La théorie des footballeurs-plongeurs

Il n'aura échappé à personne – sauf aux naufragés échoués sur une île déserte – que la grand-messe planétaire du football, à savoir la Coupe du monde, commence au Brésil ce 12  juin. Celles et ceux qui ne prisent guère la chose sportive pourront quand même trouver un intérêt scientifique à la compétition. Pour certains chercheurs, en effet, le terrain de foot constitue un merveilleux laboratoire pour étudier la duperie, avec les artistes du plongeon sur faute imaginaire.

 

Il fut un temps où les joueurs mettaient un point d'honneur à rester debout contre vents et marées, contre croche-pattes et coups de tatane. Aujourd'hui, des garçons plus musclés qu'Hercule s'écroulent au moindre courant d'air, comme si des savonnettes leur tenaient lieu de crampons. Bien sûr, il y a souvent faute, mais l'art de la simulation s'est aussi répandu comme une peste sur les pelouses.

Ces mauvaises habitudes ont attiré l'attention d'une équipe australienne travaillant sur la tromperie dans la communication animale. La théorie prédit que, pour être viable, la duperie doit être utilisée avec parcimonie – sinon, on tomberait dans l'histoire de l'enfant qui criait au loup – et que la fréquence du signal trompeur augmente quand le bénéfice à retirer grandit. Le problème, c'est que très peu de systèmes animaux permettent de tester ces hypothèses. D'où l'idée de se servir des footballeurs et des caméras qui les filment sous toutes les coutures. En voilà un beau système animal.

Si l'on transpose la théorie au football, l'émetteur (le joueur qui s'écroule en hurlant comme s'il avait été fauché par une rafale de mitraillette) envoie un signal (sa chute) au récepteur (l'arbitre). Lequel doit déchiffrer si le signal est honnête (il y a eu tacle au niveau de la carotide) ou malhonnête (simulation) et prendre une décision en conséquence. Ou se faire berner. Dans leur étude publiée en  2011 par PLoS ONE, nos chercheurs australiens se sont donc attelés à une tâche passionnante : décortiquer 60  matchs de premières divisions française, espagnole, allemande, néerlandaise, italienne et australienne. A chaque coup de sifflet, il fallait classer l'action dans une des trois catégories suivantes : faute avérée, contact et chute exagérée, plongeon sur faute imaginaire.

Comme le prédit la théorie, le nombre de fautes réelles a surpassé de loin celui des supercheries. Seulement 6  % des 2 803 chutes enregistrées étaient du pur cinéma. Les chercheurs ont aussi constaté que, près du but adverse, les joueurs plongeaient deux à trois fois plus, et qu'ils étaient aussi plus récompensés dans cette zone, peut-être parce que l'arbitre était souvent plus éloigné de l'action. Enfin, et c'est aussi un enseignement important, presque aucun simulateur n'a été sanctionné lors des matchs…

Pour compléter ce tour d'horizon de la science des footballeurs truqueurs, suggérons au corps arbitral de ce Mondial de potasser le travail de deux chercheurs britanniques paru en  2009 dans le Journal of Nonverbal Behavior. Ils y décrivent notamment la posture typique du plongeur, dite posture de l'arc, nommée ainsi en raison de la courbure surnaturelle que le corps adopte, et que l'on ne retrouve presque jamais sur une faute réelle : tête en arrière, poitrine en avant, bras complètement levés au ciel, jambes décollées du sol. En voyant cette variante du saut de l'ange, on se dit que les pousseurs de baballe en quête de reconversion peuvent faire carrière dans une autre discipline olympique : le plongeon de haut vol.

 

Pierre Barthélémy (Journaliste et blogueurPasseurdesciences.blog.lemonde.fr)

 

Source : LeMonde (Supplément Science & Médecine)

 

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