Mauritanie : pourquoi une opération de routine s’est transformée en rixe générale à Nouakchott

Ce ne devait être qu’une opération de routine. Ça s’est terminé en rixe générale. La résistance des habitants des bidonvilles, tous haratines, a-t‑elle été conduite par les militants antiesclavagistes ?

Les autorités mauritaniennes croyaient pouvoir mener, le 29 juin, une opération de « déguerpissement » de routine dans le quartier du Ksar, à Nouakchott. La nécessité d’embellir la capitale avant le sommet de la Ligue arabe, fin juillet, et vraisemblablement le pouvoir d’influence de l’affectataire du terrain illégalement occupé à proximité de l’hôpital Bouamatou justifiaient, selon elles, de raser le bidonville qui y était installé depuis une vingtaine d’années.

Est-ce le nombre important des « déguerpis » (400 familles) ? le fait que l’opération conduite par la police ait eu lieu sans ménagement durant le ramadan ? ou qu’aucun relogement n’ait été sérieusement organisé vers le quartier de Dubai ? Toujours est-il que l’affaire a dégénéré en bataille rangée entre les habitants du bidonville et les forces de l’ordre. Bilan : douze blessés parmi les forces de l’ordre et un bus de la police incendié. Une « première » violente qui a choqué l’opinion et pris de court les autorités.

Les antiescalavagistes arrêtés dans la foulée

« Les pouvoirs publics allaient procéder au recasement des habitants, a affirmé le wali de Nouakchott-Ouest, Mahi Ould Hamid, mais ils ont été incités à la violence par d’autres. » Les autorités ne se sont donc pas contentées d’arrêter des émeutiers supposés dans les heures qui ont suivi les affrontements. Elles ont aussi interpellé l’état-major de l’association antiesclavagiste IRA (Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste), qui ne manque jamais une occasion de défendre les Haratines, descendants d’esclaves noirs qui se sentent des citoyens de seconde zone par rapport aux Maures.

Les familles « déguerpies » étant haratines, les pouvoirs publics sont convaincus que l’IRA est à l’origine de leur résistance, inhabituelle. Ils affirment que les vidéos et les aveux des neuf cadres de l’IRA interpellés prouvent l’implication de l’association. Ces derniers ont été présentés le 11 juillet au parquet et inculpés des chefs de rébellion, usage de violence, attaque contre les forces de l’ordre et agents de la justice et appartenance à une organisation non reconnue.

Le même jour, une manifestation de soutien aux militants incarcérés a été violemment réprimée à Nouakchott, et une vingtaine de membres de l’IRA ont aussi été interpellés.

Biram Dah Abeid dénonce une manipulation du pouvoir 

De Washington, où il se trouve pour recevoir un prix du département d’État américain pour son combat humanitaire, le président de l’IRA, Biram Dah Abeid, a affirmé sur le site ­nouakchott.com que le pouvoir mauritanien avait « fabriqué des accusations contre l’IRA pour défigurer son image », ses militants ayant été arrêtés à leur domicile et non sur les lieux des affrontements. Il a relié ces événements à sa condamnation, en août 2015, à deux années de prison pour avoir organisé une marche contre les expropriations d’agriculteurs haratines dans la région de Rosso.

Même si des Maures militent dans son association, Biram apparaît aux yeux de nombreux Mauritaniens comme un diviseur de la nation, opposant les Haratines aux Maures. Provocateur au point de brûler des livres considérés comme saints, mais qu’il dénonce comme de mauvaises exégèses du Coran destinées à légitimer l’esclavage, il donne à son combat en faveur des déshérités une tournure qui rebute nombre de ses concitoyens.

Son intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2019 et ses discours enflammés contre le président, Mohamed Ould Abdelaziz, qu’il qualifie immanquablement d’esclavagiste, peuvent aussi expliquer la réaction brutale d’un pouvoir vexé d’être défié par une foule en colère. Les autorités ont prévenu que l’opération de nettoyage de la capitale continuerait : les mendiants – notamment les réfugiés syriens – seront interdits sur la voie publique.

Alain Faujas

 

Source : Jeune Afrique

 

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