L’autonomie en question

Je voudrais avant tout apporter quelques précisions utiles afin que mon propos ne soit victime d’aucune pollution, et que l’effort de lecture qu’il mérite, ne s’aventure pas à aller chercher dans un supposé arrière-plan, d’improbables non-dits. Il me faut donc dire d’emblée, que si je n’ai jamais rajouté cette thématique à mon corpus idéologique, c’est que j’ai encore un sérieux doute sur le fait qu’elle soit la solution idoine au problème de la cohabitation.

Mais que n’ayant pas encore achevé ma réflexion sur la nécessité d’une autonomie comme solution politique, je n’ai donc point pour l’heure, d’opposition quelconque, ni d’adhésion automatique à l’idée de l’autonomie.

Ma deuxième précision porte sur le caractère strictement personnel de cette réflexion. Elle ne saurait donc en aucun cas engager le parti dont je suis membre ; parti qui d’ailleurs n’a jamais abordé cette question de l’autonomie. La troisième précision vient refixer le contexte de ma contribution, et dire que mon propos ne prétend à aucune thèse. Je considère le débat sur cette question comme venant juste de commencer par la proposition des FPC ; proposition qui pour moi, a au moins le mérite de mettre sur la table un sujet fondamentalement clivant. Et ce sujet n’instaure pas un clivage exclusif traditionnel arabes/négro-africains. Il suscite interrogations et opinions divergentes au sein même des militants qui posent la question nationale comme centrale en Mauritanie. Je ferai donc part dans ce texte, de ma compréhension de la proposition des FPC sur l’autonomie, de mes doutes sur un certain nombre d’aspects, mais aussi de ce que je crois être les mérites de cette proposition.

La méthode que j’ai choisie consiste à interroger d’abord les raisons historiques et politiques qui ont présidé à ce projet d’autonomie défendue par les FPC. La démarche analytique consistera donc à vérifier l’adéquation entre la problématique soulevée par les FPC et la réponse proposée. Ce n’est que de cette façon me semble-t-il, qu’on peut rester un tant soit peu objectif.

Dans son introduction, le texte des FPC sur l’autonomie part du constat d’échec de la cohabitation entre nos différents groupes ethniques au sein de l’espace mauritanien. C’est d’ailleurs globalement ce constat premier qui est la raison d’être de ce mouvement politique, comme de bien d’autres dans l’espace politique de notre pays. L’idée que la nation mauritanienne est en question en raison du traitement différencié par l’état des groupes ethniques en faveur du groupe arabe, est la justification politique du courant dit communément « négro-africain ». Le projet d’autonomie théorisé par les FPC se présente donc au vu du texte qui le décline, comme une solution ultime au problème de la cohabitation. On pourrait tout naturellement être amené à adhérer à l’idée basique, et apparemment de pur bon sens que lorsque des groupes n’arrivent pas à vivre ensemble en bonne entente, ils puissent se séparer en bons termes. Ou que tout au moins on puisse aménager pour le groupe qui fait le constat d’étouffement et pose des velléités de rupture, un espace de respiration local. Voilà résumé en termes basiques et simple la notion de l’autonomie telle que je la perçois.

De ce point de vue, la proposition des FPC me parait manquer de clarté. Car la globalité du projet proposé et son étalage au niveau de l’organisation territoriale nationale, brouille son message de départ. Je m’explique. Si les FPC partent du postulat qu’elles se font les porte-paroles d’une communauté opprimée au plan national, la réponse à apporter ne peut prendre une dimension nationale sans risque de diluer le problème de fond. D’ailleurs, l’autonomie (du grec : « auto » : soi, « nomos » : règle, loi), est par définition une démarche égoïste au sens positif du terme. Sa revendication ne peut fondamentalement relever que d’un appel autocentré.

Demander l’autonomie pour soi et pour autrui dans un même projet est un non sens philosophique, et pourrait s’apparenter à une difficulté à assumer jusqu’au bout la revendication posée. Si les FPC proposent l’autonomie comme solution plausible au problème de la discrimination faite aux noirs, cette autonomie ne peut avoir de sens que si elle est celle des noirs discriminés. Et exclusivement celle des noirs discriminés. Ce qui les reconfigurerait dans leur espace originel où ils pourraient s’épanouir culturellement, linguistiquement, et économiquement. Est-ce bien ça le projet ? Il me semble que oui. Si c’est le cas pourquoi repenser l’organisation territoriale du pays tout entier. N’est-ce pas d’ailleurs faire à autrui une violence symbolique que de lui proposer une forme d’organisation de ses affaires là où on s’adjuge le droit légitime à l’organisation de ses affaires à soi. On ne peut pas en toutes conséquences, en tant que noirs, demander dans la même démarche intellectuelle, une autonomie de gestion pour les noirs de la vallée, et une autre par exemple pour les Smassides d’Atar. Ce pourrait être légitimement perçu comme une tentation à parler à la place d’autrui là où on a posé pour principe la reprise de sa propre parole. L’autonomie est une réflexion exclusivement pour soi. Reste à définir les limites du « soi ». Et comme dans la problématique de départ ce « soi » semblait se limiter aux noirs opprimés, il me parait logique d’en rester là, et d’envisager la solution exclusivement dans ce cadre-là.

En vérité, et en conséquence du constat d’échec sur la cohabitation posé par les FPC, si proposition d’autonomie il doit y avoir, en toute logique elle devrait se limiter à demander uniquement l’autogestion des régions habitées majoritairement par les noirs. Resterait à régler le problème des populations arabes vivant dans ses zones, et certaines depuis… toujours. Mais en aucun cas, il ne me parait pertinent de se perdre en conjectures sur le reste du territoire mauritanien, sauf à risquer d’aboutir à quelque chose qui se situerait finalement à mi-chemin entre un régionalisme trop poussé et un fédéralisme non assumé.

Par ailleurs, les grandes régions proposées dans le projet, en reprenant les noms déjà existants de nos régions administratives, brouillent encore la compréhension sur les contours de géographie physique et humaine que doivent prendre ses zones autonomes. Ce, malgré la phrase suivante qui se présente comme une précision : « Ces régions épouseront le plus possible, les contours des aires ethnoculturelles (communautaires) existantes » Car où se situeraient dans la nouvelle configuration, les villes de Boghé, de Niabina, et même de Ouloum Hatara, toutes du Brakna actuel? Ses villes resteraient-elles dans leur région administrative d’origine (le Brakna) avec le Trarza et le Taguant, ou rejoindraient-elles le nouvel espace Guidimakha, Fuuta, Walo Barak, plus proche culturellement ? La réflexion reste en tous cas à affiner, car en cela, la clarté n’est pas encore au rendez-vous.

Le mérite de ce texte est d’être le premier à décliner en propositions concrètes l’autonomie en tant que revendication politique, d’abord des FLAM, puis des FPC aujourd’hui. Mais le courage que le leader Samba Thiam a eu a à faire cette proposition en Mauritanie et sa légitimité au vu de la discrimination de plus en plus criantes des noirs dans notre pays, ne sauraient cacher l’impréparation qui transparait dans cette proposition. Et en toute honnêteté, l’impression est que la ventilation du mot « autonomie » par les leaders du mouvement politique a précédé de bien loin, et pendant longtemps, une vraie réflexion sur le sujet. Peut-être aurait-il d’abord fallu susciter une Convention sur la question au sein du mouvement, faire participer à ce débat des techniciens du droit et de l’administration territoriale. Peut-être même en toute hypothèse élargir le débat à des partenaires politiques avant d’en faire une revendication officielle. Mais à la décharge des FPC et de son leader, cette absence de débat et de conventions sur les questions de fond est peut-être la maladie infantile de toutes nos organisations. Les congrès sont en réalité des grands-messes qui ne permettent pas la technicité des échanges. Peut-être eut-il fallu ne pas encore considérer cette proposition d’autonomie comme tranchée et définitive, mais comme l’ouverture d’un débat sur cette question. Les FPC auraient alors le mérite d’avoir permis à toutes les nuances de s’exprimer sur ce sujet. Mais si elles devaient en rester à cette première mouture du projet, il y a fort à craindre qu’elles se soient trompées ou sur la question, ou sur la réponse…

 

Bocar Oumar BA

 

(Reçu à Kassataya le 5 octobre 2014)

 

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