La réussite  » made in Brazzaville « 

Vérone Mankou, dont la société fête ses 5 ans, est l'une des stars des télécoms en Afrique.

Certains l'ont surnommé le " Steve Jobs africain ". Du haut de ses 28 ans, chemise impeccable et smartphone en main, Vérone Mankou a plutôt l'air d'un étudiant tout droit sorti d'une école de commerce.

 

Cette semaine-là, il est à Paris pour quelques jours, venu honorer des rendez-vous d'affaires sur lesquels il reste discret. Vérone Mankou est jeune mais voyage beaucoup, en Europe, en Asie. " Je n'ai plus vraiment de problème pour obtenir un visa ", sourit-il.

En quelques années, ce jeune Congolais, né en 1986 à Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville, est devenu une figure montante des télécommunications en Afrique. En 2013, le magazine Forbes l'a désigné comme l'un des vingt jeunes bâtisseurs de l'Afrique de demain. A la tête de la start-up VMK (Vou mou ka, " réveillez-vous "), qui fête ses 5 ans en ce mois de juillet, il a lancé en 2011 une tablette tactile low cost, la Way C, souvent présentée comme la première tablette africaine, vendue 200 euros. Ont suivi deux modèles de téléphones portables allant de 36 euros à 138 euros. Son credo : concevoir des appareils simples, le moins cher possible, et donc accessibles au plus grand nombre sur le continent africain.

Vérone Mankou est tombé très tôt dans la marmite 2.0. " L'informatique est greffée dans l'ADN de ma famille ", dit-il, expliquant que ses quatre frères travaillent également dans ce domaine. Né dans une famille aisée sans être fortunée – son père est ingénieur dans le secteur pétrolier –, il a 7 ans lorsqu'apparaît dans le salon familial un ordinateur. L'objet est " moche " mais les possibilités infinies. Le virus est attrapé. Après un BTS informatique, il est embauché par un fournisseur d'accès à Internet et planche, dès 2006, sur l'idée d'un ordinateur portable à très bas prix.

Le déclic va se produire en 2007. Steve Jobs, alors PDG d'Apple, présente l'iPhone. " J'ai compris que c'était ça qu'il fallait faire mais en plus gros. " Pendant deux ans, le jeune Congolais multiplie les voyages en Chine. " Non seulement c'est là-bas que ça se passait, mais ils étaient les seuls à me donner des visas ", rappelle-t-il. Des patrons d'usine sont partants. Seul l'argent manque. Vérone Mankou mobilise son entourage, mais c'est insuffisant. Il frappe à la porte des banques. Sans succès.

Le vent commence à tourner en 2008. Embauché au ministère des télécommunications à Brazzaville, il crée l'année suivante, en juillet 2009, sa petite société, VMK. Quelques financements permettent à son projet de passer du papier au prototype, mais toujours pas à la production. Jusqu'au coup de pouce médiatique inespéré : le magazine Time publie un article sur l'Afrique innovante dans lequel son blog est mentionné. " C'était juste quelques lignes, mais un ministre qui était à l'étranger est tombé dessus ", raconte-t-il. VMK obtient une subvention gouvernementale de 200 000 dollars (environ 150 000 euros).

Le lancement de l'iPad, en 2010, l'aide aussi. " A partir de là, les gens savaient qu'une tablette, ça pouvait marcher ", dit-il. La machine est lancée. VMK commercialise sa première tablette en décembre 2011, un smartphone – Elikia – en 2012, et un téléphone plus basique – Elikia Mokè – en août 2013. Cette année-là, son chiffre d'affaires atteint 700 000 dollars, même si ses objectifs de vente ne sont pas forcément à la hauteur de ses attentes.

Le projet ne lui vaut pas que des louanges. Le jeune homme est très ambitieux, développe une communication parfaitement rodée et a cent projets à la minute, au risque d'en abandonner une partie en chemin. La principale critique vise la fabrication en Chine de ses produits. Mais Vérone Mankou balaie les objections : " Lorsque Apple inscrit sur ses appareils “designed in California, made in China”, on ne l'accuse pas de ne pas être un produit américain. "

Désormais, le jeune Congolais a un nouveau projet : transférer une partie de sa production de la Chine vers le Congo. Faire du " made in Africa ". La construction d'une unité de production qui assemblerait le dernier-né de la gamme, l'Elikia Mokè, est en cours à Brazzaville. Elle pourrait ouvrir à l'automne et employer une centaine de personnes.

Le jeune entrepreneur table sur la hausse des salaires en Chine, désormais plus élevés qu'au Congo, mais aussi sur l'impressionnante croissance de la téléphonie mobile en Afrique (+ 20% par an). Même si les infrastructures et la main-d'œuvre qualifiée manquent pour le moment, " demain l'Afrique sera au centre de la production mondiale ", prédit-il.

Au-delà de ses succès ou de ses échecs, Vérone Mankou incarne une jeunesse africaine débarrassée des complexes de la colonisation et qui ne doute pas de l'avenir de ce continent. " L'Europe voit l'Afrique comme elle l'a laissée. Elle la voit en train de tendre la main alors que ce que nous attendons, c'est une poignée de mains entre partenaires. " Le chef d'entreprise est d'ailleurs très clair sur ses objectifs : " Nous ne sommes pas une fondation, mais une entreprise qui veut rendre la technologie accessible au plus grand nombre. Je voudrais montrer aux jeunes que tout est possible. "

 

Cinq ans après le début de l'aventure VMK, les professionnels du secteur sont nombreux à saluer la prouesse du jeune entrepreneur, parti de presque rien et qui a su se lancer sur un secteur-clé pour le continent. " Aujourd'hui, l'un des grands freins au développement des télécommunications en Afrique n'est pas tant la faiblesse des réseaux que le manque de smartphones et de tablettes qui soient abordables pour ces marchés émergents ", souligne Jean-Michel Huet, directeur associé du cabinet de consultants BearingPoint. " L'enjeu pour Vérone Mankou est d'arriver à se développer : étendre la gamme de son offre et s'installer dans d'autres pays africains ", ajoute-t-il.

Outre le projet d'usine et le lancement d'une nouvelle tablette, les prochaines années devraient être consacrées à l'ouverture de " VKM stores " en Côte d'Ivoire et en République démocratique du Congo. " Le défi suivant est aussi celui du contenu ", explique Vérone Mankou. Il s'agit là de mobiliser des fonds pour développer des applications made in Africa, mises au point par de jeunes talents du continent. " Le téléphone est partout en Afrique, cette fois, il va être africain ", jure-t-il.

Avec humour, il se voit bien en Arnaud Montebourg du Congo. D'ailleurs, il connaît le combat du ministre français. " Vous savez où on peut trouver son pull à rayures ? "

 

Charlotte Bozonnet

 

 

(Photo : Vérone Mankou, PDG de VMK.HAMILTON/REA)

 

Source :  Le Monde

 

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