En Corée du Sud, l’examen d’entrée à l’université est une religion

Le 7 novembre, plus de 650 000 lycéens ont passé le " sunun " dans le but d'intégrer l'un des trois plus prestigieux établissements de la péninsule. Le pays tout entier s'arrête de vivre ce jour-là.

 

Cela circulait bien ce jeudi 7 novembre au matin dans les rues de Séoul. Fonctionnaires et employés du privé avaient reçu l'ordre de pointer une heure plus tard que d'habitude. Il fallait libérer les rues, laisser de la place dans les métros, ne pas gêner. Ce jour était d'importance : 650 757 lycéens de terminale passaient l'examen d'entrée à l'université.

Une épreuve de près de neuf heures, sanction d'une scolarité menée en Corée du Sud au rythme fou d'au moins quinze heures d'études quotidiennes, entre cursus normal et leçons dans les hagwons, ces cours du soir devenus passage quasi obligé vers la réussite.

Toute la scolarité sud-coréenne, pays obsédé par la réussite où 71 % des jeunes vont aujourd'hui à l'université, contre 56 % dans les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), tourne autour de la préparation de cet examen. Avec un rêve, intégrer l'une des trois plus prestigieuses universités du pays, celle de Séoul, celle de Corée ou celle de Yonsei, dont les initiales se résument en une abréviation à faire fantasmer : SKY (" ciel " en anglais). Atteindre le " ciel " exige d'obtenir au moins 450 points sur les 500 possibles. Pas évident. " Dans notre établissement, explique  Ahn Hui-jin, professeure de coréen au lycée de l'université de Séoul, cinq ou six étudiants devraient entrer dans une université du SKY, sur 300 candidats. "

Tous étaient enfermés de 8 h 10 à 16 h 40 dans 1 257 lycées de tout le pays. Tous devaient plancher sur cinq épreuves, le coréen, les mathématiques, l'anglais, un sujet choisi entre la sociologie, l'enseignement technique ou les sciences, et une deuxième langue étrangère. La journée a commencé aux petites heures d'un matin frais mais ensoleillé, dans une ferveur à la hauteur de l'enjeu. Hwang Soon-a, qui a accompagné son fils au lycée, avoue s'être levée à 4 h 30 : " J'ai préparé les traditionnels gâteaux de riz, que l'on offre pour souhaiter la réussite. Un prêtre est venu à la maison pour tenter de nous relaxer. "

Tout est bon pour la réussite du petit dernier. Ce jeudi, les mères et grands-mères ont envahi les temples et les églises du pays pour prier, souvent toute la journée. Au temple protestant Seongbeok, voisin du lycée de l'université nationale de Séoul, les pasteurs vont se succéder pour enchaîner les offices. " Il y en a cinq, explique le pasteur Kil Seong-un, un par épreuve. " La première, jusqu'à 10 heures, est consacrée au coréen. La seconde, de 10 h 30 à 12 h 10, aux mathématiques, et ainsi de suite.

Le temple bouddhique Jogye-sa est également bondé. Les prêtres psalmodient les sutras, repris par des parents, dont certains réalisent les 108 salutations rituelles. Certains achètent des fleurs qu'ils déposent près du temple après avoir écrit un voeu : " pour la réussite au sunun " (l'examen).

Ces prières ont souvent commencé avant le jour fatidique. " Il n'est pas rare que les mères commencent à aller au temple bouddhique cent jours avant l'examen, sourit Ahn Hui-jin. La mienne l'a fait. " Elle – qui avait obtenu 460 points et avait intégré l'université de Séoul – est surveillante ce jour-là. Elle a dû arriver avant 7 heures pour les préparatifs. Les copies d'examen étaient déjà là, apportées avant l'aube par un inspecteur d'académie accompagné d'un policier.

Les forces de l'ordre sont particulièrement mobilisées : pour éviter tout retard, il est même possible de composer le 112, le numéro d'urgence. Une voiture de police vient alors chercher l'étudiant chez lui et l'amène directement au centre d'examen ! " Nous sommes aussi là pour assurer la bonne circulation devant le lycée, explique un gradé devant un centre. Les parents amènent leurs enfants en voiture. Il y a des encombrements. " Et puis, les avions sont cloués au sol pendant les épreuves nécessitant l'écoute d'un enregistrement.

Chaque centre accueille plusieurs centaines de candidats de différents lycées. Les bureaux des élèves de chaque établissement organisent des distributions de bonbons et boissons vitaminées. " Nous sommes venus à 4 h 30 pour avoir la meilleure place ", assure Huh Byoung-seok, élève de seconde qui rêve d'intégrer Yonsei et de travailler chez Samsung. Et tous de crier, au rythme d'un Buk (tambour), " sunun daepak " (" grand succès à l'examen "). Le ciel est d'un bleu profond. Le vent fait s'envoler des feuilles dorées des ginkgos. " C'est bon signe ", crie un élève.  Les résultats sont attendus le 28 novembre.

 

Philippe Mesmer

 

Source : Le Monde (Supplément Géopolitique)

 

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