Si un grand lecteur dévore une vingtaine de livres par an, que penser de Chuck Finley, qui, en l’espace de 9 mois, a englouti 2361 ouvrages ?
À la bibliothèque, on se féliciterait presque de cette assiduité. Sauf que Chuck n’a en réalité pas lu un seul de ces livres – tout simplement parce qu’il n’existe pas. Quid ?
Deux employés de la bibliothèque du comté de East Lake (Floride), ont en effet inventé une identité de toutes pièces à ce lecteur, pour sauver les livres de leur établissement. Re-quid ? La politique officielle de l'établissement veut en effet que si un ouvrage ne circule pas dans une période de un à deux ans, il doit débarrasser le plancher. Une approche totalement contraire à la mission même des bibliothèques, que les employés ont su habilement contourner avec Chuck.
Une fausse adresse, un numéro de permis de conduire, et voici comment Chuck Finley a pu, au cours des derniers mois, faire tourner le fonds de la bibliothèque. Mais son activité a fini par attirer l’attention, et une enquête fut diligentée, pour définir ce qui pouvait expliquer une telle gourmandise. L’usurpation d’identité a rapidement été découverte et le comté a alors demandé une vérification globale de l’ensemble des bibliothèques.
Pour George Dore, le responsable de l’établissement, la méthode n’avait rien d’exceptionnel : d’autres font la même chose, avec un objectif commun. Cette rotation permet en effet de ne pas avoir à racheter, deux ans plus tard, un livre qui ne circulait plus et que l’on a dû bazarder. D’autant plus que les neuf bibliothèques municipales reçoivent une dotation qui découle de la circulation même des livres.
Un peu moins d’un million de dollars est reversé chaque année aux établissements, sur la base des mouvements de livres. Si George Dore et son assistant Scott Amey ont créé Chuck Finley, c’est avant tout pour sauver des livres, assure-t-on. C’est un joueur de baseball retraité qui a inspiré son nom – il avait d’ailleurs joué principalement pour la Californie et Los Angeles, en 17 années de carrière.
Sauver des livres, économiser des dépenses
La guerre de l’argent serait doublement au cœur de ce qui reste une arnaque : d’un côté, économiser sur des dépenses inutiles, dans le rachat de livres, de l’autre, maintenir, voire augmenter le budget alloué pour les acquisitions. La bibliothèque d’East Lake avait ainsi augmenté son taux de circulation de 3,9 % grâce aux emprunts prolifiques de Chuck. Elle garantissait ainsi que son enveloppe budgétaire ne serait pas touchée.
George Dore, actuellement suspendu, conserve malgré tout son emploi en attendant que l’enquête finisse de statuer. « Je trouve cette situation a entraîné une réaction fortement exagérée, devant un acte qui n’avait qu’un but : sauver des livres », assure-t-il. Mais la réponse du directeur de département des bibliothèques, Jeff Cole, reste implacable : « La règle générale est que si un document n’a pas été prêté dans une période d’un à deux ans, il est généralement désherbé et mis hors du circuit. »
Et c’est donc contre ces purges automatisées que Chuck Finley fut conçu. Le problème ne vient donc pas de la collecte de donnée, mais de ce que les logiciels de traitement implémentés dans les établissements de prêts jouissent d’une aveugle confiance. Devenir des criminels pour protéger les livres d’une disparition systématique sur de bêtes critères statistiques, voilà qui ne manquerait pas d’inspirer des écrivains.
Mais voilà : tenter d’apprendre à un logiciel à se comporter de manière moins binaire, et à pondérer ses données – et les conclusions qu’il tire – n’a rien d’une sinécure. Refléter l’intelligence humaine qui sait anticiper les tendances, c’était là toute l’intention des deux bibliothécaires.
Cécile Mazin
via Orlando Sentinel
Source : ActuaLitte (Le 3 janvier 2017)
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