Mauritanie : l’ UFP ouvre le débat culturel à l’assemblée nationale

bakala_kane_rimLe député de l’UFP(Union des Forces du Progrés) Samba Sy s’est exprimé en langue Pulaar cette semaine au cours des débats en plénière à l’assemblée nationale. Le vice président Ould Jdein a aussitôt sauté dedans à pieds-joints en affirmant que seules l’arabe et le français sont autorisées dans l’hémicycle.

Ce coup de force linguistique initié par l’opposition intervient au même moment où le Pulaar franchit un nouveau pas technologique c’est-à-dire que désormais  cette langue est disponible sur Mozilla Firefox. Cette avancée crédibilise davantage la portée scientifique des langues nationales .

 

En réalité personne ne s’y attendait dans l’hémicycle  cette semaine et surtout en pleine séance plénière qu’un député  prenne la parole dans une des langues nationales du pays. C’est inédit et symbolique pour l’opposition. Mais c’est l’UFP qui marque des points et son représentant Samba Sy en est le héros. Pour la première fois les habitudes ont changé de camp. Le courage politique a fait place à la couardise d’antan. Une agréable surprise pour tous les défenseurs de la promotion des langues nationales et qui aura eu le mérite de pointer du doigt la question culturelle en Mauritanie et par ricochet le bluff de la dernière révision constitutionnelle sur la diversité. Au plan national cette initiative ressemble fort à celle du président de l’AJRMD de Ibrahima Sarr devant la coalition des partis de la majorité, l’UPR en 2010.

Pour les observateurs, ce débat culturel est d’importance. Il est même fondamental dans la mesure où il faut donner plus de visibilité aux langues nationales dans l’administration. Ce forcing de l’UFP rompt la routine de la classe politique habituée à cautionner une monoculture arabe dans tous les sphères de l’Etat. La revendication d’une identité culturelle négro-africaine ne date pas d’aujourd’hui. Le projet il  y a quelques années de créer un Institut des langues nationales reposait sur  cette volonté de redonner à la société mauritanienne une égalité entre les différentes composantes de la population et une véritable emprise sur le destin collectif en liant démocratie et citoyenneté.

Mais tous les gouvernements successifs depuis l’indépendance en 1960 jusqu’à nos jours se sont plutôt écartés du principe du mieux vivre ensemble. Cette deuxième tentative d’ouvrir un débat linguistique au niveau de la classe politique dirigeante est un signe que quelque chose est entrain de changer au moins dans la conscience collective des cadres négro-mauritaniens. Sur ce point, ce n’est pas la langue arabe qui est visée mais encore plus la place du français et des langues nationales dans la société mauritanienne où tous se reconnaîtront sans exception. Et ce nouvel engagement rend le réveil possible pour un projet de société multiculturelle. L’élite mauritanienne devra arrêter de faire des discours politiques ou  des conférences ou rassemblements seulement en français ou en arabe.

Autrement dit le bilinguisme de raison est un préalable à ce long processus. A l’heure de la libéralisation de l’audiovisuel les langues nationales peuvent jouer un grand rôle d’éducation dans un pays où la grande majorité est analphabète mais encore faudrait-il que des opérateurs privés nationaux soient reconnus par la HAPA. Il est clair que la politique linguistique est avant tout une question de volonté politique. Il s’agira  entre autre pour la traduire dans les faits de  favoriser l’émergence de radios associatives capables d’apporter à tous les publics des émissions de qualité, scientifiques et culturelles. Des radios et des télévisions et des journaux qui donneront la parole aux citoyens pour changer les comportements entre les élus et le peuple. Cet incident à l’assemblée nationale remet à l’ordre du jour la révision de la constitution dont on peut craindre après cet épisode qu’elle ait été vite oubliée par ceux –là même qui l’ont adoptée.

Bakala Kane

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