Quand l’ONU, gage de paix dans le monde, recourt à des mercenaires

Les Nations unies ont fait appel à des sociétés de sécurité privées en Afghanistan, en Somalie et en Haïti, afin de protéger leurs employés. Cette pratique remet en question l'éthique de l'organisation internationale.

 

C'est une dérive passée inaperçue, mais qui commence à poser problème  : pour défendre ses troupes dans des zones dangereuses, l'ONU a de plus en plus recours à des sociétés de sécurité privées, dont les agissements ne sont encadrés par aucune législation internationale. Plusieurs experts s'alarment d'une telle pratique au sein même des missions de maintien de la paix.

Si les critiques augmentent, c'est d'abord que les sociétés de sécurité privées sont à l'origine de scandales récents. "  Il y a de plus en plus d'abus commis en toute impunité par les employés de ces entreprises  ", rappelle Andrew Clapham, professeur de droit international à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève. Dans certains cas, ces abus sont poursuivis, comme l'ont été les quatre mercenaires de l'entreprise américaine Blackwater condamnés, le 13  avril, aux Etats-Unis pour avoir tué au moins 17 Irakiens en  2007 en protégeant un convoi diplomatique. Dans d'autres, ils restent impunis. "  Les Nations unies doivent montrer l'exemple en se dotant des meilleures règles en la matière  ", estime Andrew Clapham.

En sous-traitant sa défense, l'organisation prend des risques considérables, dans la mesure où elle ne connaît pas le parcours et la formation des soldats qu'elle emploie et, par conséquent, ne peut maîtriser leurs agissements. Le "  groupe de travail sur l'utilisation de mercenaires  ", créé en  2005 par le Conseil des droits de l'homme, mentionne notamment dans son rapport annuel, paru à l'été 2014, qu'en Afghanistan, où l'ONU emploie les gardes de la société IDG Security, les "  directives des Nations unies risquent d'être appliquées de manière incohérente  ".

Lors d'une visite en Somalie, ces mêmes experts ont constaté que "  plusieurs prestataires locaux de services de sécurité étaient des milices claniques qui se donnaient l'apparence de sociétés commerciales pour dissimuler la participation de chefs de guerre  ". Par ailleurs, certains employés de la société américaine Bancroft Global Development, une firme américaine qui assure la protection du Service de la lutte antimines des Nations unies en Somalie, auraient été impliqués dans des combats ouverts lors d'autres missions. Un des mercenaires de Bancroft a aussi été condamné en Afrique du Sud pour avoir ouvertement recruté des combattants en Côte d'Ivoire.

Ces situations sont proches du conflit d'intérêts et décrédibilisent la mission des Nations unies, censées garantir sur le terrain le maintien de la paix, de façon parfaitement impartiale. Pour ces experts, Bancroft Global Development n'a pas présenté de garanties suffisantes à l'ONU prouvant que ses employés sont neutres. Ils réclament une transparence accrue et une meilleure éthique.

" Qu'en dernier recours "

Peter Drennan, secrétaire général adjoint à la sûreté et à la sécurité des Nations unies, a récemment tenté de répondre aux critiques à Genève, lors d'une session du groupe de travail intergouvernemental sur les sociétés militaires et de sécurité privées. "  Oui, l'ONU a employé des sociétés de sécurité privées dans certains endroits à hauts risques, a-t-il déclaré. Mais, sur les 170 pays où elle est présente, elle ne l'a fait qu'en Afghanistan, en Somalie et en Haïti.  "

"  Nous ne faisons appel à des sociétés de ce type qu'en dernier recours et après avoir évalué les risques internes, a également précisé Peter Drennan. Nous ne travaillons qu'avec des entreprises intègres, compétentes, dont le personnel n'a pas de casier judiciaire et qui sont en conformité avec les droits de l'homme.  " Cela fait des années que l'organisation réfléchit à l'élaboration d'un traité international pour encadrer les activités des sociétés de sécurité privées, qui ne sont pas concernées par les conventions existantes sur les mercenaires. En vain.

Aucun texte n'a encore été signé, alors même que les pays ont recours de manière croissante à ces sociétés. A l'ONU, Peter Drennan ne donne pas de chiffres mais estime que la tendance sera à l'augmentation  : "  J'ose espérer qu'il n'y aura pas plus de missions avec ce type de personnel armé, a-t-il dit. Mais il faut faire preuve de réalisme.  " Sur le terrain, les membres de l'ONU sont toujours plus menacés et les attentats se succèdent. Le 20  avril, un véhicule de l'Unicef était attaqué dans la région du Puntland, en Somalie, faisant quatre victimes.

En attendant que les Nations unies s'emparent du sujet, Andrew Clapham s'est battu, avec d'autres, afin d'élaborer un code international de conduite des entreprises de sécurité privées. Plus de 800 sociétés l'ont déjà signé depuis 2010. Le texte permet notamment de les poursuivre en justice si leurs employés ont violé les droits de l'homme dans le cadre d'une mission de l'ONU.

Marie Maurisse

 

 

Source : Le Monde

 

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