L'armée israélienne a commencé une opération terrestre jeudi, après quelques heures de trêve.
Radaa scrute, angoissée, la ligne d'horizon. Le petit port de Gaza est plongé dans une obscurité absolue. La mer d'huile, invisible dans le noir, laisse planer une sourde menace : " Vous croyez que les soldats israéliens pourraient venir par là ? " La mère de famille ne s'attarde pas.
Elle court à travers un dédale de corridors pour finir par s'asseoir dans un petit renfoncement, à l'intérieur de l'hôtel Al-Deira, situé en bordure de la plage. " Je ne peux plus voir la mer. Je suis terrifiée. Je suis sûre qu'ils sont là, qu'ils sont tout proches. " Avec son mari et ses six enfants, elle a quitté précipitamment sa maison, située à proximité de l'hôtel, dès qu'elle a compris qu'une opération terrestre israélienne était imminente.
En fin de journée, jeudi 17 juillet, le conflit grondait déjà sur le front de mer de Gaza. A la nuit tombée, une salve de roquettes est lancée à quelques encablures des hôtels internationaux. Des saccades de tirs d'armes automatiques à balles traçantes répondent, très vite, de la mer. Dans la nuit noire, on distingue le guidage laser rouge d'un canon de marine ou d'une batterie de missiles jusqu'au site de lancement de roquettes.
Peu de temps après, l'alerte est donnée. L'armée israélienne envoie un message d'avertissement à plusieurs journalistes : " Vous avez trente minutes pour quitter la zone côtière. Une opération va débuter. " Dans un seul élan, les hôtels du front de mer de Gaza se vident, à l'exception de l'établissement Al-Deira, où se regroupent une centaine de journalistes, harnachés de gilets pare-balles. Un peu en retrait, des familles palestiniennes du quartier se pressent également, terrorisées, aux abords du bâtiment d'architecture ottomane.
Une demi-heure plus tard, Israël enclenchait la deuxième phase de son opération " Bordure protectrice ", en orientant ses premières incursions terrestres vers le nord et le sud de la bande de Gaza.
Les villes de Beit Hanoun et Beit Lahiya ont été préalablement pilonnées par l'artillerie lourde, tandis qu'au sud, à Rafah, les chars israéliens ont progressé sur près de 300 mètres à l'intérieur des terres, détruisant systématiquement les tunnels ou les potentielles caches d'armes du Hamas. Par ailleurs, des échanges de tirs entre soldats israéliens et combattants du Hamas ont été entendus dans le bastion islamiste de Khan Younès, dans le sud de l'enclave.
Au milieu de la nuit, les deux tiers de la bande de Gaza étaient plongés dans le noir ; les lignes électriques ne fonctionnant plus que sur 20 % du territoire, en conséquence directe des bombardements. Les affrontements de la nuit ont déjà fait 19 morts, côté palestinien. Un soldat israélien a été tué dans les combats livrés dans le nord de la bande de Gaza.
Pour les Gazaouis, l'opération terrestre israélienne réveille les terribles souvenirs de la précédente offensive terrestre de 2009, qui avait fait 1 400 victimes : " Je suis brisé. J'ai l'impression d'y être à nouveau. Je me souviens des tanks dans les rues. En l'espace de trois semaines, j'ai perdu 21 amis ", souffle, livide, Belal Hasna, un photographe palestinien.
Pour une large majorité des habitants de Gaza, l'incursion terrestre israélienne conclut tragiquement une journée qui s'annonçait comme la plus calme d'une semaine marquée par des bombardements sanglants : une trêve humanitaire avait été décrétée par tous les protagonistes, le matin ; les rumeurs de cessez-le-feu se faisaient insistantes à la mi-journée ; et la douche froide, le soir, d'une intervention terrestre imminente. " La trêve nous a fait croire que la fin du cauchemar était proche. En fait, il ne faisait que commencer ", sanglote Ennaam, une habitante du front de mer de Gaza.
Dans la matinée, durant une parenthèse salvatrice de cinq heures, la bande de Gaza avait pu respirer à nouveau, sans menace venue du ciel. Le bruit des klaxons, dans les artères d'un centre-ville embouteillé, avait remplacé le bourdonnement entêtant des drones israéliens ; les étals du marché, les stations-service et les guichets bancaires furent pris d'assaut.
Mais les apparences d'un retour à la normale n'ont pas duré. L'escalade a aussitôt suivi la fin la trêve, établie à 15 heures (heure locale). Dans les minutes qui ont suivi, trois enfants palestiniens ont été touchés par une frappe israélienne alors qu'ils jouaient sur le toit de leur immeuble, dans le centre de Gaza. Symétriquement, 40 roquettes et obus de mortier ont été tirés, en l'espace de deux heures, par les factions palestiniennes, en direction d'Israël.
Dans le même temps, au Caire, le Hamas refusait la nouvelle mouture du plan de cessez-le-feu égyptien. Le mouvement islamiste avait déjà décliné, mardi, une précédente offre de trêve, pourtant acceptée de son côté par Israël. C'est ce second refus qui a sonné le début de la nouvelle confrontation militaire.
Hélène Jaffiol
Gaza Envoyée spéciale
Source : Le Monde
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