Jasta, un projet de loi explosif aux Etats-Unis

C’est une querelle qui, pour une fois, transcende les tranchées partisanes au Congrès américain.

Le 17 mai, le Sénat a adopté à l’unanimité le Justice Against Sponsors of Terrorism Act (Jasta), un texte de loi présenté conjointement par un démocrate, le sénateur de New York  Chuck Schumer, et le républicain John Cornyn, du Texas.

Il doit permettre aux citoyens américains de poursuivre des Etats qui auraient assisté « directement ou indirectement » des organisations impliquées dans « des activités terroristes contre les Etats-Unis ».

Le texte avait longtemps été bloqué par un sénateur républicain, Lindsey Graham (Caroline du Sud), qui partageait les inquiétudes de l’administration Obama. « Cette loi changerait le droit international traditionnel à l’égard de l’immunité des Etats », a mis en garde Josh Earnest, le porte-parole de la Maison Blanche. Une autre majorité bipartisane, cette fois-ci à la Cour suprême, a validé le 20 avril une procédure permettant aux familles des victimes de l’attentat contre le contingent américain déployé à Beyrouth, au Liban, en 1983, d’obtenir le gel d’avoirs iraniens.

L’administration Obama est d’autant plus gênée par l’initiative sénatoriale qu’elle fait explicitement référence aux attentats du 11-Septembre et qu’elle intervient parallèlement aux démarches entreprises par un autre groupe d’élus des deux bords pour permettre la déclassification de vingt-huit pages du rapport de la commission parlementaire qui s’était penchée sur l’attaque la plus meurtrière perpétrée sur le territoire américain. L’existence de ces pages n’a cessé de nourrir des théories du complot.

De nombreux Etats concernés

Un ancien sénateur démocrate membre de cette commission, Bob Graham, milite depuis longtemps pour cette publication, qui étayerait, selon lui, une responsabilité de l’Etat saoudien. Un autre démocrate, également membre de la commission, l’ancien représentant Lee Hamilton, juge au contraire que le contenu de ces vingt-huit pages se limite à des renseignements bruts dont certains ont été invalidés par les travaux de la commission, notamment s’agissant de la responsabilité potentielle d’un diplomate saoudien alors en poste à Los Angeles. De hauts responsables des renseignements, dont le directeur de la CIA John Brennan, mettent également en cause la qualité des informations contenues dans ces pages, dont le président Obama n’a jamais pris connaissance, selon la Maison Blanche.

Une éventuelle déclassification pourrait intervenir en juin. Elle pourrait coïncider avec l’adoption par la Chambre des représentants du texte voté le 17 mai par le Sénat. La Maison Blanche a indiqué qu’en dépit des modifications apportées par les sénateurs au projet de loi Jasta, le président Obama opposerait son veto. Selon le New York Times, l’Arabie saoudite aurait fait savoir qu’elle riposterait à l’adoption de ce texte en bradant les 750 milliards de bons du Trésor américain qu’elle détient.

« Le débat, notamment dans les médias, se focalise pour le moment sur le cas saoudien et cela explique que personne n’y fasse trop attention en Europe, mais d’autres pays pourraient être concernés », assure un avocat expert auprès de l’Union européenne, où le texte commence à susciter quelques préoccupations. L’exemption d’immunité souveraine, qui existait dans le droit américain déjà depuis des années, ne visait jusqu’ici que les Etats considérés comme des « sponsors du terrorisme » par l’exécutif. La loi Jasta est beaucoup plus large.

Elle permettrait en effet des procédures au civil et des class actions (recours collectifs) des victimes ou de leurs ayants droit « contre des personnes, des entités et des pays étrangers – où qu’ils agissent et où qu’ils soient – ayant fourni un soutien matériel – direct ou indirect – à des organisations étrangères ou à des personnes engagées dans des activités terroristes contre les Etats-Unis ». Donc y compris un Etat présumé coupable simplement de négligence ou d’incapacité à prévenir un attentat visant le territoire américain ou des bâtiments diplomatiques américains. Dans l’absolu, des victimes des attentats du 11-Septembre pourraient exiger des dédommagements de l’Allemagne en raison du rôle-clé joué par la « cellule de Hambourg » et Mohammed Atta dans la préparation et la mise en œuvre des attaques contre le World Trade Center.

« Chaos juridique »

« Ce nouveau pas franchi dans la contestation de l’immunité souveraine des Etats est dangereux, en premier lieu pour les Etats-Unis, car il y a un risque bien réel de voir d’autres pays adopter en rétorsion des législations similaires », analyse Serge Sur, professeur émérite de droit international et directeur de la revue Questions internationales, soulignant les risques d’un « chaos juridique ». Une préoccupation qui est aussi celle de l’administration Obama, même s’il n’est pas simple de bloquer un texte qui a le soutien d’une majorité de ses concitoyens. « Le président continue de craindre que cette loi ne rende les Etats-Unis vulnérables », a insisté le porte-parole de la Maison Blanche après l’adoption du texte par le Sénat, rappelant que son pays est « plus engagé que n’importe quel autre sur la scène internationale ».

Marc Semo

Source ;  Le Monde

 

 

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