UN JOUR, UNE ÉQUIPE • La morosité règne outre-Manche avant le voyage au Brésil, dans un pays habituellement si enflammé dès qu'il s'agit de football, et encore plus quand il s'agit de Coupe du monde. Le chroniqueur de Times s'en désole, et tente un diagnostic.
La saison du football touche à sa fin et une nouvelle saison s'annonce. Comme nous sommes dans une année paire, l'été va s'ouvrir par un grand tournoi. L'Angleterre s'est qualifiée en arrivant première de son groupe, un événement qui, les années précédentes, aurait généré un été de patriotisme festif, suivi d'explosions d'indignation et de réprobation lorsque le pays aurait perdu cette coupe sacrée de façon inexplicable.
Mais cette année, le climat est différent. Nous n'avons jamais abordé une Coupe du monde avec autant de résignation. Depuis 1986, chaque fois que l'Angleterre s'est qualifiée pour le Mondial, j'ai rédigé pour ce journal un article sur les attentes ridicules et la déception irrationnelle qui ne manque pas de suivre. Soyons un peu réalistes, avais-je coutume d'écrire.
Aujourd'hui, les gens ont du réalisme à revendre et je n'aime pas trop ça. Tout le monde dit : “Euh, j'espère que ce ne sera pas trop embarrassant, je ne pense même pas qu'on pourra franchir la phase des éliminatoires et, si on y parvient, on perdra aux tirs au but. A quoi bon envoyer une équipe dans ces conditions ? Roy [Hodgson, le sélectionneur de l'équipe anglaise] fait de son mieux, mais ne nous leurrons pas : ils n'iront pas loin.”
Une pénible obligation
Le changement est frappant et très récent. En 2002, David Beckham était considéré comme celui qui allait sauver l'Angleterre. Quatre ans plus tard, on prêtait les mêmes pouvoirs à Wayne Rooney. L'indignation, quand l'Angleterre a perdu, fut d'autant plus grande : Sven-Göran Eriksson, qui était alors entraîneur principal de l'équipe, est devenu le “traître de la génération dorée”, l'homme sans lequel l'Angleterre aurait gagné au moins deux coupes du monde.
Avant le Mondial de 2010 en Afrique du Sud, sous la direction de Fabio Capello, il y avait encore pas mal d'espoir. Ce n'était pas la meilleure équipe de tous les temps, mais il fallait compter avec elle. Aujourd'hui, au lieu d'un optimisme débridé, on est confronté à un pessimisme exacerbé. La Coupe du monde n'est plus une aubaine, c'est une pénible obligation : comme nous devrons tous la suivre et la commenter, espérons que nous pourrons en sortir le plus indemnes possible.
Morosité
Pourquoi un changement aussi brutal ? D'après moi, il y a deux raisons. La première est le parcours inqualifiable de l'équipe anglaise en Afrique du Sud. Là encore, la Coupe a commencé avec un sélectionneur misant sur des joueurs blessés et s'est poursuivie avec un sélectionneur n'ayant pas compris que ce tournoi de foot est différent de tous les autres. Les matchs nuls avec les Etats-Unis et l'Algérie ont été suivis, face aux Allemands, de la plus écrasante défaite de l'Angleterre dans une phase finale de la Coupe du monde.
Deux ans plus tard, quand l'Angleterre a disputé le championnat d'Europe, un climat morose s'est imposé comme la nouvelle tradition du football anglais, emprunté au cricket et adapté pour les besoins du jeu. Il ne s'est d'ailleurs pas dissipé malgré le bon comportement de l'Angleterre, qui n'a pas perdu un seul match du tournoi et a été éliminée, aussi curieux que cela puisse paraître, aux tirs au but. Et aujourd'hui, à la veille du Mondial au Brésil, on est confronté à la même morosité.
Une équipe d'illustres inconnus
Mais la raison fondamentale de cette vague de pessimisme est sans doute que nous avons perdu le contact avec l'équipe. Le problème est que les joueurs de l'équipe anglaise ne sont plus des stars. Il faut être un vrai mordu de foot pour avoir entendu parler des onze joueurs dans quelque liste que ce soit. La plupart d'entre nous devrons batailler pour savoir dans quels clubs ils jouent. Très peu de joueurs anglais sortent du lot au sein de leur propre club.
Peut-être sont-ils aussi bons que leurs aînés, mais ils n'en donnent pas l'impression et n'en semblent pas eux-mêmes convaincus. Ils sont loin d'être tous considérés comme des vedettes. A vrai dire, beaucoup d'entre eux ne sont même pas connus dans le pays.
Ils apparaissent comme des joueurs de seconde catégorie – même s'ils n'en sont pas – et peut-être est-ce l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. Ce ne sont pas des princes, mais des seigneurs diplomates, prudents, méticuleux qui ne sont pas destinés à une grande gloire, ni du reste à une grande infamie.
Je n'aimais guère les discours arrogants qui précédaient les coupes du monde antérieures, ni les volées de bois vert qui suivaient immanquablement, mais cette nouvelle tradition de sombre fatalisme me rebute tout autant. Et à la différence de l'arrogance, ce pessimisme peut engendrer de mauvais résultats.
(Photo : Le sélectionneur de l'équipe d'Angleterre, Roy Hodgson, lors d'un e conférence de presse à Manaus, au Brésil, le 17 février 2014 – AFP/Raphael Alves)
Simon Barnes
Source : The Times via Courrier international
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