Analyse : L’offensive de charme du Maroc sur le continent africain

Annoncé en fanfare dans un communiqué, le " grand retour " du Maroc au sein de l'Union africaine (UA), n'en fut pas un. Mbarka Bouaida, ministre déléguée des affaires étrangères, a bien fait le déplacement à Addis Abeba (Ethiopie) où s'est achevé, le 31 janvier, le 22e sommet de l'UA. Mais l'envoyée spéciale du royaume chérifien s'est contentée d'un rôle d'observatrice, dans une continuité instaurée depuis quelques années.

 

Furieux du soutien apporté en 1984 par de nombreux Etats membres à l'adhésion de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le Maroc a en effet, depuis lors, claqué la porte de l'organisation panafricaine, et n'entend pas la réintégrer tant que le Front Polisario y possédera une tribune. " Inimaginable ", tranche Mme Bouaida. C'est pourtant par souci de préserver le territoire du Sahara occidental qu'il revendique et occupe à 80 % que le royaume de Mohammed VI lance aujourd'hui une vaste offensive de charme sur le continent africain.

Aux yeux de Rabat, les alliés traditionnels occidentaux, au premier chef desquels figurent la France et les Etats-Unis, ne sont plus jugés aussi sûrs que par le passé, comme en témoignent les récentes tensions avec Washington sur le sujet. En avril 2013, le Maroc a échappé de peu à un projet de résolution présenté par Susan Rice, ambassadrice américaine à l'ONU, qui aurait étendu aux droits de l'homme le mandat des Nations unies, installées depuis 1991 au Sahara occidental. Les critiques américaines sur la gestion marocaine du dossier sahraoui, portées notamment par la Fondation Kennedy, ont ouvert une brèche jugée dangereuse à Rabat.

S'ajoutent à cela les craintes, partagées par les occidentaux, d'une déstabilisation de toute la région après l'enracinement au nord du Mali de groupes djihadistes qui a justifié l'intervention militaire française " Serval ". Et les tensions avec le grand voisin algérien restent récurrentes, nourries au quotidien par l'actualité. Dernier épisode en date : les deux pays se sont accusés mutuellement de refouler sur le territoire de l'autre des réfugiés syriens.

En plus de relations économiques déjà fortement engagées avec le continent africain, le Maroc souhaite donc désormais ajouter un volet politique bien plus visible. Consigne en a été donnée par Mohammed VI lors de la première conférence des ambassadeurs marocains, réunis le 30 août 2013, au cours de laquelle, au nom des " intérêts stratégiques " du pays, le roi a mis en avant le rôle de l'Agence marocaine de coopération internationale, pivot de cette stratégie, " qui devra œuvrer sans relâche (…) pour le renforcement de nos relations avec nos frères du continent ". Le monarque lui-même s'est investi, en se rendant moins d'un mois plus tard à Bamako pour l'investiture du président malien Ibrahim Boubakar Keita et en insistant sur le " rôle primordial " des organisations africaines, décrites comme les " clés de voûte de toute stratégie et de développement du continent " dans son discours prononcé lors du sommet de l'Elysée sur la paix en Afrique, en décembre 2013.

" L'Afrique est une priorité pour nous "

Hassan II avait eu cette formule célèbre : " Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe. " Confronté à une scène internationale plus complexe et volatile qu'hier, où les intérêts des uns et des autres s'émancipent parfois des cadres convenus, son fils et successeur, Mohammed VI, entreprend de fortifier ces racines. " L'Afrique est le continent auquel nous appartenons. C'est une priorité pour nous et nous sommes là pour le montrer ", expliquait ainsi Mme Bouaida dans les couloirs du sommet de l'UA.

N'ayant pas accès au siège de l'organisation, c'est depuis l'Hôtel Sheraton, au centre de la capitale éthiopienne, où logeaient toutes les délégations africaines, que l'envoyée spéciale de Rabat a multiplié les rencontres bilatérales. L'Angola, le Ghana, la Tanzanie ou encore le Nigeria étaient particulièrement visés. " Les réalisations de l'UA sont minimes alors que notre approche, basée sur une collaboration étroite, permet d'avoir des résultats rapides et concrets ", confiait Mme Bouaiche, ajoutant que " de plus en plus de voix appellent à notre retour au sein de l'Union africaine ".

Aussi prometteuse soit-elle, cette reconquête du continent africain se heurte encore à la délicate question sahraouie. Ouvrant le sommet de l'UA, le président sud-africain, Jacob Zuma, a jeté un pavé dans la mare. Dans un discours d'hommage à Nelson Mandela, le dirigeant a salué une Afrique libérée… " à l'exception du Sahara occidental ". " Un peu provocateur ", reconnaissait un ministre africain pour qui l'offensive du royaume marocain marque ses limites : " Ils se rendent compte que partir était une erreur, que la politique de la chaise vide ne paie pas. "

Pour remettre le sujet en haut d'un agenda occupé par d'autres théâtres délicats, le Maroc a besoin d'appuis. Face à l'Algérie et à l'Afrique du Sud, soutiens indéfectibles de la RASD, l'appui du Nigeria est crucial. Et l'offensive marocaine ne se limite pas à l'Union africaine. " Ces dernières années, ils ont ouvert de nombreuses chancelleries sur le continent et nommé des représentants d'origine sahraouie ", assure un diplomate de l'Afrique de l'Ouest.

 

Charlotte Bozonnet et Isabelle Mandraud

 

Source : Le Monde

 

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