La diplomatie islamique du Maroc vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne

Au Mali, une simple connaissance de la langue arabe, aussi superficielle soit-elle, suffit pour devenir imam ou prêcheur. Une partie des imams ne maitrise d’ailleurs pas la langue arabe, qui est la langue de l’islam, et n’est dépositaire que de connaissances théologiques effleurées.

Bien que pouvant présenter des déficiences, ces leaders religieux sont toutefois acceptés comme tels, et leurs propos restent perceptibles auprès de leur auditoire, les fidèles.

Il n’y a pas de formation spécifique au Mali, on devient donc imam par la force des choses.  Les mosquées dans lesquelles officient ces imams, sont généralement privées. Les ‘’généreuses’’ personnes impliquées dans le religieux, qui les bâtissent, choisissent librement leurs imams.

La visite du roi du Maroc, Mohamed VI, à Bamako le 18 février 2014, a donné lieu à la conclusion d’un accord sur la formation d’imams maliens. Le royaume du Maroc s'est engagé à accueillir cinq cents imams maliens sur cinq ans. Le but est de former des imams authentiques sur la base de l’islam malékite, ouvert et tolérant. En sus de ses caractéristiques strictement religieuses, il nous parait que cette généreuse offre du royaume chérifien, vis-à-vis de l’État malien, s’inscrit aussi dans un cadre géopolitique qu’il nous semble important d’analyser. 

La formation des imams maliens par le royaume du Maroc

Cent six imams maliens, sélectionnés par le ministère malien du Culte et des Affaires religieuses, sont actuellement en formation dans un centre de formation des imams, de Rabat. Il s’agit pour la plupart, d’imams débutants, âgées de 25 à 45 ans, et venant de toutes les régions du Mali. Cette formation est structurée autour des enseignements sur la méthodologie du prêche, l’histoire de l’islam, la vie du prophète, les sciences coraniques, mais aussi en informatique et en communication. L’expérience malienne a inspiré d’autres pays africains, qui souhaitent également former leurs imams au Maroc. Le ministère marocain des Affaires islamiques a ainsi reçu les demandes de formation du Gabon, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry. Face à ces demandes, le 12 mai 2014, le roi Mohamed VI a donné le coup d'envoi des travaux de « l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, morchidines (prédicateurs) et morchidates (prédicatrices). Situé à Rabat, et couvrant trois hectares, le centre abritera des salles de cours et de conférence, des locaux administratifs, des logements et des services de restauration pour les étudiants étrangers. « Le coût des travaux est évalué à 140 millions de dirhams (environ 12 millions d’euros) »[1].

Le programme de formation des imams maliens semble opportun, compte tenu des récentes manifestations de l’islam au Mali. Par ailleurs, il laisse apparaitre ses limites. Le directeur de cabinet du ministre marocain des Affaires islamiques explique que son pays forme « des imams authentiques qui n’iront pas chercher d’autres idées que celles qui sont dans la population depuis des siècles »[2]. Il apparait ainsi que, d’une part, le projet de formation des imams par le Maroc vise à préserver les choix rituels et doctrinaux du pays, relevant de l’islam malékite. D’autre part, cette démarche aurait sans doute été bénéfique, seulement, dans le cas où les autorités maliennes octroieraient l’imâma (la fonction d’imam, par extension de prédication).

La sphère religieuse malienne n’étant soumise à aucune règle spécifique, la portée de cette démarche risque de produire que des impacts très limités. La construction de mosquées au Mali n’est soumise à aucune autorisation préalable. Une structure ou personne qui en érige une, est libre de choisir la personne qui lui semble qualifiée pour conduire les prières et les prêches. La segmentation de l’espace religieux malien étant très prononcée, il est systématique qu’on retrouve dans les mosquées wahhabites les imams de la doctrine et, dans les mosquées malékites, des imams imprégnés du malékisme. Nous considérons que le programme de formation n’ait réellement concerné les imams, et leaders religieux les plus aptes à y participer, c’est-à-dire ceux de la tendance salafiste. Nous avons ainsi pu constater que ceux des imams maliens qui ont fait le déplacement vers le Maroc, en vue d’être formés, sont déjà imprégnés de la culture malékite. Si le but essentiel de la formation consiste à promouvoir un islam tolérant, il devrait nécessairement concerner, en premier lieu, les leaders religieux les plus rigoristes, afin de les ramener à des positions plus modérées. Cet objectif nous semble pourtant difficilement réalisable, car l’islam malékite représente, pour les salafistes/wahhabites, une vision erronée de la religion musulmane. Le choix des personnes, pouvant participer au programme de formation, n’a pu être donc basé sur une procédure ciblée. N’ont répondu à l’appel à candidature, que les imams intéressés par l’offre. Il est donc clair que ceux-ci avaient un penchant pour le rite malékite.

L’islam comme un pont reliant le Maroc à l’Afrique subsaharienne

Compte tenu du rôle croissant du Maroc sur la scène africaine, qui s’exerce aussi fortement à travers la religion, nous nous sommes questionné sur les intérêts que le pays peut tirer de ce type de processus. Outre les mesures de « diplomatie économique », le Maroc a su exploiter d’autres pistes, notamment le biais idéologique (‘’diplomatie islamique’’), dans ses rapports avec l’Afrique subsaharienne. Les convergences idéologiques, en ce sens, pourraient ainsi avoir tendance à favoriser les convergences politiques. Comme l’écrit Alain Antil : « le roi du Maroc cumule les rôles de souverain théocratique et de chef d’État moderne avec des moyens de communication de masse qui permettent de relayer son image et ses discours dans toutes les régions du royaume […] Il est véritablement au-dessus des lois car il détient son autorité de Dieu […] La politique étrangère du royaume n’est que le reflet de la structure du pouvoir, et apparait d’abord comme le domaine réservé du roi » (Alain Antil, 2003). Le souverain du Maroc mène ainsi le jeu diplomatique, qu’il conçoit et conduit lui-même, assisté par quelques conseillers. Il nous semble alors naturel, de ce point de vue, que la religion soit placée au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne.

Tout comme le malékisme fut un important facteur de rapprochement entre les sultans marocains et les empereurs du Soudan Occidental[3], le Maroc semble instaurer, à nouveau aujourd’hui, un cheminement identique visant à conforter ses liens avec des États d’Afrique subsaharienne. Ainsi, à travers ce type d’initiatives, c’est la grandeur du Maroc dans le domaine de l’islam qui se réaffirme sur la scène africaine. En outre, en tant que commandeur des croyants au Maroc, le processus de formation d’imams africains pourrait étendre la portée de l’influence doctrinale du roi Mohamed VI, à d’autres régions subsahariennes, notamment imprégnées du malékisme.

Suite à l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) au sein de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), lors du sommet de Tripoli de 1982, le royaume du Maroc, en guise de protestation, s’est retiré de l’instance africaine en 1984. Parmi les quatre-vingt pays qui ont reconnu la RASD, dont une majorité d’Etats africains, une trentaine est revenue sur sa décision de reconnaissance. Bien qu’il ait pris part au 22ème sommet de l’Union Africaine (UA), tenu les 30 et 31 janvier 2014 à Addis Abéba, le royaume exclut toute idée d’un retour au sein de l’instance africaine, tant que la RASD y siégera. Cette divergence de visions politiques, qui oppose le Maroc à l’assemblée des États africains, n’empêche toutefois pas le royaume d’exploiter d’autres approches de coopération.

Le partenariat  religieux est désormais inscrit au cœur de la diplomatie marocaine, vis-à-vis de plusieurs États d’Afrique subsaharienne. Face à la conjoncture régionale et internationale, avec l’islam qui apparait, dans des régions, très hostile et sous une forme violente, le Maroc tend progressivement à apparaitre comme un pays clé, pouvant contribuer à radoucir cette religion. Abdelslam Lazaar, directeur de l’école de formation des imams de Rabat, explique ainsi : « Aux étudiants, nous apprenons à lutter contre le terrorisme par le savoir. Par les armes, même pendant vingt ans, vous n’y parviendrez pas. Utilisez le savoir et la pensée, en trois ou quatre années, vous pouvez éradiquer le terrorisme »[4].

 

Boubacar HAIDARA

Titulaire d’un Master en géopolitique obtenu à l’Université Sorbonne-Paris IV, Boubacar Haidara est actuellement doctorant à l’Université Bordeaux III. D’origine malienne et passionné d’Afrique, il s’intéresse particulièrement aux questions sécuritaires et sociopolitiques sahéliennes, notamment au Mali.

 

 


[1] Information révélée par Le Matin du 12 mai 2014.

[2] Propos évoqués dans La croix du 23 juin 2014.

[3] L’espace du Soudan Occidental représente une bande de territoires soudano-sahéliens qui traverse en écharpe le continent africain, entre le Sénégal et la Corne de l'Afrique, avec un prolongement le long de la côte de l'Océan Indien. Cette partie de l’Afrique a connu, dans le moyen âge, un essor simultané sur le plan économique, politique, culturel et religieux, à travers l’édification de grands empires (Ghana, Mali, Songhaï).

[4]Propos évoqués dans Libération du 4 janvier 2015.

 

Source : Terangaweb

 

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