Diaguily, sur les rives du fleuve Sénégal : le foncier qui divise (+ Audio)

La place du village où ont généralement lieu les discussions sur les questions d'ordre public.Depuis, 2008, la localité de Diaguily (Sud de la Mauritanie au bord du fleuve Sénégal), vit au rythme  d’un litige pour le contrôle de terres de cultures. Le conflit a éclaté au grand jour quand une famille autochtone, les Yatéra, a réclamé 34 hectares qu’elle avait gracieusement mis à la disposition d’une coopérative villageoise en usufruit. Elle s’est alors vu opposer le refus des exploitants qui y voient les stigmates des pesanteurs sociales : les détenteurs des droits coutumiers sont dits « nobles » et le gérant de la coopérative « ancien esclave ».

Suivant le camp considéré, le litige est présenté tour à tour comme un différend entre féodaux et descendants d’esclaves ou comme la marque de la cupidité d’un groupe qui arrime un problème de propriété à celui de l’esclavage en milieu Soninké.

C’est la première position que retient le chef de la communauté de Diaguily à Paris. Pour Soumaré Bakary dit Cheikhou, il n’y a aucun problème entre descendants d’esclaves et le reste de la communauté. Il pointe du doigt un groupuscule issu de la même famille qui veut, selon sa version, s’accaparer  de façon illégale et privative des terres qui ont été mises à la disposition de toute la communauté villageoise sans exclusive, par la famille Yatéra.  M. Soumaré s’est montré très remonté contre madame la Maire de Diaguily Coumba Moussa Diabira, qu’il accuse de vouloir utiliser ce problème à des fins purement politiciennes. Le maire Coumba Moussa Diabira n’est pas le seul membre de la chefferie traditionnelle à se trouver dans le camp réputé victime de discrimination : d’autres membres de la « bourgeoisie locale, dont l’ancien ministre et actuel ambassadeur Bakari Diabira, figure politique d’envergure nationale dont Diaguily est le fief, se trouvent dans la même situation.

KASSATAYA a rencontré le chef de la communauté Diaguiloise de  Paris.  Cet entretien audio a été l’occasion d’aborder le problème de cimetières distincts en fonction de la classe sociale et à travers lui, la question des inégalités en milieu soninké.

Selon M. Soumaré, le groupe qui veut s’accaparer les terres des Yatéra, a trouvé comme subterfuge de dire qu’ils sont lésés en raison de leur statut d’anciens esclaves. Cependant, ajoute-t-il, ces derniers ne peuvent se prévaloir de ces terres ni par le droit coutumier ni par le droit moderne. Selon la version de M. Soumaré Bakary dit Cheikhou, ces terres étaient aménagées pour toutes les femmes de Diaguily tous statuts confondus. Un homme, M.  Lassana Coulibaly avait été désigné pour les accompagner notamment sur l’aspect technique avec le concours de la SONADER (Société Nationale de Développement Rural). M. Soumaré rappelle qu’avant M. Coulibaly, il y a eu deux autres personnes avec qui il n’y a pas eu de problèmes. Selon lui, Lassana Coulibaly n’a pas respecté le protocole, en cultivant dans ce périmètre des cultures autres que celles convenues au moment de la mise à disposition des terres.

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Saisie, la justice a rendu un premier jugement favorable à la famille Yatéra. Après l’appel introduit par la partie adverse, une commission a été mise en place en vue de trouver une solution à l’amiable.

De même, il y a quelques jours, une mission conduite par M. Balla Touré chargé de la communication de l’IRA (organisation anti esclavagiste) s’est  rendue dans la commune de Diaguily pour s’informer de la situation. Joint au téléphone par KASSATAYA, M. Touré confie que son rapport sera bientôt mis à la disposition de la presse. Il ajoute que « … la question de la coopérative de Kollé Mukké est un problème que l’Etat doit solutionnerKhollé Mukké par le truchement de l’aide de la SONADER est devenu une concession rurale et dans ce sens il faudrait la considérer comme une terre domaniale à la disposition de toute la communauté de Diaguily sans exclusive… »

Le problème foncier est rendu complexe en Mauritanie par la superposition de trois sources de droits : le droit coutumier, le droit islamique et le droit positif. Des conflits surgissent régulièrement entre d’un côté, les propriétaires terriens (généralement les fondateurs du village et les autochtones logés aux plus hautes sphères de la hiérarchie sociale) et les allochtones (qu’ils soient nobles ou non) et les catégories inférieures, de l’autre ; à savoir les artisans, les anciens esclaves… Ces conflits ne sont toutefois pas propres à la Mauritanie. Ils ont connu de nouveaux développements avec la pression exercée sur les ressources et l’accélération de la compétition pour leur contrôle.

Dans un rapport intitulé Points chauds liés au foncier et aux droits sur l’eau, la FAO souligne que « La disponibilité moyenne d’une ressource peut cacher des inégalités très importantes entre les personnes. Un petit nombre de personnes ou d’entreprises peuvent parfois contrôler une grande proportion des terres agricoles, alors que la majorité des producteurs ont accès à très peu de terres. A l’échelle mondiale, nous pouvons distinguer de grands ensembles qui donnent des indications sur l’existence potentielle de points chauds liés à l’accès à la terre. Mais coexistent souvent au sein d’un même pays des situations très contrastées, avec la juxtaposition de dynamiques distinctes (voir par exemple le site des données de base sur la tenure foncière, www.landportal.info). (FAO, Paris, 2011).

En Mauritanie, la timidité des mesures prises par l’Etat –qu’il s’agisse de la loi du 2 août 1960 ou de la réforme foncière de 1983- n’a pas permis d’ouvrir la voie à une nécessaire redistribution des terres sur des bases plus conformes aux réalités d’aujourd’hui : « En disposant que “sont confirmés les droits fonciers coutumiers comportant une emprise évidente et permanente sur le sol”, la loi du 2 août 1960 en son article 3 aménage aux forces traditionnelles un dispositif qui leur permettra de garder la mainmise sur la gestion de l’espace. Les seules espaces encore propriétés de l’État sont les terres mortes, celles qui sont “vacantes et sans maîtres”. Il s’agit généralement de terres lointaines et difficilement exploitables, par conséquent peu porteuses d’intérêt. Ce cadre juridique laissait courir une situation caractérisée par un système dans lequel les terres utiles et les plus convoitées étaient détenues suivant des logiques privées ou communautaires déterminées selon le lignage. » (Abdoulaye Diagana « Le développement local en Mauritanie », Hommes & Migrations 4/2010 (n° 1286-1287), p. 246-256. URL : www.cairn.info/revue-hommes-et-migrations-2010-4-page-246.htm.)

Près de trente ans après l’ordonnance sur la réforme foncière, le problème demeure.

Abdoulaye DIAGANA et  Saidou DIALLO dit Thierno pour www.kassataya.com

 

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