Mohamed Jemil Ould Mansour, président du parti Tawassoul et député à l’Assemblée nationale au Calame

(Crédit photo : anonyme)

‘’Le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz a fini de démontrer qu’il est incapable de répondre aux aspirations démocratiques du peuple mauritanien’’

Le Calame : Depuis quelques temps, on assiste à une tension verbale accrue entre le pouvoir et l’opposition qui multiplient, l’un et l’autre, les déclarations incendiaires. Pensez-vous que la situation a atteint un point de non-retour et que les ponts sont définitivement rompus ?

Mohamed Jemil Ould Mansour : Je pense qu’à notre niveau nous, à la COD et à notre niveau, Tawassoul, il y a un immense gap. Le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz a fini de démontrer qu’il est incapable de répondre aux aspirations démocratiques du peuple mauritanien. Il a prouvé son incapacité à conduire un changement pacifique et démocratique à la tête du pays. C’est partant de ce constat que nous exigeons son départ pacifique du pouvoir. Aujourd’hui, nous estimons que l’amorce d’un dialogue, la discussion de ses conditions ou de ses préalables, avec le pouvoir en place, n’a plus de sens. Regardez autour de nous. La Mauritanie est entourée – exception faite du Mali où vient de se produire un coup d’Etat fort semblable à celui qui s’est produit chez nous, en 2008 – par des pays qui ont fini de réaliser ou de consolider leur système démocratique, qu’il s’agisse du Sénégal, du Niger, de la Côte- d’Ivoire mais aussi de pays arabes, comme la Tunisie et l’Egypte, alors que notre pays s’enfonce, malheureusement et de plus en plus, dans une dictature militaire. La Mauritanie, éternel mauvais élève de la démocratie ? Nous nous y refusons et voilà pourquoi, nous en sommes convaincus, le temps du dialogue parait-il, aujourd’hui, dépassé. Mohamed Ould Abdel Aziz a prouvé qu’il ne savait pas prendre le train en marche, qu’il réagit toujours en retard. Nous avons perdu trop de temps dans les gesticulations de ce pouvoir. Le moment est venu, pour lui, de tirer sa révérence et de s’en aller, pour permettre, à la Mauritanie, de s’ouvrir à une ère nouvelle, un véritable changement démocratique…

– Mais qui va opérer ce changement ? Les partis politiques, les militaires ou la rue ?

– Nous demandons le départ du pouvoir actuel, parce qu’il est incapable de conduire un changement démocratique et pacifique mais, démocrates, nous croyons qu’il appartient à l’ensemble des acteurs politiques (partis politiques, société civile, syndicats, les jeunes, les sages…) de susciter les conditions de ce départ et de jeter les bases d’une nouvelle transition consensuelle, marquant une rupture, définitive, avec les systèmes militaires.

– Mais le président de la République peut vous reprocher d’avoir refusé un dialogue que quatre partis ont accepté ?

– Il a appelé à la discussion longtemps après l’invitation de l’opposition à un dialogue inclusif, basé sur les accords de Dakar. Et, compte tenu de l’amère expérience vécue, justement lors de ces accords, nous avons posé des préalables dont, entre autres, l’application de certaines lois en vigueur, l’ouverture des médias aux partis de l’opposition, la liberté de manifester pacifiquement, la non-instrumentalisation de la justice et des appareils sécuritaires, etc. C’était l’occasion, pour quelqu’un animé de bonne volonté, de signaux forts, aptes à décrisper la situation et restaurer la confiance. De nouveau à Nouadhibou, il est revenu sur ce qu’il avait dit à l’époque, exigeant les résultats du dialogue avant le dialogue. Pour nous, un dialogue doit aboutir à une refonte profonde du système politique mauritanien, non à un saupoudrage, comme il le souhaite…

– Donc un changement ou une transition sans Mohamed Ould Abdel Aziz ?

– En principe, parce qu’il est un obstacle à la démocratie. Comme vous le savez, en dépit des élections qui l’ont porté au pouvoir en juillet 2009, Mohamed Ould Abdel Aziz a instauré une dictature militaire, instrumentalisant les appareils militaires, la justice, l’administration, et de telles dispositions sont les bases mêmes de tout système dictatorial. A l’époque, nous penchions pour un dialogue. Aujourd’hui, nous sommes arrivés à la conclusion que la Mauritanie n’a plus de temps à perdre. Finies les solutions intermédiaires, le pays a besoin du départ du président Mohamed Ould Abdel Aziz pour aborder une ère nouvelle, fruit d’un consensus entre tous les acteurs politiques de quelque bord qu’ils viennent…

– Une transition militaire est donc exclue ?

– Il y a un problème avec les transitions militaires ! Parce que nous avons eu l’amère expérience avec la dernière transition qui a abouti à une gestion par procuration ou par un changement de veste. Nous aspirons à un régime démocratique au sein duquel les militaires tiennent la place qui leur sied, c’est à dire la défense et la préservation de l’intégrité de notre territoire.

– Lors de son meeting à Nouadhibou, le président de la République a évoqué des « porteurs de barbes qui mentent ». Votre parti s’est-il senti visé ? Que répondez-vous à une telle charge ?

– Nous avons trouvé les propos du président singulièrement déplacés. Porter ou non une barbe, cela relève de la liberté individuelle. Je vous rappelle que le fiqh le recommande et nous regrettons qu’un président de la République s’exprime sur ce ton et tienne de tels propos, alors que tant d’oulémas, de faqhihs et de personnalités religieuses sont barbus. Cela dit, le combat de Tawassoul ne se situe pas à ce niveau, nous combattons pour la démocratie, la justice, les droits de l’homme, les libertés publiques et le développement économique du pays. Et, donc, contre la gouvernance de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui est un échec, à tous ces niveaux. Nous ne nous laisserons pas distraire par ce genre de propos.

– Mohamed Ould Abdel Aziz vous accuse de nourrir l’ambition de pousser à une révolution populaire, comme en Tunisie, en Egypte et en Libye. Pensez-vous que l’onde de choc du Printemps arabe pourrait atteindre notre pays et balayer le pouvoir en place?

– Je crois que les Tunisiens ont réussi leur révolution. La preuve, ils ont instauré un Etat démocratique, à travers une alliance entre les principales forces politiques du pays ; leurs institutions fonctionnent, les différents pouvoirs sont séparés, la liberté de presse et de manifester sont garanties. Les Tunisiens qui se sont battus sont, aujourd’hui, fiers de leur action. Idem pour les Egyptiens, en dépit de certains problèmes qui se posent dans ce pays.
Nous avons toujours affirmé qu’une révolution est un acte populaire. Nous estimons que Mohamed Ould Abdel Aziz, par sa gestion calamiteuse du pays, sa répression des étudiants, son aventure militaire, associés à la flambée des prix des denrées de première nécessité et la sécheresse, nourrit les conditions d’une révolution populaire.
Le rôle des partis politiques et de leurs coalitions, c’est d’être des catalyseurs, d’attirer l’attention des populations, de pousser vers un changement démocratique et pacifique, et c’est, justement, ce que nous sommes en train de faire.

– En demandant le départ du président, l’opposition n’est-elle pas sortie de son rôle traditionnel ? Pourquoi ne pas utiliser les moyens politiques, pour faire tomber le pouvoir actuel par les urnes, comme cela s’est passé au Sénégal ?

– Effectivement, nous optons pour la voie des urnes et les autres moyens de conquête du pouvoir n’est pas de notre ressort. Mais, malheureusement, le pouvoir a également montré ses limites sur ce plan. Nous accusons un grand retard sur le calendrier des élections municipales et législatives, c’est pourquoi des voix s’élèvent, pour dénoncer l’illégitimité actuelle des institutions parlementaires et municipales. Notre Parlement modifie la Constitution alors qu’il est dans cette situation. C’est une situation très grave. En tant que démocrates, nous nous inclinons devant le résultat des urnes, si tant est que les élections se déroulent dans la transparence et de façon consensuelle. Mais les conditions d’un tel scrutin sont, en Mauritanie, loin d’être réunies. Et comme Mohamed Ould Abdel Aziz refuse de les susciter, nous n’avons d’autre issue que d’exiger son départ. Pourquoi le gouvernement n’a pas pris les dispositions utiles (état civil, listes électorales, CENI…) pour organiser les élections à la date échue ? La CENI dont on parle aujourd’hui est d’une indépendance douteuse, parce qu’elle est nommée par le président de la République qui devrait être arbitre et non juge et partie. C’est l’ensemble de ces éléments qui nous poussent à demander son départ. Il n’y a plus rien à espérer de ce régime.

– Est-ce à dire que si le pouvoir organisait des élections, vous n’y participeriez pas ?

– Cette question est, pour nous, prématurée. Notre préoccupation immédiate tourne autour des impératifs suivants : un changement, grâce à l’action populaire pacifique, afin de tourner, définitivement, la page des militaires au pouvoir.

– Que comptez-vous faire pour capitaliser l’élan de sympathie des populations, enregistré lors de la dernière marche de la COD mais aussi de votre meeting, et arriver à votre projet, celui de renverser le pouvoir d’Ould Abdel Aziz ?

– Nous allons, tout simplement, continuer, pour maintenir la pression sur le régime. Comme vous le savez, ceux qui ont réussi leur révolution, leur changement démocratique, ont eu recours à des manifestions, à des meetings. Notre rôle, en tant que partis politiques, c’est d’expliquer, aux citoyens, tout le mal que la politique du régime en place a produit, au plan politique, économique, social, sécuritaire, culturel et jusqu’à celui de l’unité nationale. Nous allons, donc multiplier, les actions, pour bouter au dehors le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, s’il plaît à Dieu, sans coup férir et sans aucun tribut, pour notre pays. Force restera à la démocratie populaire. Le Sénégal et la Tunisie sont des exemples à suivre pour la Mauritanie.

– Dans son meeting à Nouadhibou, le président de la République a invité certains leaders politiques à prendre leur retraite. Qu’en pensez-vous ?

-C’est, une fois encore, un dérapage. Quelqu’un qui ne compte pas dans l’élite politique est très mal placé pour donner des leçons à celle-ci. Ceci dit, nous nous érigeons à Tawassoul, contre toute forme de stigmatisation générationnelle, tribale, ethnique, culturelle, régionale, ou autre… Et rappelons, à l’auteur de ces propos, que notre pays a besoin de la sagesse et de l’expérience de ses sages comme il a besoin de l’énergie et les idées de sa jeunesse. La Mauritanie a besoin de la synergie de l’ensemble de ses générations. Comme je l’ai dit, nous trouvons très dangereux de stigmatiser les gens, et c’est, malheureusement, toute la politique du pouvoir actuel qui est basée sur de tels clichés. Mohamed Abdel Aziz doit partir parce qu’il engendre des précédents dangereux pour notre pays.

– Des mutins qui s’emparent du pouvoir au Mali, une rébellion au Nord, qui risque de conduire à une partition de ce pays, le peuple sénégalais qui envoie, par les urnes, son président à la retraite… Que vous inspire cette situation à nos frontières ?

-Le pouvoir en place pratique une très mauvaise politique étrangère, nous avons des problèmes un peu partout Et je m’en vais vous dire, d’ailleurs, que Mohamed Ould Abdel Aziz ne serait pas étranger à la situation au Mali d’une façon ou d’une autre. Aujourd’hui, ce pays paie, cher, les errements du pouvoir en place à Nouakchott. Sa démocratie est torpillée, son unité menacée, sa situation économique et sociale critique. Il est grand temps que les militaires comprennent que leur place n’est pas de diriger les pays mais de commander les troupes, pour protéger leur peuple. L’intrusion dans l’arène politique sape, non seulement, celle-ci mais mine, aussi, l’institution militaire. C’est pourquoi les Mauritaniens souhaitent se débarrasser le plus rapidement possible du règne des militaires.

– La Tunisie et l’Egypte ont réussi leur révolution mais, aujourd’hui, des démocrates s’inquiètent du contrôle, par les islamistes, des parlements de ces deux pays. Y aurait-il raison d’avoir peur ?

– En tout cas, moi, je n’ai pas peur des islamistes. Je pense que la Tunisie est un bon exemple, parce qu’elle a réussi à mettre en place une importante coalition de trois partis et que la culture démocratique s’installe. Les Tunisiens ont compris qu’aucun parti politique, islamiste ou autre, ne peut gérer, à lui seul, les affaires du pays. Les islamistes doivent comprendre que leurs militants ne les ont pas élus pour chasser les autres et confisquer le pouvoir, mais pour promouvoir les conditions d’ancrage d’une démocratie consensuelle où tout un chacun aura, quelle que soit son idéologie, sa place.
Je profite de cette occasion pour inviter nos amis égyptiens à donner les gages d’une cohabitation pacifique entre islamistes, laïcs, libéraux, coptes et autres – entre tous les égyptiens, en somme – parce qu’aujourd’hui, le seul objectif viable est de mettre en place une véritable démocratie et de fonder les conditions pour une alternance pacifique.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  Le Calame le 04/04/2012

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