Au Maghreb, les procès se multiplient pour remettre la jeunesse  » au pas « 

Deux adolescents marocains photographiés en train de s'embrasser ont fini par être acquittés.

 

 

Un baiser, un blâme. Poursuivis pour " outrage public ", " attentat à la pudeur consommé " et " racolage en vue de provoquer à la débauche ", Raja et Mouhssine, deux adolescents marocains de 14 ans, montrés en train de s'embrasser devant un lycée de Nador – une ville de l'Est marocain – sur une photo diffusée sur les réseaux sociaux, ont été acquittés vendredi 6 décembre. Leur ami Oussama, 15 ans, auteur du cliché, également. Les trois jeunes se sont cependant vus infliger un " blâme " à dimension morale par le tribunal de Nador. " En vingt ans de carrière, c'est la première fois que je vois ça ", s'étonnait à la sortie de l'audience leur avocat, Monaïm Fettahi, joint par téléphone.

La veille, jeudi, le jeune rappeur tunisien Aladine Yacoubi, alias Weld El 15, 25 ans, auteur d'un clip provocateur Boulicia Kleb (" les policiers sont des chiens ") a été condamné en appel à quatre mois de prison ferme lors d'un énième procès par le tribunal d'Hammamet, à une soixantaine de kilomètres au sud de Tunis. " Rien qu'en 2013, il y en a eu au moins une quinzaine contre des rappeurs en Tunisie ", soupire son avocat Ghazi Mrabet. Au point que certains d'entre eux ont décidé en octobre de se constituer en syndicat pour défendre leur droit à la contestation et dénoncer l'archarnement policier dont ils s'estiment victimes. Dans tout le Maghreb, les procès contre des jeunes, qui brisent les codes de sociétés conservatrices, se multiplient.

Eloignés des partis politiques dans lesquels ils ne s'identifient guère, désinhibés par l'outil Internet qui leur est familier et poussés par une liberté de ton acquise depuis les soulèvements dans le monde arabe, ils n'ont souvent pas d'autres représentants que leurs avocats. La mobilisation foudroyante dont ils bénéficient cependant sur les réseaux sociaux attire les regards et met en difficulté des régimes plus ou moins autoritaires. Ces derniers, eux-mêmes brocardés sur Internet, éprouvent bien des difficultés à trouver une parade face à ces mini-rébellions qui affectent leur image à l'étranger. La mobilisation virtuelle entraîne à son tour celle d'organisations de défense des droits de l'homme. " L'effet de ce genre d'histoires nous porte le plus grand préjudice sur la scène internationale ", s'agaçait récemment un élu marocain désireux de garder l'anonymat.

En Algérie, c'est un blogueur de Tlemcen, capitale de l'Ouest algérien, qui a attiré l'attention d'Human Rights Watch et d'Amnesty International après que ce dernier eut été placé en détention provisoire pour avoir publié sur Facebook des photomontages du président Abdelaziz Bouteflika. Interpellé le 25 septembre, Abdelghani Aloui, 25 ans, est poursuivi pour " atteinte à la personne du président de la République ", " outrage à corps constitués ". Au grand dam de son avocat, Amine Sidhoum, qui dénonce une manipulation, le dossier du jeune homme s'est ensuite alourdi après la découverte à son domicile par la police d'une écharpe portant une inscription salafiste, puis d'une vidéo de quelques minutes dans laquelle il apportait pêle-mêle son soutien aux talibans d'Afghanistan comme aux djihadistes du Front Al-Nosra en Syrie. Abdelghani Aloui est désormais également poursuivi pour " apologie du terrorisme ".

En Mauritanie, c'est un jeune couple qui a été convoqué en novembre devant le procureur, après la diffusion du clip de la chanson It started from Nouakchott dans laquelle la ravissante artiste mannequin Leila Moulaye, moitié maure, moitié wolof, apparaissait tête nue en compagnie du rappeur Hamzo. L'affaire n'a pas été au-delà d'une audition par la police et le procureur, mais elle puise son origine dans la plainte déposée par une association islamiste, Non à la pornographie, dont l'un des responsables a qualifié les rappeurs de " virus " pour la jeunesse.

Au Maroc, l'affaire du " baiser de Nador ", qui a enflammé les réseaux sociaux, a elle aussi éclaté après le dépôt d'une plainte et la capture de la photo, sur un compte personnel Facebook. Sous la pression d'une association qui s'était déjà illustrée en 2011 dans l'opposition au mouvement de contestation du 20-Février, les trois adolescents avaient été interpellés le 4 octobre par la police. Leur garde à vue a duré plus longtemps que prévu, toute une nuit. Puis un magistrat avait ordonné leur placement dans un centre pour mineurs.

La réaction a été immédiate. " Les réseaux sociaux jouent de plus en plus un rôle de veille et les gens qui agissent via Facebook parviennent à intéresser les médias, notamment étrangers, et à bousculer le conservatisme aussi bien de la société que de l'Etat ", constatait alors le politologue marocain Mohamed Madani, cité par l'AFP. Un " kiss-in ", une manifestation, inédite jusqu'ici, de jeunes décidés à protester en s'embrassant devant le Parlement de Rabat, la capitale du royaume, avait été organisé le 12 octobre. Une quarantaine de personnes, dont une dizaine de couples, s'étaient rassemblées avant d'être brutalement agressées par des contre-manifestants. La même organisation de Nador, baptisée " Association unifiée des droits de l'homme et des libertés publiques ", a déjà annoncé qu'elle porterait plainte contre trois des militants du kiss-in, " pour incitation à la débauche, atteinte à la pudeur publique et ébranlement de la foi d'un musulman ", selon son président, Fayçal Moursi.

Raja, la jeune fille, " est forte ", confie Me Fattahi, " mais bien sûr ", précise-t-il, " dans la rue, on l'embête toujours avec ça, et nous avons décidé à notre tour de porter plainte contre l'association ". Soulagé par l'acquittement de ses clients mais désarçonné par la condamnation morale prononcé à leur encontre par le tribunal de Nador, l'avocat s'interroge aujourd'hui sur le fait de faire appel de cette sentence peu habituelle.

La situation est plus délicate pour le rappeur tunisien Weld El 15. Déjà condamné à deux ans de prison ferme par contumace en mars pour sa chanson Boulicia Kleb, sa peine avait été finalement commuée en six mois avec sursis. Mais il a été de nouveau interpellé le 22 août par la police alors qu'il se produisait sur la scène du Festival international d'Hammamet, en compagnie d'un autre rappeur, Ahmed Ben Ahmed, alias Klay BBJ. Condamné en première instance à un an et neuf mois de prison, le jeune homme a vu sa peine réduite à quatre mois ferme, mais confirmée sur le fond en appel. Son avocat continue d'appeler à la mobilisation. Sur son propre compte Facebook.

 

Isabelle Mandraud

 

Source : Le Monde

 

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