donateurs vont rarement voir les écoliers.

« Heureusement », le taux d’échec aux examens demeure élevé – il avoisine souvent les 60 % à 70 % pour le BEPC ou le bac. Si les élèves africains avaient le même taux de réussite que dans l’Hexagone (soit près de 90 %), trois fois plus d’élèves s’inscriraient dans l’enseignement supérieur. Et certains obtiendraient sans doute la note de 21 sur 20, facilitant la réélection des politiques, car un élève majeur et ses parents c’est trois voix aux élections…

« Prérequis »

Certains pays africains, comme le Bénin, commencent discrètement à vouloir réduire le nombre d’étudiants, voire d’élèves, en exigeant quelques « prérequis » (de bonnes notes dans certaines matières) avant l’admission à l’université – Jean-Michel Blanquer, le ministre français de l’Éducation, a fait des émules outre-Méditerranée.

On peut rendre aussi obligatoire le succès au BEPC pour l’entrée en seconde, ce qui diminuera le nombre de candidats au bac, quitte à créer un gigantesque embouteillage de redoublements en troisième. On peut enfin, et certains ministres africains y songent sérieusement, rétablir l’« examen probatoire » en classe de première, ultime vestige du « premier bachot » dans l’ex-puissance coloniale. Il n’a d’ailleurs jamais disparu au Togo.

Mais, sur le continent comme en France, on se demande si les études les plus longues sont les mieux adaptées au marché de l’emploi. À peine adopté, le système 3-5-8 (licence, master, doctorat) est remis en question, et l’on souhaite, comme c’est le cas à Paris, redonner du prestige au bac + 2 ou bac + 3. Surtout, il faut réorienter des élèves vers les formations techniques ou agricoles, trop peu présentes en Afrique.

Le sujet est délicat, tant les élèves veulent accéder aux formations prestigieuses à fort taux d’échec (médecine) ou de chômage (droit). Mais le débat ne date pas d’hier. Il y a cent ans déjà, l’administration coloniale souhaitait une « école plus adaptée aux milieux ruraux africains ». En 1962, René Dumont la réclamait aussi dans son ouvrage L’Afrique noire est mal partie (Seuil).

Léopold Sédar Senghor pensait de même, mais il vira de bord vers 1960 car les nouvelles élites de l’indépendance ne voulaient pas d’un enseignement au rabais. Avec Jean Capelle, le directeur général de l’enseignement en Afrique-Occidentale française (AOF), il aligna l’enseignement des nouveaux États sur celui de la France élitiste, la France de la Sorbonne et de Louis-le-Grand. Et pourtant : le recteur Capelle n’était pas qu’un brillant normalien en sciences. Il a aussi inventé la boîte de vitesses de la Citroën 2CV. Autrement dit, c’était un bon technicien.

 

Odon Vallet

 

Source : Jeune Afrique

 

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