Chronique de Ould Beheit: Quelles frontières pour l’émirat islamique de Tombouctou?

(Crédit photo : Afrik.com)

Dans le contexte de l’après deuxième guerre mondiale, deux pôles se sont toujours affrontés sans que l’on sache vraiment aux noms de quels idéaux et pour quelle finalité.
En vertu de cette constante stupide, le monde a été divisé en deux camps dès 1945 et ce en dépit d’une unicité de destin objective entre l’Occident Chrétien et l’URSS communiste.

L’amitié et la solidarité contre nature mais vitales entre ces deux entités et dont l’origine découle de la nécessité de s’unir face aux menaces que faisait planer Hitler sur leurs existences respectives, n’a pourtant pas résisté à leurs différences idéologiques ouvrant la voie à ce qui fut appelé plus tard la guerre froide.
En quête d’une explication logique à la tension entre les deux pôles, les chercheurs ont constaté qu’au-delà du fait qu’il s’agit d’un concept relevant des manifestations du réflexe de conservation, la guerre froide était surtout une manière de transformer le conflit d’intérêts des deux superpuissances en conflit universel permanent et adapté aux frustrations, aux désespoirs, aux craintes et aux aspirations de chacun suivant qu’il s’agit d’un prolétaire, d’un intellectuel ou d’un bourgeois.
La puissance militaire, scientifique et technologique des belligérants aidant, l’arme de prédilection de chacun d’entre eux était la menace sournoise et dissuasive de l’équilibre de la terreur. L’usage abusif de cette arme a, quant à lui, joué un rôle essentiel dans la transformation des mentalités et dans le recul de la peur de l’individu face aux capacités de nuisance du groupe.
Ayant crevé son seuil de tolérance dans les années 80 du siècle passé, la guerre froide avait mis chacun des blocs qui en incarnaient la cruauté, dans l’obligation de la gagner ou de se résigner à en subir les revers.
C’est d’ailleurs dans la première perspective que le président américain Ronald Reagan avait conçu son fameux programme de la guerre des étoiles. Quelques années après que cet ambitieux projet ait vu le jour et sans qu’on puisse se l’expliquer de manière rationnelle, l’URSS s’écroula comme un château de cartes emportant dans son élan le mur de Berlin qui fut le symbole le plus significatif de sa présence en Europe.
Cette victoire occidentale n’avait cependant pas été sans risques car pour l’assurer, la stratégie américaine comportait plusieurs volets dont celui de renforcer l’Islam en exacerbant davantage son rejet systématique de l’athéisme communiste.
Pour être une erreur monumentale dans la durée, le renforcement de l’Islam s’est avéré aussi une contradiction fondamentale avec ses objectifs initiaux pour la simple raison que les moyens qui lui furent subordonnés n’ont profité qu’aux zones tampons qui, pour des raisons historiques, développaient les mêmes sentiments de haine aussi bien à l’endroit des Russes que des Occidentaux.
En éradiquant donc en 1989 le communisme idéologique dans sa dimension européenne et en imposant l’économie de marché à la Chine, les Etats Unis avaient, par la même occasion, créé un nouveau pôle politico-confessionnel au développement duquel aucune règle de prudence n’avait été observée. Ce tournant décisif dans l’histoire contemporaine de l’humanité a vu naître l’Islamisme jihadiste dans le style conceptuel de l’Orient, c’est-à-dire étroit, extrémiste, macho, sanguinaire et présentant une nette tendance au suicide à la gloire de la communauté. Comme toute structure politique dont on veut se débarrasser après s’en être servi, l’Islamisme Jihadiste, qui a eu le temps de mettre en place des filières de financement dans les pétromonarchies du Golfe, n’a pas tardé à réagir en sortant du giron de ses commanditaires avant de leur déclarer une guerre sainte qui était sa façon à lui de ne pas disparaître et d’inverser le rapport de force.
Si Al Qaïda, dans ses multiples versions, est aujourd’hui une branche armée de l’Islamisme facilement identifiable, sa branche civile, quant à elle, est beaucoup plus complexe et difficile à cerner.
Ayant investi des centres névralgiques universités, écoles religieuses, mosquées et médias électroniques, la branche civile d’Al Qaïda est aujourd’hui présente partout dans le monde même si son importance varie d’une zone géographique à une autre.
Sa stratégie consiste à utiliser les financements occultes et les prêches pour préparer le terrain à une prise de pouvoir par la branche militaire au moment où le régime dont il est question de la fin, donne le moindre signe de faiblesse ou accepte d’entrer avec elle dans une logique démocratique à laquelle elle est, de toute façon, réfractaire.
C’est ce qui s’est passé en Afghanistan, au Liban et au Mali et c’est ce qui se passera demain au Yémen, au Pakistan, au Nigeria, en Algérie, en Libye et au Niger et c’est également ce qui se passera après demain en France et en Italie. C’est la marche du monde réglée au rythme de la bêtise humaine et de l’intolérance congénitale de l’homme.
Dans cet ordre d’idées, il est d’autant plus difficile d’imaginer les frontières qui viendraient délimiter le tout nouveau Emirat de Tombouctou, que de lire les indicateurs qui expliquent son avènement dans un environnement hostile.
La véracité de cette analyse tient au fait que, pour leur rôle de pourvoyeurs en fonds de l’internationale terroriste, les monarchies du Golfe sont tolérées et leurs régimes politiques, d’un autre âge, sont à l’abri des révolutions et de renversements par les forces obscurantistes dont elles sont pourtant les berceaux.
Si les relations entre Al Qaïda et les pétro-monarques du Golfe expliquent la stabilité et la longévité de ces derniers dans l’exercice des basses besognes érigées par eux en programmes politiques, elles ne peuvent expliquer la convergence d’intérêts des Etats Unis et de cette même Qaïda en ce qui concerne la soustraction des Emirs et des roitelets arabes à une marche de l’histoire qui ne s’accommode désormais plus de l’exercice du pouvoir par procuration.
Elles ne peuvent également expliquer que dans la zone de l’Azawad, des terroristes traqués depuis plus de vingt ans s’autoproclament souverains d’un Emirat créé sur les cendres d’une démocratie modèle sans que l’Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger, en plus des armées étrangères présentes sur le terrain, ne lèvent le petit doigt.
Cette inertie est d’autant plus inquiétante que les Etats Majors de ces pays savent que les frontières de l’Emirat islamique de Tombouctou dans les seules limites de l’Azawad ne sauraient constituer une fin en soi pour la nébuleuse terroriste en ce sens que la contiguïté du territoire ne permet, ni d’assurer la défense des acquis, ni d’exporter la révolution dans des limites raisonnables pour éviter d’être pris en sandwich par les forces ennemies en présence.
C’est cet impératif stratégique qui amène certains analystes à penser que l’offensive d’Al Qaïda sur le Nord du Mali ne peut techniquement et raisonnablement s’arrêter à l’Azawad car, pour être fiable, cette offensive doit forcément s’étendre à l’Est de la Mauritanie, le Sud Algérien, le Nord Ouest du Niger et le Sud Ouest de la Libye.
Une vision hégémonique démesurément ambitieuse mais qui répond à deux exigences majeures : celle de sécuriser, le temps d’y renforcer sa présence, le Nord du Mali et celle de déplacer les combats sur les territoires voisins pour amener leurs gouvernements à tempérer leurs ardeurs rédemptrices de la démocratie.

M.S.Beheite

Source  :  Le Calame le 18/04/2012

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