Dans le cadre de la nouvelle réforme fiscale de l’ITS (voir encadré), nous avons interrogé Dr. Aliou Sall pour avoir ses impressions. Monsieur Sall est docteur en droit et diplômé également en fiscalité.
Il dispose d’une expérience de plus de dix ans dans le développement du secteur privé mauritanien.
Il enseigne au Centre de formation bancaire de Mauritanie (antenne ITB Paris de Mauritanie) et à l’université de Nouakchott. Il a à son actif plusieurs publications et un livre sur les systèmes de paiement en Afrique (2010). Entretien.
Quelles sont vos impressions générales sur la réforme 2013 de l’ITS ?
Les objectifs de cette réforme de l’ITS sont très louables : au lieu, pour le salarié, de payer plus d’impôt, il paie moins. Naturellement pour certaines catégories de salariés, la réforme leur apporte un coup de pouce relativement acceptable. Toutefois, ceux qui ont rédigé cette réforme ne l’ont pas analysé sous tous les angles pour qu’elle soit juste et bénéficie à tous.
Cette lacune relève, à mon avis d’une imprudence, car avec des simples simulations, cela aurait pu être évité. Une imprudence qui pose de sérieuses difficultés face au principe de l’égalité devant l’impôt garantie par l’article 20 de notre constitution récusant naturellement toute forme de discrimination entre les citoyens.
Donc il y a quelque part un problème car à titre d’exemple le bénéfice industriel et commercial de l’entreprise est taxé à 25% et certains salariés sont taxés à 40% (d’autres à 15%) sur leurs salaires qui sont loin d’être des bénéfices face aux charges familiales.
Cette réforme est-elle de nature à augmenter le pouvoir d’achat des salariés ?
Cette réforme fiscale qui aurait pu être excellente pour tous les salariés crée aujourd’hui des discriminations entre les eux et fausse manifestement le principe de l’égalité devant l’impôt.
Revenant à votre question, je dirai oui, qu’elle augmente le pouvoir d’achat de certains salariés (le salaire net à payer augmente) : cette augmentation résulte de la diminution du montant de la partie du salaire imposable par l’incidence de l’abattement (qui passe de 30.000UM à 60.000UM) qui augmente et de la révision des tranches (90.000 UM, 210.000 UM et plus), taux de l’impôt (15%, 25% et 40%) et des jokers (9.000UM et 40.500UM). Dès lors que le montant déduit de la rémunération soumise à l’impôt augmente, il faut espérer un effet positif sur le salaire.
Toutefois, cette spirale technique fiscale rend très relatif le niveau d’augmentation du pouvoir d’achat. Ainsi l’augmentation du pouvoir d’achat du salarié qui avait un net à payer compris entre trente mille et soixante mille ouguiyas sera d’un montant compris entre zéro ouguiya et moins de quatre mille huit ouguiyas.
Si pour certains salariés l’augmentation du pouvoir d’achat (salaire net à payer) est quasi dérisoire moins de mille ouguiya par exemple sur le salaire net mensuel pour les plus bas salaires, pour d’autres en revanche, la réforme lèse directement le salaire perçu mensuellement qui subirait progressivement une diminution à cause d’une combinaison d’un palier et d’un joker très limité : vous imaginez un salarié à qui ont dit votre salaire va baisser à partir de maintenant. Je pense que cela ne saurait se justifier sur aucun plan.
Il faut dire que cette réforme profite plus aux salariés qui percevaient des nets à payer compris entre soixante mille et un peu moins de trois cent quatre vingt mille ouguiya. Même à ce niveau, le quantum de l’augmentation du pouvoir d’achat du salarié sera très relatif car les extrêmes et les milieux des tranches subissent les effets des mêmes taux.
Quelles suggestions sur de telles reformes ?
A mon avis ceux qui initient de telles réformes ont le mérite d’avoir une vision sociale très louable. Mais ils devraient donner des orientations fermes dans l’élaboration de ces instruments juridiques afin de permettre une bonne implication des professionnels de la DGI notamment des services des impôts en charges de ces questions et éventuellement des acteurs sociaux afin de recueillir leur avis. Cela aurait pu se faire au moins par un échange d’avis.
Dans une seconde mesure, il me semble utile de bien s’assurer avant de soumettre une telle réforme aux législateurs qu’elle est équitable puis garantit l’égalité consacrée par notre constitution et profite à ceux qui en ont réellement besoin et qu’elle ne lèse pas d’autres citoyens à défaut d’en profiter.
Maintenant, il me semble indispensable de réfléchir sur la loi de finances rectificative et préalablement à cela de sursoir éventuellement à une application partielle de cette réforme si l’on s’en tient à son esprit (voir la lettre circulaire précitée) et au principe d’égalité des citoyens devant l’impôt.
Propos recueillis Khalilou Diagana
A titre d’information, la loi de finance 2013 prévoit une réforme sur les taux, les barèmes et le montant de l’abattement de l’impôt sur les traitements et salaires (ITS). En résumé, cette réforme fiscale prévoit trois paliers d’ITS avec un montant de l’abattement qui passe de 30.000UM à 60.000UM (montant du salaire non soumis à l’impôt).
Le premier palier prévoit un taux d’ITS de 15% pour toute rémunération mensuelle imposable inférieure ou égale à 90.000um ;
Le second palier prévoit un taux d’ITS de 25% avec un joker de 9.000 UM pour toute rémunération mensuelle imposable comprise entre plus de 90.000um et inférieure ou égale à 210.000um ;
Le troisième palier prévoit un taux d’ITS 40% avec un joker de 40.500 UM pour toute rémunération mensuelle imposable supérieure à 210.000um.
Cette réforme semble peu appréciée par certains salariés qui la trouvent inéquitable. La lettre circulaire N° 285 signée en date du 6 février 2013 par le Directeur général des impôts reprend les mêmes termes de la loi de finances 2013. La lettre circulaire parle de rehaussement à un montant de soixante mille ouguiyas par mois de la rémunération au lieu de trente mille ouguiyas par mois : ce qui est peu précis pour une lettre circulaire. Elle justifie cette réforme par l’instauration de plus de justice fiscale entre les salariés et l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés.
Source : Le Quotidien de Nouakchott via Cridem le 04/03/2013{jcomments on}
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