Nous n'aimons rien tant que les grandes cérémonies de conversions de masse, équivalent actuel des antiques « Education des masses égarées ». Ça nous plait, nous en sommes friands, tout heureux d'assister, remplis de béatitude, au retour des brebis, non seulement, égarées mais, aussi, éparpillées, perdues dans les obscurités des limbes.
De nos passés de nomades, qu’ils soient grands, coureurs au long cours arpentant les sables, ou petits, experts en courtes distances tout aussi poussiéreuses, nous avons gardé le goût de ces grands départs, de ces arrêts reposants, de ces aller-retour, de ces alliances nouées au pas de nos chameaux, de ces trahisons, de ces puits partagés, de ces femmes échangées, bref… de tout ce qui a fait nos passés de broussards invétérés, élevés à la dure et au pragmatisme existentialiste qui veut que l'immobilité n'est pas changement… Nous avons le pied qui frétille, la moustache aventureuse, le corps qui démange. Rien ne nous insuppporte plus que le fait de rester tranquilles, fidèles à un lieu, à une fonction, à un amour.
A la vie comme à la Bolitik, nous sommes des « déménagés » perpétuels, meubles transbahutés de-ci de-là, pré-emballés. On ne nous sort même pas des cartons, vu que nous allons, une fois de plus, changer de crémerie. Pour fêter ce « Mauritanian way of life », nous avons inventé une cérémonie touchante, où nous communions ensemble, encensons les nouveaux « déménagés » extatiques, exhibés par des « déménageurs » tout aussi extatiques : le Ralliement. Et plus le Ralliement rallie de poids lourds, plus la cérémonie est grandiose et déplace les foules applaudissantes.
Le dernier raout en date est le Ralliement de membres du bureau exécutif de l'UFP. Comme tout bon Ralliement, il se fait dans un seul sens : de tel ou tel parti vers le Parti Fondateur, le Père de tous les partis politiques, le parti fondateur, le mythique UPR. Dans l'autre sens, ce n'est pas un Ralliement, c'est une trahison. Mais, comme il n'y a jamais de Ralliement de l'UPR vers l'UFP, par exemple, ce n'est pas la peine que j'use mon encre à en parler…
Revenons donc à notre Ralliement ultime, le rapt – que dis-je ? La razzia ! – organisée, par l'UPR, dans les rangs de l'UFP. Voilà donc l'UPR grossie de nouveaux joyeux membres et l'UFP en cure d'amaigrissement forcé. Le système des vases communicants où le verre à moitié vide de l'un est le verre à moitié plein de l'autre. Dans une Maison des jeunes pleine à craquer de fidèles de la religion Ralliement, on a pu, la larme à l'œil et le youyou ému, assister au baptême et à la renaissance d'hommes nouveaux. Au nom du Père, du Fils et du Saint Ralliement, amine !
Le monde entier, le connu et l'inconnu, le civilisé et le barbare, nous envient nos Ralliements. Cette spécificité typiquement Nous Z'Autres est d'une simplicité telle que nous en sommes nous-mêmes babas. Le principe est clair et ne souffre d'aucune dérogation : pas de chichis, pas de tralalas, pas de « et si, et pourtant, et comment, et pourquoi… », walou. Nous estimons que la Bolitik est un monde de nomades, que ce n'est pas parce que Vlane ou Vlane a sa carte estampillée pur tel ou tel parti que cela exige, de lui, ne serait-ce qu'une once de fidélité à ses idées. Le Parti Bolitik des Nous Z'Autres ressemble à la Salle des pas perdus des grandes gares européennes, un lieu de passage où l'on boit du thé, en attendant son train.
Le lundi, on peut invectiver le parti Père, l'UPR, le vouer au diable, lui promettre les sept plaies d'Egypte, crier au scandale, boycotter, menacer… Et, le mardi, faire allégeance à « l'ennemi » du lundi, réciter le mantra des nouveaux convertis : « Hors l'UPR, point de salut… Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.. Vive notre Sultan, vive notre Guide éclairé et éclairant, vive les Z'Amis ! Vive Moi ! » Ceci est normal dans notre République dattière. C'est même un must.
Tout cela sous les caméras qui permettront, à tous les citoyens paumés hors des villes, lors des journaux du soir, d'assister, par procuration, à la conversion de masse. De Bassikounou à Wompou, tout le monde sera heureux de constater que la République et notre démocratie se portent comme des charmes et que, el hamdoullillahi, nous ne sommes pas encore pollués par toutes ces idées venues de mondes mécréants occidentaux. Chacun pourra savourer son repas du soir, en se disant que tout va bien… La fidélité politique étant un concept « agent de l'extérieur », la Mauritanie des Nous Z'Autres peut s'endormir tranquille et sereine. Encore une fois, nos vaillantes forces Bolitik ont déjoué une manœuvre indigne.
Ces conversions de masse ultra médiatisées nous rassurent et forgent un caractère. Elles nous rappellent l'article un de la « pensée » Bolitik lambda : tous pourris, tous les mêmes. Et son article 2 : un tchaya doit tourner et se retourner ; un tchaya immobile n'est qu'un vulgaire morceau de tissu; tout tchaya Bolitik immobile sera fouetté et excommunié. Suivi, comme il se doit, de l'article 3 : le soleil se levant à l'UPR, se couchant à l'UPR (ceci expliquant la perte de notre Est nouakchottois), tous les tchayas Bolitik doivent et se lever et se coucher dans la direction réglementaire, plis à la chemise, petit doigt sur la couture et apprentissage de la marche cadencée en sus.
Bref. Ce fut encore une bien belle et émouvante cérémonie, l'autre jour, à la Maison des Jeunes. Un beau Ralliement…. La terre continuant de tourner et le soleil de se lever à l'UPR, tout est normal, j'ai pu écrire cette chronique. Quant à moi, je vais tenter d’allier le point X, où je suis, au point Y, où je dois aller, et ce avec un minimum d'efforts. Salut…
Mariem mint Derwich
Source : Le Calame (Le 11 février 2015)
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