Chronique d’un poisson hors de l’eau: Ahmed ould Mollusque, Poulpe de Nouadhibou

Quelle est la plus belle manière de commencer cette chronique « Un poisson hors de l’eau » que par une rencontre du 3ème type avec une créature également en dehors de son élément ?

Vous n'étiez certainement pas au courant de la vie syndicale maritime qui fait rage, orchestrant sa propre révolution. A vrai dire, il y a encore quelques jours, j'étais moi même dans l'ignorance la plus complète, jusqu'à ce qu'une créature des plus étranges frappe à ma porte tôt un matin.

Ayant été élevée dans la plus pure tradition de l'hospitalité mauritanienne, je me devais de recevoir et d'honorer mon hôte octopode. Après qu'il m'a entretenu de son désir ardent de partager des informations de la plus haute importance avec le peuple bipède mauritanien (rien que ça, me dis-je) nous nous installâmes dans le salon où je m'apprêtai à lui servir le thé. Ma curiosité poussée à son paroxysme me paralysa d'anticipation. J'écoutai avec la plus vive attention son récit que je vous reporte à la virgule près,  "La Perle du Soir"[quotidien de sous les mers] m'en est témoin, ce récit est tout ce qu'il y a de plus véridique.

Il me cita, après avoir siroté une gorgée de thé pour se rafraichir, un extrait dudit journal qu’il tenait entre ses tentacules : "La zone 43 de la côte de Nouadhibou doit être évacuée au plus vite pour cause de travaux. Nous prions les habitants de cette zone de se déplacer vers les camps de réfugiés aquatiques les plus proches » Perle du Soir Nº4021

« Voilà ce que j'ai lu, reprit-il,  dans "La perle du Soir" qui est le canard que consultent toutes les créatures marines de la côte mauritanienne. Depuis quelques temps, ce genre de communiqués est devenu d’une banalité affligeante. J’habite… ou devrais-je dire j’habitais en Zone 43 et contre l’avis de mes proches j’ai pris la décision de ne pas me résigner à devenir un réfugié silencieux de plus. Je me suis donc affranchi de cette condition de victime afin de me porter volontaire en défenseur des espoirs de mes pairs et parcourir le monde terrestre jusqu'à vous.

Mes grands parents m'ont toujours entretenu de la beauté qu’était le monde sous-marin de leur temps et des magnifiques coraux qui cohabitaient en paix avec des algues sublimes et d'autres individus au pied marin. Mais aujourd'hui une autre créature a décidé de s'incruster dans notre parfaite harmonie et de nous chasser de la terre de nos aïeuls en détruisant jusqu'au dernier coquillage notre environnement ancestral.

Vos semblables aux yeux bridés avec la complicité de certains de vos citoyens et de vos responsables ont déployé une machine infernale qui a donné à nos royaumes des allures de monde post-apocalypto-cataclysmique. Mes sœurs et frères sont capturés, déracinés, tués et des km2 de surface de fonds marins sont désormais devenus inhabitables. Ils ne se contentent pas seulement de "pécher" dans le respect des règles entendues depuis la nuit des temps ; règles que nous acceptions volontiers car nous mêmes sommes en quelque sorte des prédateurs pour d'autres espèces. Nature oblige. Mais ils emploient des subterfuges scandaleusement outrageux et définitivement criminels pour nous embarquer par milliers, détruisant ainsi notre habitat et ceux des autres espèces sur leur passage et réduisant le fond marin à néant. Une tragédie.

Tout cela, sous les yeux de  celles et ceux qui sont censés nous protéger ; car nous avons beau être une espèce non humaine, nous appartenons tout de même à la Mauritanie et nos intérêts sont les vôtres. Si vous ne nous protégez pas contre ces machineries qui nous dépassent en puissance, nous n'existerons plus. Nous disparaitrons et vous serez responsables d'un ethnocide de vos citoyens de sous les mers.”

J’étais à la fois impressionnée par le courage de ce poulpe désœuvré mais également terriblement honteuse de ma grande ignorance à ce sujet. Il est vrai que le littoral mauritanien est l’une des plus poissonneuses au monde. Cela aurait dû constituer un atout majeur pour l’économie du pays mais ces ressources sont clairement en surexploitation avec des risques préjudiciables à l’équilibre écologique. Ces permis de pêche accordés à tort et à travers à des sociétés chinoises, qataris, européennes entre autres ne respectent pas les conventions qui règlementent la pêche internationale.

Et ce n’était que la partie émergée de l’iceberg illustrant ce brigandage éhonté. Il m’entretint de certains navires qui trafiquaient leurs balises de location afin de pouvoir s’aventurer illégalement dans des zones protégées et s’adonner à un pillage grossier de nos côtes poissonneuses mais aussi des techniques de pêche qui laissaient un écosystème perturbé et une biodiversité qui bientôt ne sera plus qu’une légende. Et c’est nous qui le permettons en choisissant d’être aveugles, sourds et accessoirement muets ; pourquoi prêcher la bêtise humaine à moitié lorsque nous pouvons être tout cela  à la fois ?

“En aparté, reprit-il, votre thé est absolument exquis chère madame. Je ne voudrais pas abuser de votre hospitalité mais un bain me ferait le plus grand bien, j'ai encore une longue route à parcourir pour trouver une nouvelle mer d'asile, car, j'avais oublié de le mentionner mais nous n'avons malheureusement aucun droit à l'enrôlement… alors pourquoi rester dans un pays qui ni ne protège mes semblables ni ne les reconnaît ? Mais ça, c’est un autre débat… »

Apres avoir pris son bain il s’en alla avec le vif espoir que je relaierai son histoire ; ce que je lui promis avec le plus grand dévouement.

Vous pouvez choisir de me croire ou non ; je me demande encore si je n'ai pas rêvé ce jour-là, mais notre ami octopode qui n'a plus ni mer ni famille s'en est allé sous d'autres cieux prêcher sa noble cause. Il était de mon devoir de vous faire part de son récit pour que le périple qu'il a entreprit au risque de sa vie ne soit pas vain.

Donc ce soir, dans vos prières, n'oubliez pas de penser à notre cher ami céphalopode, à nos responsables irresponsables et, ne nous voilons pas la face, nous  faisons partie de cette mascarade par le choix de l’ignorance et enfin à ce pays qui est, sous nos yeux, en train d’être jeté en pâture et saigné à blanc par les plus offrants.

 

Pour ma part, j’ai déjà commencé ma campagne "God save Ahmed ould Mollusque" Amine!

 

Par H

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