Kass Kronik : Obscurantisme, hypocrisie et récupération

On s’est empressé d’arrêter Mohamed Cheikh Ould Mohamed M'Kheitir, de le licencier et même de réclamer sa tête. Pourtant beaucoup de ceux qui le vouent aux gémonies n’ont même pas lu son texte diffusé sur le net et jugé blasphématoire envers le Prophète.

 

L’attitude des uns et des autres suite à cette affaire met en évidence les dérives dont est capable et coupable une partie des Mauritaniens.

Il aurait fallu ne pas s’arrêter à la périphérie du texte en question mais plutôt plonger au cœur du contenu ; il aurait fallu peut-être, par l’intermédiaire des médias, en débattre publiquement, argumenter et convaincre. Et c’est le rôle notamment des ulémas dont la majorité, hélas, est prompte à émettre des fatwas mais qui curieusement rechignent à fournir des explications corroborées par des extraits tirés du Coran et de la Sunnah. En se taisant ou en soutenant aveuglément les manifs comme cela a été le cas lors de l’affaire de Biram DahO/Abeid, ils ne font que jeter l’huile sur le feu et oublient leur rôle d’autorités morales et religieuses. Ils laissent se répandre comme une trainée de poudre la colère, la haine et l’appel au meurtre qui est en soi un délit.

Il y a quand même une hypocrisie incroyable en Mauritanie et les faits sont là pour en témoigner. Dans les années 80 et 90 il y a eu des massacres de musulmans innocents à Inal et lors des évènements qui rappelons-le ont débuté en plein mois de Ramadan ! Combien se sont mobilisés et manifesté contre ces horreurs ? Très peu. Plus récemment encore, une jeune femme en état de grossesse de 19 ans et une fillette de 6 ans ont été sauvagement violées et assassinées. Et l’association mauritanienne des droits de l’homme fait état de 508 cas de viols en 2013. Qu’ont fait tous ces gens qui prétendent voler au secours du Prophète ? Rien du tout. Beaucoup de gens à ce moment-là ont brillé par leur indifférence incompréhensible et leur hypocrisie lamentable. Et pourtant l’Islam n’est pas un libre-service où on prend seulement ce qu’on veut ou ce qui nous arrange. Ces crimes odieux cités plus haut sont eux-aussi inacceptables dans l’Islam et il aurait également fallu les dénoncer vigoureusement et demander à ce que justice soit rendue.

Quant à l’Etat, il aurait dû appeler au calme, apaiser les esprits. Au contraire il s’est impliqué rapidement mais pas par piété. Au contraire, derrière cette récupération et cette théâtralisation de l’incident il y a un calcul politique pour faire diversion et profiter des dividendes de cette affaire. Sauf que c’est un jeu est dangereux qui favorise l’obscurantisme et la radicalisation d’une partie de la population. Et lorsque la machine s’emballe, on aura tous du mal à l’arrêter.

La justice, elle, ne doit pas réagir par émotion. Il faut faire respecter les droits du citoyen quel que soit son délit réel ou supposé ; faire preuve de sang froid, de recul devant les évènements, sans à priori et sans vouloir à tout prix satisfaire le désir d’une foule et suivre les injonctions d’un régime. Une crise permet aussi de mesurer à quel point l’état de droit est effectif dans un pays. Et la Mauritanie aura du mal à expliquer à ses citoyens et au monde entier ceci : comment peut-on mettre aux arrêts quelqu’un pour des propos présumés blasphématoires et laisser libre ceux qui appellent publiquement à son meurtre ?

Ibrahima Athie{jcomments on}

(Chronique de l'émission " le débrieff de l'actu" du dimanche 12/01/2014. Le "débrieff de l'actu", tous les dimanche dès 22H00 heure de Paris, 21 H00 GMT sur www.kassataya.com)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page