Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou : « Nous sommes face à quelque chose d’évanescent »

INTERVIEW. Professeur associé au Graduate Institute, ce Mauritanien, directeur au Geneva for Security Policy, décrypte le rapport de l'Afrique à la sécurité.

Le Point Afrique : les États africains sont-ils prêts, au-delà de divergences politiques, à coopérer en matière de sécurité ?

Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou : La volonté est là, indéniablement. On ne peut pas remettre en cause la volonté des gouvernements de chercher le bien-être de leurs populations et de se prémunir de menaces qui sont réelles. Inévitablement, la coopération est la base de tout. Parce que c'est la réponse à la mondialisation. Comment concevoir une réponse locale, dans un enclos, alors que les problèmes se déversent ? C'est presque mathématique. Cependant, le défi est d'un ordre différent. Un bon diagnostic est nécessaire et passe par une bonne compréhension d'une situation évolutive. Nous ne sommes plus face aux groupes armés des années 1970, par exemple, qui sont beaucoup plus localisés, territorialisés. Nous sommes face à quelque chose de beaucoup plus évanescent, fluide, difficile à conceptualiser même. De fait, je crois que la première chose à faire est de comprendre. Les États doivent s'en donner les moyens à travers l'éducation, la recherche, la collaboration avec les think tanks, la société civile… Au-delà, c'est l'adoption, dans le cadre législatif, d'un arsenal juridique. Et je crois que nous sommes en train d'observer, même si c'est de manière lente, une mise à niveau mieux adaptée à la nature des menaces.

Ces moyens dont vous parlez, existent-ils sur les plans humain, logistique, technologique ?

Pas assez, pour des raisons assez simples. Le niveau de développement des pays africains est asymétrique par rapport aux pays du Nord. Et je crois que l'accès à la technologie doit être facilité. Avec de la vision, une volonté, un bon partenariat et l'ingéniosité des jeunes un peu partout sur le continent, on peut entrevoir cette réalité. Dans un pays comme le Maroc, par exemple, il y a un dynamisme au niveau de la jeunesse, de la technologie, un engouement qu'il va falloir mettre en relation avec les besoins de protection de la cité.

Le Sahel apparaît aujourd'hui comme l'épicentre de la menace terroriste qui frappe l'Afrique…

Indéniablement. Je crois que l'on peut identifier différentes zones en Afrique dans lesquelles on a une aggravation de ces questions. Avec le conflit libyen et la crise malienne, on a vu apparaître des réseaux et des groupes terroristes nourris à la violence, au kidnapping, au rançonnement, au trafic, au blanchissement, en clair à un véritable business. Qu'est-ce qui est leur première motivation : le terrorisme ou l'activité criminelle et mafieuse ? En réalité, on voit un maillage des deux. Il faut regarder ce problème droit dans les yeux. Il ne faut pas tomber dans le piège d'une idéologie politique, voire religieuse, souvent mise en avant, avec notamment une théâtralisation de l'islam qui, en l'occurrence, est instrumentalisé. En réalité, les motivations sont essentiellement pécuniaires et l'argent engendré est utilisé pour corrompre des communautés. L'illustration en a été observée dans le nord du Mali lors de la prise de villes par Aqmi et les différents groupes qui lui sont associés.

Les solutions militaires ne suffisent pas…

L'enchevêtrement observé dans ces questions fait que l'on doit nuancer les réponses. Il y a bien entendu un premier niveau, étatique. Là, ce sont des questions de société qui se posent à tel ou tel État. Celui-ci doit développer ses structures et sa capacité de réponses. Un premier grand pas doit être réalisé en concertation avec les communautés locales, la société civile, dans le respect d'une certaine éthique. C'est une étape importante qu'il ne faut pas escamoter. Le deuxième niveau est régional, à travers la coopération entre les Etats, les organisations régionales, avec des politiques qui se complètent, des pays qui travaillent la main dans la main. De manière générale, sur ces questions, il faut un portfolio de réponses éthiques, politiques, sociales… et s'armer de patience. C'est un travail de longue haleine.

 

 Dounia Ben Mohamed

 

Source : Le Point Afrique

 

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