Jeudi 15 Janvier, trois semaines après l'ouverture du procès, la cour correctionnelle de Rosso a rendu son verdict : 2 ans de prison fermes requis contre trois des dix défenseurs des droits de l'homme arrêtés en Mauritanie, alors qu'ils participaient à une caravane de la liberté organisée pour protester contre les expropriations foncières et l'esclavage foncier.
Biram Dah Abeid (détenteur du prix des droits de l'homme des Nations Unies en 2013 et président de l'association antiesclavagiste IRA Mauritanie), Brahim Bilal Ramdhane (vice-président d'IRA Mauritanie) et Djiby Sow (président de l'organisation Kawtal et Jellitaare) ont été inculpés pour « offense et désobéissance à la force publique ». Ils étaient également jugés pour appartenance à une organisation non reconnue et rassemblement non autorisé.
Des milliers de Mauritaniens nés esclaves
En 2008, Biram Dah Abeid décide de créer IRA Mauritanie, une organisation indépendante et pacifiste dont le but premier est de délivrer le pays de l'un de ses plus grands fardeaux, l'esclavage. En effet, derrière ce pays discret et peu connu qu'est la Mauritanie, se cache le pays occupant le premier rang du « Global Slavery Index », établi par l'ONG Walk Free. D'après ce classement, avec environ 4% de sa population qui vit en esclavage, la Mauritanie a, si ce n'est le plus grand nombre d'esclaves, tout du moins son pourcentage le plus élevé par rapport à la population globale.
Derrière ce terme d'esclavage, se cache une réalité que l'on croirait ne pouvoir trouver que dans les livres d'histoire. Les quelques 155 600 Mauritaniens qui vivent aujourd'hui en soumission sont nés esclaves et transmettront automatiquement ce statut à leurs enfants. Des enfants qui pourront être donnés comme cadeaux de mariage aux enfants de leurs maîtres ou légués comme de simples biens. Ils seront alors contraints au travail forcé et à la servitude sans jamais avoir accès à l'éducation, au mariage, au voyage, ou à une activité rémunérée.
C'est donc contre cette injustice que se battent depuis des années Biram et d'autres organisations anti-esclavagistes. Persuadés que la Mauritanie ne trouvera sa grandeur que dans l'unité nationale, ils récusent ce système inégalitaire que l'Etat entretient. Le pouvoir économique et politique est en effet très largement détenu par ceux que l'on appelle les « White Moors », un groupe descendant des arabo-berbères, pourtant minoritaires en Mauritanie. Les « Blacks Moors » (ou Harratines), descendants des groupes ethniques noires sédentaires, bien que majoritaires en nombre, subissent depuis des années l'assimilation et l'esclavage. Si une partie d'entre eux ont pu être libérés au fil du temps, en partie grâce à l'aide précieuse d'organisations comme IRA, SOS Esclave, ou EL HOR, beaucoup demeurent tributaires de leurs maîtres.
Gouvernement et justice, un jeu de dupes
Si le gouvernement a récemment entrepris des réformes positives dans le sens de la résolution de ce problème (adoption d'un plan d'action selon les recommandations du rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d'esclavages, création d'un tribunal spécial pour les cas d'esclavage), ces efforts restent timides et insuffisants pour faire face à l'ampleur du problème. La Mauritanie est le dernier pays au monde à avoir aboli l'esclavage (en 1981). Mais cette loi n'a en rien désacralisé ou délégitimé cette pratique, pas plus que la loi de 2007 qui la criminalisait. Une seule personne a été emprisonnée pour détention d'esclaves depuis, contre combien d'antiesclavagistes emprisonnés, torturés, menacés de mort ? Le fait qu'IRA Mauritanien'ait jamais obtenu la reconnaissance et l'autorisation d'exercer laisse également perplexe sur les volontés politiques nationales.
Il est important de comprendre à ce titre la duplicité des positions prises par le gouvernement et la justice, puisqu'ils continuent à promouvoir d'anciennes références religieuses qui légitiment l'esclavage et ses atrocités, en dépit des conventions internationales qu'ils ont pourtant ratifiées. Le code de l'esclavage, écrit entre le 9ème et le 13ème siècle, est en effet considéré en Mauritanie comme un texte sacré et infaillible. C'est à ce titre que Biram avait été emprisonné déjà en 2012, après avoir incinéré ce livre pour dénoncer sa sacralisation. Il avait en effet été accusé d'atteinte au sentiment islamique et d'apostasie, ce qui est passible de peine de mort en Mauritanie. Cet évènement avait provoqué une vive réaction de la part d'organisations internationales telles qu'Amnesty, la FIDH ou encore Front Line Defender.
Soutiens internationaux inégaux, voire ambivalents
Depuis sa libération, Biram a bénéficié du soutien inconditionnel de nombreuses de ces ONG, qui lui ont remis des prix aussi prestigieux que le prix The Front Line Defenders Award for Human Rights Defenders at Risk ou encore le prix des droits de l'homme des Nations Unies. Si les défenseurs des droits humains du monde entier se mobilisent activement pour soutenir ce « libérateur d'esclaves », la mobilisation des Etats est, elle, plus difficile. La nomination de la Mauritanie à la vice-présidence du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en 2013 illustre l'ambivalence des acteurs internationaux, qui se sont longtemps contentés d'admettre la version officielle présentée par le gouvernement mauritanien, sans doute par manque de connaissance, par manque d'intérêt ou par manque de volonté politique.
A ce titre, si l'on peut saluer la résolution votée quasi unanimement par le Parlement européen pour demander la mise en liberté immédiate de Biram Dah Abeid, on peut regretter le caractère non contraignant de cette résolution. Aussi sincère soit-elle, la détermination des Occidentaux à défendre les libertés fondamentales ne pèse malheureusement que trop peu face à leur volonté de protéger leurs intérêts économiques et politiques. Aussi longtemps que le gouvernement mauritanien réussira à masquer ces ignominies à l'ombre de son engagement contre le terrorisme, on ne pourra que difficilement espérer une action politique réelle de la part de pays comme la France.
L'hypocrisie politique n'a pas de frontières. Lorsque le Président du premier pays esclavagiste au monde condamne les attentats de Paris « au nom des valeurs d'humanité », la tentation est forte de lui rappeler l'inhumanité des pratiques esclavagistes qui subsistent dans son pays. Heureusement au milieu de tous ces jeux politiques, demeurent certaines âmes simplement guidées par le courage, la bienveillance, la persévérance et l'espoir. Il reste des personnes qui connaissent le sens véritable du mot « humanité » et qui nous apprennent à croire en celle-ci ; des personnes comme Biram Dah Abeid, prêtes à sacrifier leur propre liberté pour celle des autres… Et lorsque ces voix porteuses d'humanité sont abjectement étouffées, il est du devoir de tous de prendre le relais pour leur donner l'écho qu'elles méritent.
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(Reçu à Kassataya le 4 mars 2015)
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