Quand deux Marocains se rencontrent à l’étranger, de quoi parlent-ils? Du Maroc. Ils passent en revue ses failles et ses faiblesses et se mettent à le comparer avec d’autres pays. Lorsqu’un étranger se joint à eux et émet à son tour des critiques, il est rejeté, traité de raciste et d’ingrat.
Notre passion pour notre pays n’a d’égale que notre capacité à le dénigrer (entre nous). Quand deux Marocains se rencontrent à l’étranger, de quoi parlent-ils ? Du Maroc. Ils passent en revue ses failles et ses faiblesses et se mettent à le comparer avec d’autres pays. Ils sont intarissables sur les anecdotes et les rumeurs qu’on leur a racontées. Critiquer, relève d’un droit normal. Encore faut-il que la critique soit sincère, fondée, argumentée. Mais nous avons tendance à traiter notre relation à notre pays de manière intimiste.
On dirait la famille. A écouter ce que se disent ces deux compatriotes, le Maroc serait en panne, rien n’y marcherait et, de toute façon, cela tiendrait aux mauvaises habitudes héritées du colonialisme. Les hommes politiques passent sur le gril et ne jouissent pas d'une grande considération. Ceux qui critiquent ajoutent que tout ce qui se fait de bien, nous le devons à Sa Majesté. C’est vrai. Mais le roi n’a cessé d’inviter les bonnes volontés à se mettre au travail, à prendre les choses en main et à poursuivre ce qu’il initie et lance comme projets.
Prenons le cas du fléau de la corruption! Elle ne disparaîtra pas avec une baguette magique. Si chaque citoyen décide de manière ferme et définitive de ne jamais avoir recours à ce procédé, il n’y aura plus de corruption. C’est une fraude clandestine qui ne laisse pas de traces. Difficile de l’enrayer sans preuves. L’unique solution, c’est la responsabilisation de tous les citoyens. Il me semble que c’est le sujet qui revient le plus souvent dans les discussions.
La corruption fleurit en toute tranquillité un peu partout, principalement dans le milieu de la justice. Attention, il y a des magistrats honnêtes et intègres. D’ailleurs les «courtiers», ceux qui jouent les intermédiaires, les connaissent et vous disent «Non, avec celui là, pas moyen de…». Mais il suffit qu’il y ait une personne corrompue pour contaminer toute la profession. Le pire, c’est qu’il existe des avocats dont le métier est de défendre leur client, qui se font corrompre par le côté adverse et salissent cette profession noble. Ils sont une petite minorité mais je sais de quoi je parle.
J’ai accordé l’autre jour un entretien à une journaliste des Pays-Bas. Après avoir parlé littérature, peinture, art et engagement, elle me dit, une fois le micro éteint: «Dites-moi, pourquoi les Marocains ont une si mauvaise réputation? A quoi attribuez-vous cette méfiance qui fait que certains Hollandais désireux d’investir dans votre pays hésitent et disent il n’y a pas de sécurité judiciaire?». Ce n’est pas la première fois que j’entends ce discours. Certains investisseurs étrangers, qui ont quelques problèmes au Maroc, ne cessent de répandre et d’amplifier cette mauvaise réputation.
Nos deux Marocains qui critiquent leur pays, admettent aisément ce fait: dans les affaires, il faut tout blinder, sinon, on se fait dépouiller. Jusqu’à quand continuerons-nous à dresser du Maroc un tableau hideux et non attractif? La critique lucide et sévère ne suffit pas. Encore faut-il changer le comportement et faire un travail pédagogique sur les mentalités. Il paraît que les Asiatiques, avant de partir investir dans des pays lointains, suivent un stage de comportement. On devrait suivre des stages pour apprendre à recevoir et à négocier, tout en ayant à l’esprit le respect absolu du droit et de la parole donnée. Faire du juridique une référence sans équivoque.
Les Marocains sont champions de l’hospitalité. Ils savent recevoir et sont généreux. Mais quand il s’agit des affaires, certains oublient les principes et cherchent à engranger des gains rapides et faciles.
Une dernière remarque: nos deux Marocains critiquent sans retenue. Lorsqu’un étranger se joint à eux et émet à son tour des critiques (car ayant eu de mauvaises expériences sur le terrain), il est rejeté, traité de raciste et d’ingrat. Tant qu’on n’accepte pas d’être critiqué par les autres, surtout quand cela est fondé, quand on n’accepte pas d’écouter les autres, de prendre au sérieux ce qu’ils nous disent, de se remettre en question, on ne peut pas avancer. On se plaint entre nous, mais on ferme les yeux et les oreilles sur ce que pensent les autres de nous. L’image de notre pays ne s’améliorera pas toute seule. Il faudrait une prise de conscience et un travail pédagogique sur nous et nos mentalités pour rectifier ce qui pourrait l’être.
Tahar Ben Jelloun
Source : Le 360.ma (Maroc) (Le 16 janvier 2017)
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