Nucléaire iranien : un accord pour l’Histoire

Une fois de plus, il a fallu une longue nuit blanche pour atteindre, après d’ultimes tractations fiévreuses, le dénouement de ce dernier épisode du marathon diplomatique sur le nucléaire iranien.

Comme à Genève, en novembre 2013, lors du lancement de ces négociations hors norme entre l’Iran et les six pays du « P5 + 1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne), et comme à Lausanne, en avril 2015, lorsque les protagonistes ont adopté les grandes lignes du compromis encadrant le programme nucléaire iranien, l’Iran et les grandes puissances ont accouché aux forceps d’un accord mardi matin 14 juillet, à Vienne.

Cette fois-ci, une étape décisive a été franchie. Quatorze jours après la date butoir initialement envisagée, l’Iran et les grandes puissances ont conclu un cycle de négociations, amorcé il y a douze ans par les Européens, et qui permet d’aboutir à une feuille de route pour s’assurer, à terme, que l’Iran renonce à se doter de la bombe nucléaire.

La cérémonie officielle de présentation de l’accord devait se dérouler mardi en fin de matinée au centre international de Vienne, en présence de Mohammad Javad Zarif, le chef de la diplomatie iranienne, de ses homologues du « P5 + 1 », ainsi que de Federica Mogherini, la diplomate en chef de l’Union européenne, qui a piloté ces discussions au nom des Six.

Rarement dans les annales de la diplomatie, une négociation aura été aussi longue et compliquée. Cette percée « est un succès sans précédent de la diplomatie multilatérale sur un enjeu majeur de sécurité collective », relève Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group. Les pourparlers, qui ne devaient initialement durer qu’un an, ont été si souvent prolongés que la négociatrice en chef américaine, Wendy Sherman, a observé que chacun des membres de son équipe avait eu l’occasion de fêter son anniversaire à Vienne ou à Genève depuis bientôt deux ans…

Levée des sanctions

Jusqu’au bout, l’incertitude a plané. Dans la matinée de dimanche, les signaux se sont multipliés pour indiquer l’imminence d’un accord. A tel point que des représentants de la délégation française avaient déjà quitté leur hôtel et ont ensuite dû faire des pieds et des mains pour trouver de nouvelles chambres. Le lendemain, lundi, Laurent Fabius a convoqué CNN dans l’après-midi au Palais Coburg, un palace au centre de Vienne où se sont déroulées les négociations, pour enregistrer un entretien. Avant d’annuler le rendez-vous in extremis, faute de progrès dans les discussions.

Un expert au visage creusé confie avoir été sur le pont « seize heures par jour depuis six semaines ». Plus les discussions se sont éternisées, plus la tension était perceptible. Lors d’une réunion entre le « P5 + 1 » et les Iraniens, le ton est monté. Exaspérée par les blocages, Federica Mogherini, s’est emportée : « Si c’est comme ça, on va tous rentrer à la maison. » M. Zarif a aussitôt rétorqué : « Ne menacez jamais un Iranien. » Et Sergueï Lavrov, son homologue russe, a renchéri en ajoutant « ni un Russe ! » Interrogé sur cet échange, un diplomate s’est contenté de relever que M.Zarif « cause toujours assez fort, c’est un beau tempérament »…
 
Mais mardi matin, ces tensions étaient déjà oubliées. Seul comptait le résultat de ces vingt mois de négociations. Et l’aboutissement d’un processus qui vise à enrayer un péril majeur : la prolifération nucléaire au Proche-Orient, l’une des régions les plus « éruptives » du monde, selon l’expression de M. Fabius.

Cet accord repose sur trois piliers : une limitation du programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie, une levée des sanctions internationales contre l’Iran et un renforcement des contrôles sur les infrastructures nucléaires iraniennes. Cela revient, juge un diplomate occidental, « à mettre plus d’yeux, sur moins de matériel, dans moins d’endroits ».

L’accord de Vienne est un document d’une centaine de pages, composé d’une déclaration générale et de 5 annexes. Il complète l’accord-cadre de Lausanne (Suisse) du 2 avril qui avait énoncé les principaux paramètres d’un compromis entre l’Iran et les pays du « P5 + 1 ». Le texte agréé à Vienne s’appliquera pendant une période allant de dix à vingt-cinq ans selon les volets concernés par cet accord. Une période plus longue que ne l’auraient voulu les Iraniens.

Dispositifs de contrôle

Pour l’essentiel, cet accord définitif est le fruit d’une double concession. Les Occidentaux obtiennent une réduction significative du programme nucléaire iranien : le nombre de centrifugeuses, qui permettent d’enrichir l’uranium, une matière indispensable à la fabrication d’une bombe atomique, est limité à 5 060, alors que l’Iran en dispose de 19 000 ; le stock d’uranium déjà enrichi doit être ramené à 300 kg ; et la production de plutonium dans le réacteur d’Arak, l’autre matière fissile permettant un usage militaire, est réduite et placée sous strict contrôle. L’ensemble de ce dispositif vise à garantir que le « breakout », à savoir le temps nécessaire pour produire assez d’uranium enrichi pour se doter d’une arme atomique, soit d’au moins un an pendant dix ans.

En échange, les Iraniens obtiennent satisfaction sur une de leur revendication clé : la levée, et non la seule suspension, des sanctions internationales imposées contre l’Iran par six résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies depuis 2006. L’accord précise que les sanctions – européennes, américaines et des Nations unies – sur les secteurs des finances, de l’énergie et du transport seront levées dès la mise en œuvre par l’Iran de ses engagements et une fois que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en aura attesté. Cela devrait intervenir début 2016. C’est un atout considérable pour Téhéran qui pourra ainsi retrouver ses pleines capacités d’exportation d’hydrocarbures, le poumon de l’économie iranienne.

Toutefois, des mesures particulières resteront en place sur tout le volet lié aux sanctions ayant trait aux activités proliférantes. L’acquisition par l’Iran de biens nucléaires sensibles sera étroitement contrôlée par un « canal d’acquisition ». Chaque Etat devra soumettre toute demande de transfert vers l’Iran de matériels sensibles à une décision de la Commission conjointe, statuant à l’unanimité, permettant ainsi à chaque Etat membre du « P5 + 1 » de s’opposer à un transfert pouvant contribuer à une activité contraire à l’accord.

Par ailleurs, des dispositifs de contrôle et de surveillance resteront en place, tels que les inspections de fret à destination de l’Iran en cas de suspicion d’activités illicites. Et le gel des avoirs et l’interdiction de voyager resteront en place pour la plupart des individus et entités ayant participé au programme de prolifération nucléaire iranien.

Gagner du temps

Cette déclaration de principe sur la levée des sanctions était capitale pour l’Iran qui voulait à tout prix se débarrasser du statut de paria qui découle des sanctions de l’ONU. Toutefois, la levée effective des sanctions sera graduelle et les Six ont introduit un garde-fou avec un mécanisme dit « snap back », qui permettra de réintroduire les sanctions en cas de violation constatée par l’Iran. Mais politiquement, les apparences sont sauves, car les dirigeants iraniens pourront dire qu’ils ont obtenu gain de cause sur deux de leurs principales revendications : le « droit » à l’enrichissement et la fin des sanctions.

 

En contrepartie, les pays du « P5 + 1 » ont mis en place un régime d’inspections renforcé qui devrait permettre à l’AIEA de se rendre sur tous les sites, y compris militaires, où il existe un soupçon d’activité nucléaire. Dans l’ensemble, « les Occidentaux ont obtenu gain de cause sur tous les points qui leur tenaient à cœur, c’est un accord très contraignant pour l’Iran et cela va sans doute renforcer la position du président Obama vis-à-vis du Congrès américain », estime François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran.

L’accord de Vienne ne prône pas le démantèlement total du programme iranien, comme initialement envisagé lors des premières négociations, conduites par les Européens entre 2003 et 2005. Il encadre, bride et surveille de plus près les infrastructures iraniennes dans le but d’empêcher Téhéran de se lancer dans une course clandestine à la bombe atomique. Ce qu’il permet surtout, c’est de gagner du temps. Les protagonistes font le pari qu’il sera plus avantageux pour Téhéran de respecter, dans la durée, les clauses de cet accord, qui s’accompagnera de retombées substantielles avec la levée graduelle des sanctions et le déblocage de près de 135 milliards d’euros d’avoirs gelés à l’étranger.

 

Le dégel de cette manne inquiète au plus haut point Israël et les monarchies sunnites du Golfe, qui redoutent que l’Iran utilise cette trésorerie pour soutenir encore davantage les milices chiites ainsi que le régime syrien au Proche-Orient ainsi que pour renforcer les capacités militaires de l’Iran, à un moment où Téhéran est activement impliqué dans la plupart des conflits de la région (Syrie, Irak, Yémen).

Economie dans le marasme

Fondamentalement, les adversaires de l’accord de Vienne redoutent que ce compromis ne fasse que retarder – et non empêcher – l’Iran d’accéder au statut de puissance nucléaire. A cela, les diplomates présents à Vienne rétorquent que cette solution négociée est la seule voie pour désamorcer une crise qui était imminente puisque Iran est déjà au seuil de pouvoir se doter d’une arme atomique s’il le souhaite.

De plus, soulignent les partisans de l’accord, ce compromis enraye l’escalade de la dernière décennie pendant laquelle l’Iran n’a cessé d’accroître ses capacités nucléaires malgré l’imposition de sanctions internationales de plus en plus contraignantes. Celles-ci ont plongé l’économie iranienne dans le marasme, sans enrayer le programme nucléaire du régime de Téhéran.

Le premier test viendra rapidement avec le début de la mise en œuvre de l’accord de Vienne. Si tout se déroule sans obstacle, cet accord doit maintenant être approuvé par le Congrès américain et par le Parlement iranien. L’AIEA sera ensuite mandatée pour conduire des premières vérifications pendant l’automne. Et si cette agence de l’ONU spécialisée dans les questions de prolifération certifie que l’Iran joue le jeu, les premières levées conséquentes de sanctions pourraient intervenir dès début 2016.

Pour le moment, les diplomates savourent leur satisfaction d’avoir pu sceller un accord introuvable depuis des lustres. Mais ces tortueuses négociations ont aussi incité les uns et les autres à la prudence. « Il existe deux thèses sur l’impact d’un accord, relève un négociateur. Ou bien il poussera l’Iran à avoir une attitude plus ouverte, ou bien il incitera le régime à compenser cette ouverture par une plus grande rigidité intérieure. »

Yves-Michel Riols (Vienne, envoyé spécial)

 

Source : Le Monde

 

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