Saleck Ould Sidi Mahmoud, député Tawassoul et rapporteur de la commission de finance :

(Crédit photo : Noor Info)

« C’est la première fois, dans toute l’histoire de la Mauritanie, qu’un régime dilapide 50 millions de dollars. Je dis dilapider, il s’agit de vol ! »

Rapporteur de la commission de finances à l’assemblée nationale, et député du parti de l’opposition Tawassoul, Saleck Ould Sidi Mahmoud est une des voix les plus critiques à l’égard du régime actuel, notamment par rapport à sa politique économique, « aveugle » et « populiste ». Retour dans cet entretien exclusif, sur la rénovation ratée de la Fonction Publique, la lutte contre la gabegie, la refonte annoncée du code de l’investissement etc.


Vous évoquez souvent le populisme qu’Aziz mêlerait à la politique économique…

Il faut nettement séparer le politique de l’économique, surtout dans un pays à l’économie aussi faible que la nôtre. Le populisme ce n’est pas de la gestion responsable, et morale. Les trois piliers de notre économie, à savoir les mines, la pêche et l’agro-pastoral, (qui n’a pas encore eu la promotion qu’il mérite), ne doivent pas être galvaudés.

Mais tout cela n’est rien sans ressources humaines. Nous n’avons pas de bonnes capacités d’absorption de nos cadres de valeur, contrairement à la plupart des pays de la sous-région.

Tout cela réduit la marge de manœuvre dans les choix économiques qu’un gouvernement peut et doit faire. La Mauritanie ne peut pas avoir le luxe d’un populisme de bas étage.

La faillite n’est pas un concept lointain et abstrait pour le pays. Dans ce sens, et au niveau microéconomique, la création de beaucoup d’établissements publics, dont Mauritania Airlines, ont été établies par pur populisme, en réaction à des échecs passés, dont les diagnostics n’ont jamais réellement été faits, ce qui ne nous donne pas la perspective nécessaire pour éviter le même sort à cette nouvelle compagnie naissante, et déjà moribonde, dont on annonce déjà la faillite potentielle.

Pareil au niveau de la nouvelle compagnie publique de bus, qui après moins de deux ans d’existence à peine, a vu sa capacité diminuer de 50% ! Sa faillite n’est pas loin aussi. La seule justification de son existence tient à ce don de bus de l’Iran, que l’état a voulu utiliser coûte que coûte sans étude au préalable.

Vous avez minimisé il y a quelques jours la portée des projets de loi relatifs à la création d’une zone franche à Nouadhibou, et à la révision du code d’investissement. Que leur reprochez-vous dans leur état actuel?

Je ne reproche pas la théorie du projet en soi. Une zone de libre-échange à Nouadhibou est une bonne idée dans le principe. L’idée était déjà de Sidi Ould Cheikh Abdallahi d’ailleurs, soit dit en passant. L’honnêteté exigeait que l’on précise que c’était une deuxième étape après la première initiée par son prédécesseur.

A ce niveau, un code des investissements, même rénové, ne suffit pas à impulser une dynamique à ce pôle. Les investisseurs, comme tout professionnel, suivent des études pour connaître le lieu où ils s’implantent. Or l’importance des courtiers, des intermédiaires dans les affaires, proches des hautes sphères du pouvoir, qui grappillent sans efforts de colossales commissions, est telle que les investisseurs y réfléchissent à deux fois. Il ne suffit donc pas de changer le code de l’investissement, mais de rendre les attributions de marchés, transparents !

Sans compter une justice médiocre aux pieds des puissants, particulièrement ceux proches du pouvoir.

 

 » Aziz fait ce qu’il veut des biens publics, par ordres au ministre des finances. A la fin de l’exercice, il s’agit de régulariser tous ces ordres donnés, comme tout citoyen abonné à sa boutique du coin, et chaque fin du mois vient régulariser sa situation. »

 

Peut-on facilement ôter de l’équation des investissements, les intermédiaires justement ?

C’est purement une question de volonté politique. Et cette volonté aurait pu se manifester dans les négociations avec Tasiast part exemple, où des commissions importantes ont été versées, à des personnes devenues immédiatement très riches, sans rien faire réellement, si ce n’est connaître les pattes à graisser.

Ces commissions peuvent représenter 15 à 25% des sommes que l’état percevrait. Et ce phénomène touche tous les grands marchés publics, où la transparence n’existe pas. Le milieu des affaires n’est pas encore sain.

Une mission du FMI vient de quitter le pays, et distribue à nouveau de bons points à la Mauritanie, du point de vue macroéconomique en tout cas. Vous fiez-vous comme le FMI, aux chiffres présentés par l’état? Peut-on tricher comme on le faisait précédemment?

Le FMI ne s’intéresse qu’aux équilibres macroéconomiques, pas à la façon dont ceux-ci sont obtenus. Combien de fois il a été trompé avec des chiffres truqués.

Il y a deux choses à dire par rapport à leurs témoignages. D’une part, il y a les chiffres tels qu’ils sont. Supposons qu’ils soient exacts, sont faits avec les exigences de la Banque Mondiale. Les gouvernements forts, manoeuvrent avec ces bailleurs de fonds. Mais pour notre régime, qui ne s’intéresse pas aux intérêts suprêmes de la nation, il n’y a pas ce genre de négociations. Le diktat des bailleurs est accepté tel quel depuis qu’Aziz est là.

D’autre part, sur l’exactitude de ces chiffres, il y a à boire et à manger. Si on annonce que les recettes de l’état ont augmenté, au niveau des impôts notamment, est-ce bon ou mauvais ? En l’occurrence non ! Car les recettes ont augmenté parce qu’on a appliqué une pression fiscale hors-norme, dans une période où l’activité économique même du pays a diminué à hauteur de 1% du PIB. Les impôts sont devenus insupportables en Mauritanie.

Mais c’est la seule solution trouvée par l’état pour pallier au marasme économique. C’est ce qui explique le surplus de recettes fiscales, qui est positif quand celui-ci est un corollaire à l’activité économique florissante. Or on en est loin, et c’est mauvais à court et long terme pour l’économie : il y a beaucoup de petites et moyennes entreprises qui ont déjà fermé.

Depuis deux ans, il y a une fuite des capitaux mauritaniens vers les pays de la sous-région, et au Maroc.

Une bonne santé économique doit se traduire dans ces trois agrégats : la lutte contre le chômage, la maitrise de l’inflation, et le prix de la monnaie nationale.
Aujourd’hui je ne pense pas que nous comblions le vide créé par les départs à la retraite de ces deux dernières années. Donc le chômage augmente sensiblement chaque année. Si dans les chiffres, l’inflation a été «maîtrisée» à 6,7% cette année, allez demander aux ménages si avec les hausses continues de prix, ils considèrent cela comme un progrès. Quant au prix de la monnaie, l’ouguiya continue sa stagnation.

Donc à mon sens, on ne peut pas parler d’amélioration de l’état économique du pays, quand il n’y a pas un changement dans la vie des habitants du pays !

Comment qualifieriez-vous les finances de l’état aujourd’hui ?

La situation en Mauritanie est très sombre. Vraiment. L’orthodoxie financière n’est plus observée depuis l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz. La violation des textes et le non-respect des lois s’accumulent. Les finances sont un domaine sensible, avec des garde-fous. En finances, on ne parle pas des intentions, mais des textes et de leur application.

On ne peut pas parler de gabegie, parce que l’argent a été gaspillé dans tel ou tel projet… Non, on parlera de gabegie par rapport au respect des textes. Il y a une rigueur à respecter. Celle-ci n’existe plus. Depuis trois ans il y a chaque année deux lois de finances : une loi initiale votée en décembre, qui sera mise au tiroir, et une loi rectificative à la fin de l’exercice.

Aziz fait ce qu’il veut des biens publics, par ordres au ministre des finances. A la fin de l’exercice, il s’agit de régulariser tous ces ordres donnés, comme tout citoyen abonné à sa boutique du coin, et chaque fin du mois vient régulariser sa situation. Un pays n’est pas une boutique !

D’autant que la loi dit qu’il faut impérativement, si on procède à un décret d’avance, que ce décret soit régularisé dans la prochaine session suivante. Il y a des procédures qui ne sont plus suivies.

 


« Sous Sidioca, tous les établissements, entreprises, administrations, et autres instituts publics, coutaient 149 milliards par an, répartis entre les salaires, les règlements de factures divers etc. Sept mois après son départ, la loi rectificative d’avril 2009, on est passé à 162 milliards de frais de fonctionnement de la fonction publique ! »

Vous pointez souvent du doigt la gabegie hors norme pas qui règnerait sous Mohamed Ould Abdel Aziz… À votre niveau, avez-vous un faisceau d’indices, des éléments probants allant en ce sens, en plus des lois rectificatives établies hors procédures légales?

C’est la première fois, dans toute l’histoire de la Mauritanie, qu’un régime dilapide 50 millions de dollars. Je dis dilapider, il s’agit de vol ! Dire qu’avec ces 50 millions, du matériel militaire a été acquis, l’argument est faible, surtout que le parlement n’a aucun contrôle dessus. Si tel ou tel armement a été acquis, l’achat doit être justifié matériellement. Là, à nous parlementaires, qui veillons à la sauvegarde de l’intérêt du peuple, on nous apporte juste un jeu d’écriture, om de façon lapidaire on nous annonce que le ministère de la défense a été doté de tel budget. Pareillement pour la direction de la sureté.

Une commission de confidence devrait vérifier tout cela, comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi le prévoyait. Le refus de transparence à ce niveau ne se justifie que parce que les budgets alloués ne vont qu’en petite partie dans les cases prévues.

En tant que parlementaire, je ne peux pas vous dire aujourd’hui à quoi sert le budget affecté à l’état-major, ni celui de la sureté de l’état ! C’est un non-sens.

Un autre indice tient à l’explosion des attributions de marché de gré à gré. L’opacité totale règne dans le domaine des finances. On trompe les citoyens en leur annonçant que des maitrises ont été effectuées au niveau du fonctionnement administratif, où régnait la gabegie, afin de favoriser l’investissement.

C’est le contraire qui a été fait ! Le fonctionnement est sujet de gabegie plus que l’investissement. Les sommes de fonctionnement couvrent une large base de distribution –c’est une méthode tropicalisée de redistribution des revenus- et ne concernent pas des sommes folles. Tandis que pour les investissements, on parle de milliards, et qui ne bénéficient qu’à une infime minorité, riches d’office !

Mohamed Ould Abdel Aziz a fait de la lutte contre les emplois fictifs dans les administrations, un de ses chevaux de bataille…

(Sourire) Avec Mohamed Ould Abdel Aziz, le fonctionnement des administrations publiques coute beaucoup plus cher ! Sous Sidioca, tous les établissements, entreprises, administrations, et autres instituts publics, coutaient 149 milliards par an, répartis entre les salaires, les règlements de factures divers etc. Sept mois après son départ, la loi rectificative d’avril 2009, on est passé à 162 milliards de frais de fonctionnement de la fonction publique !

Les dividendes attribués à chaque établissement a été baissé, mais le chiffre global a augmenté. Comment ça ? Le président, à des fins politiques, a créé de nouveaux domaines de dépenses. Il voulait limoger l’administration existante à son avènement, pour la remplacer par la sienne, avec ses propres éléments, la plupart sortis de nulle part, et qui ne faisaient pas partie du corps étatique, à base de tribalisme.

Ils arrivent donc avec les salaires et les indemnités affiliées, sans pour autant travailler, tandis que ceux qui ont été limogés, et qu’ils remplacent, continuent à toucher leurs salaires. Un double-emploi a été créé pour chaque poste ! La même chose a été effectuée dans les Renseignements, et au niveau des corps armés, où les officiers supposés les plus dangereux pour le régime ont été éloignés géographiquement, en tant qu’attachés militaires, avec des budgets équivalents à la charge d’une ambassade, souvent dans des pays avec lesquels nous n’avons pas de coopération militaire. Additionnez tout cela, et vous avez l’origine des 13 milliards d’ouguiyas en plus.

Le ministère des finances avait exigé d’un groupe de parlementaires, dont vous faisiez partie, le remboursement de sommes que vous auriez perçues sous forme de salaires, cumulativement à l’exercice de votre mandat parlementaire. Où en est cette injonction?

C’était purement politique. Ils ont voulu la faire surgir dans un débat télévisé, contre moi personnellement. Il s’est avéré que cette question touche la plupart des députés et personnes proches du régime actuel. Me concernant, j’avais amené mon matricule, précisant que si je n’ai pas droit à ce salaire en temps que fonctionnaire de l’état, que celui-ci soit suspendu.

Ils n’ont pas voulu le faire, car s’ils le faisaient pour moi, ils devaient le faire pour tout le monde. Finalement, s’il y a erreur, c’était du fait du ministère des finances. Je leur ai précisé que je rembourserai les sommes qu’ils considéreraient comme dues. Pas de nouvelles depuis. L’affaire a fait «plouf» sous la pression des députés de la majorité.

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 15/07/2012

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